Secrets (Bimil gwa keojitmal)
Auteur : Hee-kyung Eun
Traduit du coréen par Kim Young-sook et Arnauld Le Brusq
Éditions : Picquier (2 Février 2017)
ISBN : 978-2809712292
352 pages
Quatrième de couverture
A la mort de son père, Yeongjun, cinéaste audacieux mais homme taciturne et sans attaches, revient dans sa ville natale qu'il a quittée il y a vingt-cinq ans. Il y rencontre son frère et apprend que sur son lit de mort, leur père les a chargés d'une étrange mission : vendre la maison de leur enfance et faire don du fruit de la vente à une inconnue. Dès lors se lèvent les échos bruissants du passé, réveillant rêves et souvenirs, ranimant la violente rivalité des frères au temps où ils se disputaient l'attention d'un père dominateur qui a façonné leur personnalité et leur devenir d'homme.
Mon avis
Celui qui ne possède aucune richesse intérieure n’éprouve aucun goût à vivre et tout lui est indifférent. » (page 215)
Si j’ai vu quelques, très bons, films coréens, je ne me suis jamais penchée sur la littérature de ce pays. L’autrice de Secrets est connue et reconnue, l’occasion était donc là pour une découverte totale de ce roman et de Eun Hee-kyung.
C’est à pas feutrés et avec beaucoup de détails qu’on s’imprègne de cette histoire. L’écriture (bravo aux deux traducteurs) est pointilleuse, précise, « analytique ». Rien n’est laissé au hasard, ni les faits, ni les pensées de chacun. Il faut que le lecteur soit au courant de tout ou presque, je vous rappelle que le titre est « Secrets » avec les tenants et les aboutissants de ce type de situation. Le tout est parfaitement développé pour qu’on ne se perde pas (même si je suis persuadée que certains penseront qu’il aurait fallu « écrémer »).
Yeongjun est réalisateur, il a fui la ville de K. trop terne, pour faire sa vie ailleurs. Son frère, Yeongu, est resté sur place et à la mort de leur père, il reprend contact avec lui. Ils n’ont que peu de liens mais ils vont bien être obligés d’agir ensemble même si l’aîné n’en a pas envie. La tâche qui leur incombe est de vendre la maison où ils ont vécu enfants et de donner l’argent à une inconnue. Mais quelle idée a eu leur paternel dans ses dernières volontés ? Cette demeure en elle-même est une part cachée de leur vie.
Nous arrivons dans la ville de K. que nous voyons par les yeux de Yeongjun, il est assez détaché de ce qu’il examine mais ses ressentis et ses fines observations nous permettent de comprendre comment s’est construit cette cité. On le suit dans ses pensées qui font des allers-retours, qui partent sur une autre voie avant de revenir. Ce n’est pas linéaire donc ce n’est pas aisé à lire mais c’est unique par l’atmosphère qui se dégage. À travers l’histoire de cette famille sur trois générations, c’est aussi l’histoire d’un pays que l’on aperçoit.
Un des personnages s’interroge : « Pourquoi est-ce à moi de porter les secrets des autres depuis plus de trente ans ? »
Qu’en est-il de ces secrets qui unissent et désunissent les familles ? Qui rongent ? Qui changent les relations ? Qui installent suspicion et mensonges ? Au fil des pages, ce qui était tu ou caché se dévoile avant parfois d’être recouvert d’un voile flou.
Pour moi, ce récit ne ressemble en rien à ce que j’ai déjà lu, il se mérite car la construction n’est pas ordinaire. Ce qui est le plus marquant, c’est ce style, parfois épuré pour parler de certains individus qui ont moins d’importance, alors qu’il est infiniment précis pour les principaux protagonistes.
C’est l’histoire d’une famille, d’une ville, d’un pays. Les trois se sont construits, ont quelques fois été détruits, ont rebondi plus ou moins bien, ont été aimés ou détestés mais tous ont grandi, comme le lecteur au contact de ce texte qui le fait sortir de sa zone de confort, qui l’oblige à ouvrir son esprit pour mieux ouvrir son cœur et laisser le phrasé de Eun faire son chemin en nous.