L’escrime a donc beaucoup évolué au cours de ces vingt dernières années, essentiellement afin de répondre aux exigences de la télévision, exigences relayées avec zèle par le Comité International Olympique (CIO) : masques transparents, escrime sans fil, arbitrage vidéo… En contrepartie de ces évolutions, elle n’a pour le moment rien obtenu de concret de la part du CIO, pas même l’assurance de demeurer au programme olympique. Du coup, elle montre aussi de terribles lacunes en terme d’image, puisque c’est de cela qu’il s’agit : disciplines absentes par tirage au sort, équipes de trois ou de quatre tireurs c’est selon on ne sait pas bien quoi, remplaçant médaillé peut-être ou peut-être pas, dans tous les cas interdit de village olympique… Rappelons que l’absurdité de ce règlement a également conduit à cette image grotesque de deux épéistes qui ne combattent plus en finale des Jeux Olympique et reçoivent un avertissement. Je veux bien que tout cela soit présenté comme un bond en avant, mais franchement je doute. J’ai tenté d’expliquer à des amis et des proches la grande logique qui présidait à tout cela durant les Jeux, je n’y suis pas arrivé. Aux yeux du néophyte tout cela semble évidemment trop complexe, trop mouvant, trop aléatoire, trop inexplicable pour qu’il s’y intéresse vraiment, alors que tout est fait aujourd’hui par ailleurs pour lui simplifier la tâche.
Le Président de la Fédération Internationale (FIE), le Français René Roch, s’est voulu optimiste à Pékin pour l’avenir olympique de la discipline, contrairement au ton plutôt alarmiste de son éditorial de la revue fédérale du mois de juillet 2008.
Pour tout dire, je suis nettement moins bien placé pour en parler, mais je ne partage pas cet optimisme. Je pense au contraire que tout cela est orchestré et destiné à conduire l’escrime – et d’autres disciplines- vers les oubliettes de l’olympisme. Allons ! Peut-être pas. Par égard à l’histoire et à la tradition, on conservera peut-être dans un coin du programme un vague assaut de gala entre quelques bretteurs avec un titre et une breloque à la clef. Vous avez vu, déjà, combien il reste de participants par armes ? Il suffit aujourd’hui de remporter cinq assauts pour être champion olympique. Cinq, et pas un de plus.
L’escrime, comme d’autres il faut insister, n’intéresse pas vraiment le CIO. Trop compliqué, pas assez de public, et surtout pas assez de téléspectateurs en réalité. On n’ose pas le dire comme ça, alors on choisit d’ autres formes. On met sur pied une commission du programme olympique et on édicte des critères pour retenir ou non une discipline.
Ces critères sont au nombre de 33, et en réalité ils ne sont pas très favorables à l’escrime si on regarde objectivement les données. Ainsi, la FIE a beau avancé le chiffre de 127 fédérations affiliées, dans son document d’évaluation des 28 sports olympique, le CIO préfère souligner les éléments suivants, je cite :
- Faible nombre d’heures de couverture télévisée et nombre relativement faible d’heures/téléspectateurs aux heures de diffusion en grande écoute par jour de compétition pendant les Jeux Olympiques d’Athènes en 2004.
- Faible nombre d’articles publiés à l’occasion des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004.
- La FIE fait état d’un faible nombre de pays ayant payé des droits de télévision pour les deux derniers championnats du monde (10 et 11)
Il faut d’ailleurs le dire : si l’on devait compter les fédérations qui existent vraiment, c’est-à-dire les pays où l’on pratique les six armes (trois hommes, trois femmes) dans toutes les catégories, dans toutes les régions, et ou l’on dénombre au moins plusieurs centaines de licenciés, la FIE ne présenterait pas tout à fait le même profil. Sur les 127 fédérations affiliés 84 seulement ont participé aux derniers championnats du monde…
Mais il y a plus grave dans ce rapport. Au détour d’une phrase, on peut lire ceci, in extenso :
« Bien que les efforts de la FIE pour améliorer la qualité et la crédibilité du système d’arbitrage global soient notables, l’application de critères différents dans le jugement des scores pour les trois armes est préoccupante et rend les résultats entre les différentes armes plus difficiles à comprendre ». Vous avez bien lu : « L’application de critères différents dans le jugement des scores pour les trois armes est préoccupante … »Ce qui ne veut rien strictement rien dire. Ou sinon ceci : l’application de critères différents dans le jugement des scores pour le football et le rugby est préoccupante. Bien oui : ce serait évidemment plus simple si on comptait les points de la même façon au sabre et à l’épée ou au football et au rugby mais ce ne serait plus alors des disciplines différentes… de même que l’utilisation de mesures différentes, parfois des minutes et des secondes, parfois des mètres rend les résultats d’athlétisme plus complexes à analyser. Ne riez pas, c’est exactement la même chose.Et pour enfoncer un peu plus le clou du ridicule, le rapport du CIO ajoute sans rire : « les résultats entre les différentes armes plus difficiles à comprendre ». Si quelqu’un peut m’expliquer ce que sont ces « résultats ENTREles différentes armes » et en quoi ils sont si difficiles à comprendre, je suis preneur.
Bref, comme on le voit, le CIO est capable de pondre a peu près n’importe quoi sur un sport, sans le moindre sérieux, ce qui inspire ma plus grande crainte sur l’escrime.
Et du coup, me vient une autre interrogation à l’heure où René Roch , 79 ans, va vraisemblablement se présenter pour un cinquième mandat à la tête de la FIE.
Je sais qu’il n’est pas très correct d’évoquer l’âge du capitaine, et que le président a bon pied bon œil, à ce jour du moins. Il n’est pas non plus interdit de penser qu’un homme de 80 ans a parfois plus d’idées qu’un plus jeune. Il n’empêche. Personnellement, je pense qu’il faut savoir passer la main, ce qui n’empêche pas de continuer à servir d’une manière ou d’une autre, plutôt d’une autre. Cela de toute manière brasse un peu les idées, les bonnes et les moins bonnes aussi peut-être, mais comme les espèces les idées évoluent par mélange et métissage.
Aussi, on ne peut éviter la question qui fâche : à 79 ans, René Roch a dépassé de 9 ans l’âge limite pour être membre du CIO. Le président d’une fédération internationale comme celle d’escrime, a pourtant toutes les chances d’être élu un jour ou l’autre. Alors l’escrime n’aurait-elle pas plus gagné, au bout du compte, à avoir un président plus jeune qui aurait pu la défendre au sein même de l’institution ? J’attends vos avis….
Olivier Zilbertin.