RÉSUMÉ : Pendant la guerre de Sécession, le colonel nordiste John Marlowe est chargé d'ouvrir la route du Sud : avec un détachement de cavaliers, ils ont pour mission de couper les voies de ravitaillement des Confédérés, ce qui permettrait de précipiter la fin du conflit. L'État-major lui adjoint un médecin qui s'avère particulièrement peu enclin à obéir aux ordres, et la situation se complique lorsqu'ils se voient contraints d'embarquer avec eux une aristocrate sudiste...
C'est une édition particulièrement riche et significative pour les cinéphiles qui sera mise en vente début novembre 2024 : les Cavaliers de John Ford se voit réédité par Rimini dans un superbe médiabook proposant, outre les galettes DVD et blu-ray qui bénéficient d'un nouveau master HD, un livret et des documentaires inédits.Réalisé à la fin de la carrière de l'immense John Ford, the Horse Soldiers est un métrage bourré de paradoxes, tant dans sa conception que dans sa réalisation. L'interview croisée de deux journalistes spécialisés proposée en bonus dans le nouveau blu-ray, quoique parfois redondant, est particulièrement généreux en anecdotes et permet de replacer le film dans son contexte artistique et culturel. Ainsi, comment un metteur en scène aussi prestigieux et accompli que John Ford, dont la passion avouée était la Guerre de Sécession (un historien avait dit de lui qu'il n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi calé sur le sujet), a-t-il mis autant de temps avant d'entamer un projet évoquant sa période de prédilection ? Car bien qu'ayant signé de très nombreux westerns, il n'avait jusqu'en 1959 jamais véritablement exploré le sujet, même si les références pullulent (le contexte de se déroule juste après par exemple).
Encore auréolé de gloire mais conscient d'être au crépuscule de sa carrière, Ford va s'appliquer à transposer à l'écran un roman narrant un épisode-clef du conflit. Sauf que le bonhomme a également développé sa propre vision de la guerre, et s'appliquera jusqu'au moindre détail à insérer ses penchants pacifistes dans un film qui, sur le papier, est censé illustrer des batailles aussi impressionnantes que sanglantes. Ainsi, son personnage principal, librement adapté d'un officier ayant réellement mené cette audacieuse expédition, ne sera jamais montré en train d'utiliser la moindre arme à feu. Troublant lorsqu'on voit ou John Wayne et sa démarche chaloupée : l'on s'attend automatiquement à moult pugilats (il y en a) et fusillades (il y en a aussi), mais ce dernier se place plutôt dans le rôle du donneur d'ordres que du pourvoyeur de mort. On retrouvera dans son attitude d'ours mal léché face à la sémillante aristocrate sudiste bon nombre de mimiques et répliques qui parsèment des comédies enlevées comme l'Homme tranquille. D'ailleurs, dès l'apparition de celle-ci, le cinéphile voit venir de loin la genèse d'une romance chaotique faite de sourires discrets, de coups d'œil et de répliques cinglantes et l'on se doute que les œillades enamourées de la belle célibataire finiront par avoir raison de l'indifférence de façade du sémillant officier de cavalerie.
De fait, le métrage s'avère intéressant, ponctué de moments de bravoure et de scènes plus intimes, et les prises de bec entre le colonel (Wayne) et le médecin ( Holden) entretiennent une tension exaltante. Deux comédiens jouissant d'une réputation indiscutée, qui leur valut d'ailleurs un contrat en or massif, inédit pour l'époque. En outre, ces deux-là s'entendaient pour taquiner la dive bouteille, ce qui compliquait sérieusement la tâche de Ford qui, malgré son alcoolisme chronique, s'évertuait à demeurer sobre sur les tournages ; de quoi forcer nos compères à trouver des stratagèmes pour pouvoir boire sans être vus par le patron.
Le scénario permet également au metteur en scène de proposer ses cadrages grandioses, multipliant les prises de vues en extérieur, les couchers de soleil et les contrejours. Sauf qu'on est loin des tons ocres et chauds de ses westerns tournés vers Monument Valley, et on a l'impression qu'il a donné des instructions précises à son chef opérateur pour que la photo des paysages du Mississipi ou de la Louisiane n'aient pas la tonalité d'une carte postale, mais reflètent les horreurs d'un conflit qui s'éternisait. Toutefois, les moments de bravoure s'enrichissent de véracité historique : la charge des cadets sudistes, pour pathétique qu'elle soit (les Confédérés ne pouvaient réunir suffisamment vite des troupes capables de ralentir la progression du détachement yankee), s'inspire d'un événement qui s'est réellement déroulé. De quoi apporter de l'eau au moulin d'un John Ford instillant chaque scène glorieuse d'une bonne dose d'amertume.
Moins un western qu'un film de guerre, les Cavaliers se regarde au rythme de la ballade bien connue des Américains (" I left my home "), semble écrite en hommage aux régiments de cavalerie ayant permis la victoire finale, décrit des escarmouches et des actes de sabotage réels, parfois avec force détails (comme lorsque les Nordistes démontent, font chauffer et plient les rails avant de les jeter dans le fleuve) avant de s'achever sur un ton mi-figue mi-raisin, comme à regret. L'explication est à trouver dans un dramatique incident de tournage, qui a vu le décès d'un des cascadeurs fidèles du metteur en scène. Ce dernier, profondément touché par cette tragédie, s'est refusé à poursuivre l'entreprise et a bouclé son film à la va-vite.
Difficile pour autant de dire qu'il est inachevé, mais le fait est que le résultat final déroute, et a déçu bon nombre de cinéphiles. L'œuvre ne fait pas partie des films les plus connus du réalisateur légendaire, et passe pour être un ratage. S'il est vrai qu'il n'a pas atteint (loin s'en faut) les objectifs de rentabilité prévus, il n'en reste pas moins un métrage consistant, filmé avec savoir-faire et sérieux, qui sait magnifier chaque pose d'un Wayne pourtant également affecté par sa vie personnelle (sa femme a tenté de se suicider pendant le tournage) et raconte un épisode méconnu mais essentiel de la Guerre de Sécession sans pour autant prendre ouvertement parti. La nouvelle copie ravive des couleurs qui demeurent dans une palette un peu terne et donne un coup de jeune aux images, parfois spectaculairement. Seules quelques scènes nocturnes manquent de définition. La VO est claire et équilibrée avec des dialogues parfaitement audibles.