J'ai fini hier soir "Béatrix" de Balzac. Roman écrit en 3 fois, et donc en trois parties, entre 1839 et 1844. Commencé pendant mes vacances à Guérande, ce roman m'a envoûtée par la double histoire d'amour impossible entre Félicité des Touches et Calyste du Guénic, et entre Calyste et Béatrix. Me trouvant précisément dans la région où se déroule l'histoire, j'ai tenté, d'après les descriptions de Balzac, de retrouver la maison de Calyste et celle de Félicité, mais en vain, les choses ont sans doute beaucoup trop changé depuis ! Voici donc une petite description du Guérande de 1830 :
" Si vous arrivez à Guérande par Le Croisic, après avoir traversé le paysage des marais salants, vous éprouverez une vive émotion à la vue de cette immense fortification encore tout neuve. Le pittoresque de sa position et les grâces naïves de ses environs quand on y arrive par Saint-Nazaire ne séduisent pas moins. [...] Aussi Guérande, avec son joli paysage en terre ferme, avec son désert, borné à droite par Le Croisic, à gauche par le bourg de Batz, ne ressemblent-t-elle en rien de ce que les voyageurs voient en France. [...] La ville produit sur l'âme l'effet que produit un calmant sur le corps, elle est silencieuse autant que Venise. [...] A dix lieues à la ronde, Guérande est toujours Guérande [...] la clef de la côte, et qui accuse, non moins que le bourg de Batz, une splendeur aujourd'hui perdue dans la nuit des temps. [...] elle vous occupe et vous appelle comme une femme divine que vous avez entrevue dans un pays étrange et qui s'est logée dans un coin du coeur." (Béatrix, ed. Folio, pp.31-33)
J'ai retrouvé là encore, comme dans la deuxième partie des Illusions Perdues, le Balzac de ma jeunesse, j'ai retrouvé les sensations, mais avec en plus la joie de mieux comprendre ces sentiments et aussi, et surtout le plaisir de vivre avec ce personnage fabuleux : Félicité des Touches/Camille Maupin. Si vous avez suivi, vous savez que ce personnage a, entre autre, été inspiré par George Sand. Balzac fait de nombreuses références non seulement à Sand, elle-même, mais aussi à ses romans. Quand il évoque Sand c'est essentiellement dans sa position d'écrivain et non de femme croqueuse d'hommes, ce qui montre bien l'estime qu'il pouvait avoir pour son travail. Voilà ce qu'il en dit :
" (Félicité) se moque très bien de Camille Maupin, ce cadet de George Sand qu'elle appelle son frère Caïen, car cette gloire récente a fait oublier la sienne. Mlle des Touches admise son heureuse rivale avec un angélisme laisser-aller, sans éprouver de jalousie ni garder d'arrière-pensée." (p.115)
ou encore :
" Camille Maupin, qui partageait le goût oriental de l'illustre écrivain de son sexe...." (p.133)
Il évoque également le roman Jacques, qu'il qualifie de chef d'oeuvre. Mais le charme du roman ne repose par uniquement sur cette référence à Sand. Les errances des sentiments amoureux sont merveilleusement saisis, mais aussi, notamment à la fin, les mises en scène, les tromperies liées aux amours, les manigances des intriguants, la difficulté d'aimer sincèrement au XIXé dans le monde parisien. Béatrix incarne la femme coquette (tant critiquée par Sand), préoccupée d'elle-même, trompée en amour et qui trompe à son tour, fière d'être aimée alors qu'elle a dépassé la barrière fatidique des 30 ans, elle se sert de ce pauvre Calyste comme une courtisane. Il s'agit pour moi d'une anti-héroïne, comme l'est aussi la cousine Bette, le personnage valorisant étant, au féminin, davantage Félicité que Béatrix. Mais cela répond aussi à la volonté balzacienne de décrire le monde dans sa vérité la plus dérangeante, et donc d'axer sur les mauvais penchants en évitant le romantisme illusoire.
La troisième partie intitulée "un adultère rétrospectif" est sans doute la partie qui m'a le moins plu, sans doute parce que l'organisation du stratagème final a nécessité l'intervention de nombreux personnages et on finit un peu par s'y perdre. Cependant, il est bien évident que je vous recommande la lecture de ce roman.