Le Repli, de Joseph Paris

Publié le 24 octobre 2024 par Africultures @africultures

En sortie le 30 octobre 2024 dans les salles françaises, Le Repli rappelle la montée des discours racistes en France depuis le début des années 80 et la restriction des libertés depuis 2015. Une analyse salutaire, d’une profonde actualité.

On croit tout savoir et pourtant. Ce genre de film qui rappelle les faits et en condense l’histoire a son importance, pour clarifier les argumentaires, et revenir à l’essentiel quand tout se brouille en cette période de trop-plein. Joseph Paris s’appuie sur un ami activiste militant : Yasser Louati, lequel décrypte l’actualité sur sa chaîne youtube, son blog sur Mediapart, son podcast, etc., et dont sa maîtrise de l’anglais lui permet d’être sollicité par les télévisions étrangères pour représenter le point de vue des musulmans de France, se trouvant ainsi parfois en position d’accusé. Le film est ainsi fait à deux, mariant les deux démarches : le commentaire-enquête engagé du réalisateur et les interviews. Le tout entrecoupé d’images d’illustration en rythme saccadé ou de grattages de photos en noir et blanc des personnalités évoquées sur un mode expérimental underground. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que ce dispositif de ratures et déchirures grandisse le propos, comme s’il fallait souiller encore davantage l’image des politiques à une époque où le « tous pourris » mène à l’extrême-droite.

Mais le film s’attache heureusement à l’analyse et avouons que ces hommes politiques se prêtent bien à cette macabre métaphore des tigres de papier : cela commence par l’État d’urgence et la déchéance de nationalité après les attentats de 2015, puis l’instrumentalisation de l’islam par la gauche dans les années 1980, puis la loi sur le voile votée par la droite, les violences policières, la déviation de la laïcité… Mettre tout cela bout à bout en dévoile l’accablante continuité, à l’heure où l’on nous promet une nième loi sur l’immigration et où se resserre toujours davantage l’étau pour tous ceux que l’on veut isoler dans leur différence.

Résultat d’une remarquable recherche d’archives et dévoilant des documents gravement mensongers, le film ne s’appelle pas Le Repli pour rien : il documente la montée du racisme et les restrictions des libertés. Sur quoi se replie-t-on ? Sur une identité fantôme et pourtant sans cesse revendiquée, alors que, comme le disait le grand historien Fernand Braudel, « la France n’est que diversité ».[1] La responsabilité politique de la gauche comme de la droite est énorme et si le film insiste sur les discours et les lois, c’est que ce repli orchestré d’en haut s’imprime dans les esprits comme naturel et nécessaire, rejoignant ce qu’on pense tout bas. L’insécurité est instrumentalisée et les regrets de François Hollande sur la déchéance de nationalité n’y changent rien : le « nous » exclut de fait ceux que la République ne veut pas reconnaître, forcément d’origine extra-européenne. Il y a nous et les autres. Et voilà que de perquisitions en répressions, l’Etat de droit est remis en cause. La banalisation des thèmes et solutions de l’extrême droite fait son chemin jusqu’à menacer cette même République en attisant les haines, fragilisant le lien social et détruisant la solidarité nationale.

Voici donc que notamment à travers le témoignage de Yasser Laouti, ce sont les premiers concernés qui accèdent à la parole, ces musulmans que Daesh cherche à transformer en ennemi intérieur pour les déstabiliser autant que le reste de la société. En les excluant et les réprimant, on donne aux terroristes ce qu’ils voulaient en torpillant l’unité nationale. Leur parole dans le film n’est pas seulement politique mais aussi une intimité, le ressenti de ceux que l’on soupçonne et que l’on menace, voire agresse, même dans le cadre familial. La systématisation des violences policières est dès lors mise en exergue.

Le mal remonte à loin : lorsque les immigrés, au début des années 80, ont revendiqué l’égalité des salaires. Si les droits d’un groupe ne sont pas respectés, ce sont les droits de tous qui sont menacés. Au fur et à mesure du film, cette maxime se confirme toujours davantage. Outre les discours populistes et xénophobes, la médiatisation des répressions dans la société de la peur désigne les coupables : les étrangers. « Ce qui leur arrive, c’est ce qui nous attend », avertit le réalisateur. Parce que la condition de toute liberté reste l’égalité.

[1] L’identité de la France, en trois volumes, Paris, Arthaud-Flammarion, 1986.

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