La rescapée by Sophie Doudet
My rating: 4 of 5 stars
voici un roman qui ne passe pas inaperçu. Je dois avouer que les collections de Scrinéo recèlent toujours des pépites et n'hésitent pas à sortir des sentiers battus. Une fois de plus "La Rescapée" nous propose un récit bien différent de la majorité des titres sur les étagères, sans fards, sans brutalité ni excès, mais adapté à un public encore jeune. Ici nous nous plongeons dans la Guerre d'Algérie, vue et ressentie à travers les yeux de Jo, une jeune fille de 13/14 ans "pied-noire" (c'est à dire française née en Algérie, ayant toujours vécue là et n'ayant été pour ainsi dire jamais ailleurs en dehors du pays).
L'autrice commence par nous faire un petit tour de vocabulaire comme pour se justifier de ce qui, à l'époque, était le vocabulaire employé. Si aujourd'hui ces termes seraient déplacés, voir carrément racistes, ils sont remis dans le contexte de l'époque. Nous avons ensuite un petit paragraphe "aujourd'hui" puis l'histoire et enfin un dernier "aujourd'hui". Ces deux morceaux "contemporain" si je puis dire, m'ont pas mal déstabilisés. En effet, j'ai fini par comprendre leur objectif, mais on est totalement lâché et perdu. On ne sait pas qui parle, ni quel est le lien avec l'histoire racontée. J'ai fait des extrapolations, mais j'ai trouvé alors les dialogues un peu forcés et maladroit. Mais la vérité, c'est qu'ils ne sont pas importants. Ils sont un prétexte à introduire l'histoire, à la replacer dans son contexte et à éveiller le lecteur : parfois, il est bon de se plonger dans les souvenirs, même les plus douloureux, et d'apprendre l'histoire avec un "h" minuscule pour mieux comprendre l'Histoire.
L'histoire de Jo justement : Jo est une jeune fille qui aime la liberté et la rêverie. La littérature, ses amies, sa vie en Algérie. Comme sa sœur Marcelle, elle prend les choses comme elles viennent et ne fait pas de distinction entre les "français" et les "indigènes". Mais petit à petit, la guerre commence à s'installer dans son quotidien. Les récits d'attentats, de morts et de blessés. De victimes innocentes au nom de quelque chose que la jeune fille ne comprend pas encore. Elle ne voit que sa vie d'adolescente, n'imagine pas vraiment son avenir, profitant des plaisirs de la vie. Mais petit à petit, elle ne peut plus ignorer ce qui se passe sous ses yeux. La fuite, le déni, la peur et la haine. Jo ne comprend pas pourquoi Zohra est ainsi mise à l'écart par les enfants comme les adultes. Certes elle est musulmane, mais pour Jo c'est avant tout une jeune fille géniale et une bonne amie. Mais petit à petit, cette amitié va lui ouvrir les yeux sur la réalité du pays et Jo va commencer à comprendre les enjeux des affrontements. Mais ce n'est qu'une jeune fille et sa voix ne compte pas. Elle est rabrouée pour ses idées que l'on qualifie de "communiste". Elle, tout ce qu'elle demande, c'est que tous vivent en harmonie, en paix et surtout de manière égale. Mais elle prend tout juste conscience de l'inégalité de la situation. Jusqu'au jour où.
