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L'entrée du Christ dans la langue française, de Richard Millet

Publié le 26 octobre 2024 par Francisrichard @francisrichard
L'entrée du Christ dans la langue française, de Richard Millet

Tout seuil n'est pas un leurre

ni la frontière un mur ni soi un autre

Le lieu est bien toujours la formule où vous êtes

mon Dieu dans les cris le silence les feux

du soir à portée de voix

blanche dans la langue

où vous ne cessez de naître

Ces vers précèdent les cinq parties du recueil.

Le poète s'était longtemps détourné de la poésie pour les miroirs et les récits. Et il s'était éloigné du Seigneur...

VOICI LE RETOUR DU ROI

Né en mars, le 29, en l'an de grâce 1953, peu de temps avant Pâques, qui avait lieu le 5 avril cette année-là, il aurait pu mourir, puis renaître avec Lui:

L'unique mort de Dieu est celle

dont le Christ ressuscite

au troisième jour

Le reste est bruit du siècle

et amour du mensonge

dans la mesure d'une langue

qui se retire du monde

tandis que la mer monte

dans le sommeil des esprits

Il sait qu'il emploie un langage rebattu pour s'adresser à Lui:

Banale en effet toute langue

devant votre visage et pauvre

jusqu'aux métaphores

qui me séparent de vous

pour vous rendre plus proche

Il sait gré toutefois à la langue française de pouvoir Lui dire Vous mieux que Tu.

S'il lui manque le latin de l'enfance, il lui reste sa langue et aurait honte du péché que ce serait de commettre un crime contre elle:

Qui blesse la langue ne lèse pas

que la loi de syntaxe mais la vérité

donnée par mère et baptême sous l'arche

où l'e muet ouvre en moi

comme au coeur de l'amande

le silence où je serai nommé

POUR UN EXORCISME

Il semble avoir composé cette partie pour exorciser la perte de la femme qu'il aimait, atteinte par le mal:

Ta voix à l'aube dans le givre

reprend la forme de ton coeur

oubliant le mal de l'obscure 

étoile que la chimio

éteint multiple dans ton sang

Sa foi, en quelque sorte, le sauve:

Vous aimer Seigneur

c'est aimer toujours celle

dont l'absence me retranche

de l'éternité en devenant ce tilleul

redoublé des oiseaux qui y chantent

Et de le prier, songeant à Hélène, la troyenne beauté, et à Beatrix, l'aimée de Dante:

Seigneur donnez-moi la force

de traverser la langue

avec celles qui n'ont pas eu le temps

LES OUTRAGES

Il réprouve les outrages faits au Seigneur:

Outragé chaque jour

le coeur cerclé d'épines

le manteau d'infamie

aussi lourd que le siècle

péchés comme des mouches

au flanc ouvert par la lance

Sa langue est sa misère:

Je m'y rêvais royal

et reste un maladif enfant

pas même pauvre en esprit

Il ne peut que constater:

Moqué trahi vendu plus douteux

que jamais la langue aussi bradée

pour les perpétuels deniers du rire

PSAUMES BLANCS

La langue, plus que toutes la française, est la voie:

Je ne me fie plus qu'à la langue

qui ouvre en moi le chemin

où retrouver mon souffle

dans la mesure de la parole

alors je tituberai de joie

sur le seuil où chantonnent les ombres

Ce, dès le commencement:

Visage premier dans la langue

le nom répond au cri

la pluie me surveille dès l'aube

le juste mot reste à taire

Le chercher c'est déjà prier

Et sa foi est son guide:

Toucher vos vêtements Seigneur

vous parler sans vous voir

bientôt guéri par ce linge

qu'on frôle en écrivant

sans cesser de saigner

ni de regarder le monde

à travers sa propre blessure

Le poète, vieilli, prie:

Seigneur ma vie se détache feuille

à feuille du tilleul natal

je n'aurai pas attendu les fleurs

apprenez-moi à moudre entre les mots

le sel des larmes que je n'ai su verser

SOLITUDES

Il est seul, vieux. Il n'a plus d'épouse. Ses fiancées sont mortes. Que peut-il faire Seigneur?

Écrire c'est attendre votre venue

la différer ou hâter je ne sais

mais vous êtes d'avant le chant

parole parmi les vents

les siècles poussière d'os

votre main me délivrant

déjà de la figure qu'il faut

faire bonne ici-bas

Mais ne serait-ce pas plutôt à lui de vous rejoindre?

Seigneur laissez enfin venir à vous

l'enfant qui s'est glissé

dans le corps que voici

Francis Richard

L'entrée du Christ dans la langue française, Richard Millet, 112 pages, Samuel Tastet Éditeur

Précédents billets sur des livres de Richard Millet:

Fatigue du sens (17 décembre 2011)

La souffrance littéraire de Richard Millet (21 septembre 2012) :

- Langue fantôme, suivi de, Éloge littéraire d'Anders Breivik

- Intérieur avec deux femmes

- De l'antiracisme comme terreur littéraire

Trois légendes (21 novembre 2013)

L'Être-Boeuf (3 décembre 2013)

Une artiste du sexe (30 décembre 2013)

Le corps politique de Gérard Depardieu (25 novembre 2014)

Solitude du témoin (3 mai 2015)

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