En fait, elle ne vous tend pas vraiment la main. Votre menotte, elle la tient depuis toujours. Seulement la pression est si légère qu’on n’y pense pas. On peut même faire semblant de croire qu’elle vous a oublié. Du coup on se détend, on respire, on plaisante. Moi ! Danser avec elle ? J’ai tant d’autres choses à faire. Cultiver mes jardins, public et secrets, chercher, dans la forêt d’Harvaux, des contes et des champignons, pêcher la truite ou l’électeur. Pas de temps pour la gambade, vous dis-je ! Pauvre imbécile qui croit qu’on peut ruser avec elle.
« Oui, c’est moi, j’ai trouvé un coin confortable à deux doigts du cœur de celle que tu aimes le plus. Ça porte un joli nom, ça s’appelle le médiastin. Ça fait vallée du Rhône, Provence, Gloire de mon Père, balade dans la garrigue et sieste sous les oliviers. Tu ne t’y attendais pas ? Incroyables, vous êtes incroyables ! »
Elle a, en disant ça, un sourire ironique et blasé. «Au fait, pas de panique, tu as entendu ce que lui a dit l’expert à lunettes à celle que tu accompagnais. Ce qu’elle a, ça se soigne ! Très bien même. Tu n’es pas convaincu ? Tu as tort. Tu as entendu parler du jeu du chat et de la souris ? Parfois ça dure très longtemps. Comme j’ai tout mon temps, j’aime beaucoup y jouer. Avec moi ça peut se prolonger des années ! On peut même croire que le chat abandonne.
- Mais il n’abandonne pas.
- Jamais, moi non plus d’ailleurs ! »
Et comme elle sait tout de moi et un peu plus encore, qu’elle connaît par conséquent mon penchant pour l’opéra et qu’elle ne déteste pas l’humour surtout quand il est noir, elle prend sa plus belle voix de mezzo et elle entonne : »
L’amour est enfant de bohème, il n’a jamais, jamais connu de lois
Si tu ne m’aimes pas je t’aime et si je t’aime prends bien garde à toi… »
Tout en chantant, elle me regarde avec le sourire mi-narquois, mi-blasé de qui est sûre de son coup et de son pouvoir. Elle à qui on ne résiste pas. Elle qui doit être obéie.
Chambolle