Le roman ne commence alors vraiment qu'à la moitié du récit. On sait que ce moment arrive depuis les premières pages, mais il était important de comprendre Jo, c'est pourquoi l'autrice a passé du temps avant "l'accident". L'attentat qui a touché un bus ramenant des élèves de l'école. La bombe qui a blessée Jo. Jo qui alors devient un symbole pour ses proches. Jo qui souffre physiquement et moralement. Elle a peur, elle est traumatisée et souffre. Mais les adultes veulent sa haine, sa colère. Elle est perdue et ne trouve pas d'aide. Petit à petit, elle va se remettre, elle mettra toute sa volonté à guérir, du moins le mieux possible. Mais la guerre ne s'est pas arrêté avec la bombe et les choses empirent dans tout le pays. Jo, elle, se refuse à haïr. La torture, les viols, les morts, elle n'en veut pas. Elle veut que tout s'arrête. Mais ses idées, qu'elle n'hésite pas à brandir ne sont pas du goût de tout le monde. Rapidement, elle est "envoyée en métropole". Cette transition va nous permettre de voir alors la vie de ces gens, hommes, femmes et enfants, qui sont déracinés. Tous ceux qui ont quitté l'Algérie n'étaient pas forcément des gens aisés, avec des solutions de repli en métropole. Ils se sont retrouvés réfugiés en France mais rejeté partout. "Qu'ils aillent ailleurs". Mais c'est où ailleurs ? étrangers en Algérie, comme en France, la vie est dure pour ces gens qui doivent se reconstruire à partir de rien, apatride en quelque sorte.
Ce roman est vraiment un coup au cœur. Ce que vit Jo, cette immersion dans la folie de la guerre civile, est terrible. On ne le vit qu'à travers la jeune fille, et un peu sa sœur, mais cela suffit à nous faire prendre conscience de sa brutalité et de son aveuglement.Jo est une jeune fille qui s'accroche à ses idéaux. Elle ne veut pas sacrifier ce qu'elle est à la haine que l'on attend d'elle. S'il y a des choses un peu invraisemblable (je ne connais aucun jeune gens qui apprécie lire "Les Frères Karamazov" à cet âge…) on appréciera les interventions des deux adultes qui offrent une bouffée d'air frais. Le médecin à l'hôpital qui expliquera à Jo que oui elle a été brisée. Elle a été traumatisée et elle gardera des cicatrices à vie, visibles ou non. Mais que cela ne signifie pas qu'elle ne pourra pas se relever et affronter la suite de sa vie. Elle aura du mal, ce sera un chemin compliqué, mais que Jo pourra s'en sortir. Il y a également la sage-femme. Cette voisine, comme tante Yvonne, propose à Jo une autre voie. Elle lui ouvre les yeux, de manière discrète, sur la condition des femmes et sur ce qu'est la liberté. Lorsque Jo aura ses règles pour la première fois, c'est elle qui lui expliquera ce que ça implique, sur ce qu'on attendra d'elle. Mais également que Jo restera une personne et qu'elle aura le droit de disposer de son corps et qu'on ne doit pas la forcer.
Ces deux discours semblent un peu trop "deus ex machina" mais ont le mérite d'apporter des réflexions bienvenues et qui doivent être entendues et comprises par les jeunes lecteurs. S'ils m'ont semblés un peu forcés dans le texte, un peu naïfs même, je les ai apprécié pour ce qu'ils voulaient apporter.
La fin est plus rapide. Jo n'est presque plus le personnage principal, mais l'autrice va tout de même nous offrir un panorama de ce que vivent les réfugiés pieds-noirs en France. L'autrice termine rapidement à partir de là, car c'est maintenant au lecteur de commencer sa réflexion. Jo a maintenant choisi sa vie et c'est à nous de nous demander ce que nous pensons de ce qu'elle a traversé - elle et ses proches - si nous aurions pu être comme elle ou si nous aurions pensé différemment, agit différemment.
Je sais que c'est un livre qui n'attirera pas spontanément les lecteurs, ou alors une infime partie. Pourtant je pense qu'il faudrait qu'on propose ce texte. Il nous offre un regard sur un pan de l'histoire française (ou même mondiale) trop méconnue et qu'on devrait au moins un peu avoir lu. Le combat de Jo et ce qu'elle vit sont accessibles à tous les lecteurs et il est intéressant parfois de changer des deux grandes guerres mondiales. Je pense notamment à cette collègue de français qui propose tous les ans à ses 3e de lire un texte en rapport avec des conflits comme cela. Les élèves ont fait de sacrées découvertes, ont parfois été vraiment marqués par leurs lectures. Je crois que je commanderai ce livre en particulier pour cette collègue.
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