Crédit photo: Chris "Mojo" Denbow / Flickr
Internet nous permet d'écouter et de lire dans leur version intégrale les discours de la convention démocrate de Denver. Et c'est une excellente occasion de voir ce qui nous distingue des Américains.
Ces discours sont de toutes sortes. Certains ressemblent à ce que nous pouvons entendre en France, comme celui, très politique de John Kerry, d'autres pourraient, à quelques nuances près être prononcés par un européen, comme le très brillant, très amusant et solide discours de Bill Clinton. D'autres ne pourraient jamais être donnés chez nous sans susciter des commentaires ironiques. Je pense notamment à celui de Joe Biden.
De bonne tenue quoiqu'un peu terne sinon dans sa critique, incisive, de la politique étrangère de l'administration Bush, ce discours commence par un long développement sur la famille du candidat, ses enfants, son père, sa mère présente dans la salle et que la caméra montre émue (ce qu'elle est sans doute) pendant que son fils parle d'elle. Tout se passe comme si ce n'était pas un candidat seul que l'on choisissait, mais un candidat et sa famille.
Cela ne se passerait évidemment pas comme cela en Europe, même si Blair ou Sarkozy se sont engagés dans cette voie. Cette insistance sur la famille explique peut-être les réactions outrées des Américains lorsqu'ils apprennent que l'un de leurs politiques a eu des maîtresses. Ce n'est pas tant leurs aventures qu'ils condamnent que l'écart entre ces déclarations d'amour familial et leurs comportements. Si nous sommes plus tolérants avec nos élus, c'est peut-être tout simplement qu'ils nous font grâce de ces apologies des vertus familiales.
Joe Biden ne se contente pas de nous présenter sa famille, il nous dit qu'il est fier de ses fils, de sa femme. La formule "I am proud of…" revient constamment dans ces discours. De la même manière, Obama évoque son grand-père, sa mère, sa grand-mère.
Ces hommes ne manquent pas une occasion de le rappeler : ils sont fiers de leur famille, de leur parcours personnel, de l'histoire et des valeurs de l'Amérique. Ils ne doutent pas, ils ne s'interrogent pas. On les imagine mal allant, comme Nicolas Sarkozy, à Londres ou Berlin expliquer leur admiration pour des sociétés étrangères. Aucun pays ami n'est d'ailleurs cité directement dans ces discours : l'étranger n'est cité que lorsqu'il est perçu comme une menace. Ils sont Américains, surs d'eux-mêmes. Même s'ils ont le sentiment que cette promesse américaine, ce rêve américain auxquels ils font constamment référence sont menacés, ont été mis à mal par 8 ans d'administration Bush."Keep the american dream alive" dit Obama.
La rhétorique est également différente. Jean Véronis a montré que les discours écrits par Henri Guaino pour Nicolas Sarkozy usaient et abusaient de de l'anaphore (figure qui consiste répéter les débuts de phrase) que l'on retrouve chez Obama, mais on devine, chez d'autres orateurs, l'influence de l'office du dimanche. Joe Biden multiplie les épistrophes (répétition d'un mot ou groupe de mots à la fin de plusieurs membres de phrases pour obtenir un effet incantatoire ou insistant) qui incitent la foule à reprendre ses mots, figure directement empruntée aux prédicateurs.
Autre différence notable mais qui surprend moins quiconque s'est promené aux Etats-Unis : l'abondance de drapeaux dans l'assistance et l'insistance sur le patriotisme que l'on retrouve dans tous les discours, patriotisme qui paraitrait, chez nous, au mieux un peu ridicule, mais serait plus sûrement associé à l'extrême-droite.
Un mot, enfin, sur les applaudissements. Ils sont nourris, nombreux, ils sont aussi un indice de la popularité des personnalités (voir le succès de Clinton), mais aussi de ce qu'attendent les électeurs et montrent là-encore des différences sensibles. On associe souvent, de ce coté -ci de l'Atlantique, les démocrates et la gauche telle que l'incarne un parti comme le PS. C'est probablement une simplification. L'une des parties du discours de Barack Obama les plus applaudies est celle dans laquelle il en appelle à la responsabilité individuelle, notamment à la responsabilité parentale qui serait chez nous plutôt un thème de droite (même si Ségolène Royal a développé dans la campagne un thème voisin). L'Amérique n'est certainement pas l'Europe. Quoiqu'on ait pu dire de la globalisation, les différences persistent.