Les réseaux sociaux sont devenus omniprésents dans nos vies, et de plus en plus de familles en font un terrain de jeu lucratif. Avec la mini-série Les Enfants sont Rois, adaptée du roman de Delphine de Vigan, le spectateur est confronté à une question brûlante d'actualité : jusqu'où peut-on exposer des enfants pour la popularité, voire le profit ? Ce thriller en six épisodes n'hésite pas à explorer le monde impitoyable des enfants influenceurs et leurs parents, mettant en lumière les risques et les dérives d'un phénomène qui, paradoxalement, est de plus en plus banal. Au centre de l'intrigue se trouve Kimmy, une enfant star sur les réseaux sociaux, transformée en " produit " par sa propre mère. Derrière le sourire éclatant de cette petite fille qui déballe des cadeaux face à des milliers de spectateurs, se cache une réalité plus sombre.
Quand une petite fille de 6 ans est kidnappée en plein jour, l'onde de choc dépasse son cercle familial car la fillette - Kimmy - est une star dont les vidéos postées quotidiennement sont suivies par des millions de spectateurs. L'enquête est confiée à Sara Roussel, chef de Brigade au SDPJ. Pour tenter de sauver la petite fille, Sara va devoir plonger dans un monde dont elle ignore tout et entrer dans l'intimité́ de cette famille qui a appris à vivre sous le regard de leur communauté́. Tandis que les "fans" de la petite fille mènent leur propre enquête, établissent des théories et désignent leurs coupables, Sara se rapproche irrésistiblement de Mélanie, la mère de la petite. De confidences en confidences, cette mère de famille va dévoiler ses secrets et ceux de son entourage jusqu'à semer le doute sur le véritable coupable...
Ce n'est plus seulement l'innocence de l'enfance qui est en jeu, mais bien la vie d'une enfant sacrifiée pour la notoriété. La série dépeint cette enfance volée avec une justesse qui rend chaque épisode poignant. Et le fait que Kimmy finisse par être kidnappée vient souligner la tension de cette exploitation, tout en ouvrant la voie à une enquête policière. Mais attention, le thriller policier n'est pas ici le seul fil conducteur, et même s'il est bien exécuté, il tend parfois à détourner l'attention du véritable sujet de la série : la marchandisation de l'enfance. Le casting joue un rôle essentiel dans le réalisme et la profondeur du message porté par la série. Doria Tillier campe avec brio Mélanie, cette mère aussi fragile qu'impitoyable, fascinée par le pouvoir des réseaux sociaux. Derrière son image de mère attentionnée se cache en réalité une femme qui voit en sa fille une source de reconnaissance sociale et de revenu.
Cette ambivalence dans le personnage de Mélanie apporte une dimension complexe et saisissante à la série, en montrant que les responsables de ce phénomène ne sont pas toujours des caricatures de " parents toxiques ", mais des individus aspirant eux aussi à l'acceptation et à la validation. Les autres personnages, qu'il s'agisse des enquêteurs ou des protagonistes secondaires, apportent chacun un éclairage unique sur cette réalité. Leurs interactions tissent une toile de réflexions et de dilemmes moraux, rendant la série encore plus captivante. Les inspecteurs, interprétés par Géraldine Nakache et Oussama Kheddam, sont eux-mêmes pris dans une sorte de paradoxe : ils doivent résoudre un crime tout en étant confrontés à un malaise éthique. Plus qu'un simple thriller, Les Enfants sont Rois invite à une réflexion profonde sur les réseaux sociaux et leur capacité à façonner nos vies. La série montre comment des enfants, qui devraient être protégés, sont transformés en objets de divertissement pour des millions de spectateurs anonymes.
Cette idée est d'autant plus glaçante qu'elle nous ramène à notre propre rôle de spectateurs et à l'influence que nous avons sur les tendances de la société numérique. Le parallèle avec des œuvres comme The Truman Show est flagrant : Kimmy vit dans une sorte de " télé-réalité " qui n'a pour seul public que les spectateurs en ligne. Son quotidien est aménagé par sa mère pour répondre aux attentes d'une audience en quête de contenu sensationnel. La série pousse ainsi à une prise de conscience sur l'effet des réseaux sociaux, non seulement sur ceux qui se produisent devant la caméra, mais aussi sur ceux qui consomment ce contenu. L'intrigue policière, bien que solide, peut parfois être un peu trop conventionnelle, et certains éléments classiques du genre policier viennent diluer le message principal. Cela dit, l'enquête permet de tenir le spectateur en haleine jusqu'à la fin, où le dénouement dramatique soulève des questions sur la limite de cette fascination pour la célébrité. Même si cette conclusion peut sembler un peu abrupte, elle met en lumière le poids des conséquences.
Les scènes où Kimmy participe à des défis absurdes ou des jeux ridicules - souvent imposés par les tendances sur Internet - ajoutent une dimension réaliste et profondément perturbante. Elles montrent à quel point la quête de vues et de " likes " peut amener à normaliser des comportements inappropriés, et à forcer des enfants à agir pour plaire aux spectateurs virtuels. C'est ce regard sans concession sur la société qui donne à la série sa force et son authenticité. Les Enfants sont Rois est bien plus qu'une série à suspense ; elle est une véritable dénonciation de cette " industrie de l'enfance " qui se développe sur Internet. En un format court de six épisodes, la série réussit à dévoiler les rouages d'un système où les parents deviennent les agents de leurs enfants, cherchant à monétiser chaque moment de leur vie pour un public avide de contenu. Le choix de condenser cette intrigue en six épisodes est judicieux. Il permet de garder le spectateur concentré, sans s'éparpiller dans des arcs secondaires ou des digressions inutiles.
Cette concision renforce d'ailleurs le propos central, en évitant tout " remplissage " souvent présent dans les formats plus longs. Cependant, on pourrait regretter un certain manque de nuances dans la dénonciation, car tous les personnages semblent être pris dans un engrenage sans échappatoire. Les Enfants sont Rois offre une plongée dérangeante et fascinante dans l'univers des enfants stars des réseaux sociaux. La série réussit le pari de provoquer la réflexion en dénonçant la banalisation de l'exploitation des enfants pour le profit et la notoriété. À une époque où la ligne entre la vie privée et l'exposition publique est de plus en plus floue, cette mini-série rappelle que le bien-être des enfants devrait primer sur tout le reste. Avec un casting brillant, une intrigue captivante et un message percutant, cette série mérite d'être vue et discutée. Elle laisse le spectateur face à une question fondamentale : dans un monde où tout se partage et se consomme, jusqu'où sommes-nous prêts à aller pour un peu de visibilité ?
Note : 7/10. En bref, si l'intrigue policière est ultra conventionnelle et finie un peu trop comme un cheveu sur la soupe, la critique sociale sur les enfants influenceurs fonctionne très bien et le casting est au petits oignons.