Lorsque j'étais enfant, l'heure du coucher correspondait au début des feuilletons radiophoniques de Radio-Canada. Pour ma plus grande frustration. Mais j'ai encore en mémoire les titres qui me faisaient rêver : Le Survenant, Pension Velder, Rue de l'Anse, En haut de la Pente Douce, La famille Plouffe... Ce sont ces réminiscences qui ont fait porter mon choix sur le livre de Roger Lemelin, Les Plouffe, et je ne l'ai pas regretté.
Il n'est pas banal de savoir que Roger Lemelin n'avait que 29 ans lorsqu'il a peint ce portrait jouissif de Saint-Sauveur, son quartier natal en basse ville, en bas de la Pente-Douce, ainsi nommée en l'honneur du premier roman de l'auteur.
L'action se déroule dans une famille d'ouvriers, entre 1938 et 1945. Théophile, le père, est un typographe sur le point de prendre sa retraite et qui nourrit une haine féroce envers les Anglais. Joséphine, son épouse, tient sa maisonnée de main de maître. L'aînée, Cécile, qu'on appelait à l'époque une vieille fille, entretient un amour platonique pour son ancien cavalier aujourd'hui marié et père de famille. L'aîné des garçons, Napoléon, également célibataire, collectionneur de statistiques sportives, est peu doué mais tellement attachant. Le deuxième, Ovide, est le personnage principal du roman. Passionné d'opéra, il est insatisfait de sa condition et cultive des rêves de grandeur irréalisables. Finalement, le plus jeune, Guillaume, possède des dons sportifs. N'oublions pas le curé Folbèche, fervent nationaliste, qui sent bien que ses paroissiens se détachent peu à peu de leur pasteur et de l'Église.
Sous la plume truculente et terriblement créative de Lemelin, la maison des Plouffe prend vie. Chacun de ses membres s'anime. On découvre leurs espoirs, leurs peines, leurs frustrations, leurs rêves, leurs déceptions. On les regarde grandir, prendre forme petit à petit, se trouver, s'affirmer. Tous sont profondément enracinés dans la société décrite sans complaisance par l'auteur, où l'Église domine encore la vie des citoyens à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Les patrons peu ennuyés par les embryons de syndicats disposent des travailleurs selon leur bon vouloir. L'éducation reste difficilement accessible aux classes ouvrières et détermine le destin de leurs enfants. La guerre, telle une secousse tellurique, ébranlera les fondations de la société. On sent déjà poindre dans les envolées littéraires de l'auteur les prémisses de la Révolution tranquille.
Enfin, Pierre Curzi fait de cette œuvre touffue une lecture remarquable, vivante, efficace. Les Plouffe m'ont procuré un véritable plaisir d'écoute.
Roger Lemelin, Les Plouffe, lu par Pierre Curzi sur Ohdio, 12 h 50.