Les Collines de l’Est – Jean Freustié - Éditions Le Dilettante
Critique parue dans Le Magazine des Livres - N° 10, mai/juin 2008
Réédité à l’occasion de cet anniversaire par Le Dilettante, La Table Ronde et Grasset, l’on découvre ainsi une plume à l’ironie plus ou moins dépressive, un regard sur le monde tangible où entrent de la langueur, du détachement, un sentiment mêlé de lointaine étrangeté et d’empathie pour les humains qui l’environnent, autant de manières peut-être de tenir en bride une sensibilité souterrainement écorchée. Les neufs nouvelles qui composent ce recueil, publié une première fois en 1967, donnent le ton de l’œuvre : une élégance sombre et débarrassée de toute tentation lyrique ou édifiante, une écriture trempée dans la chair de l’existence quotidienne autant que mise à distance de l’histoire vive. Cela donne quelques joyaux, tel ce Verre de mirabelle, où le narrateur, médecin comme le fut Jean Freustié, constate qu’il est en train de « braver le cours ordinaire de [son] ennui » à l’occasion de l’agonie de la grand-mère de sa femme. « Je serai en retard à la maison ; de quelques minutes. Mais de la mauvaise conscience j’ai aussi une longue habitude. Je ne commets d’ailleurs que des incartades mineures, celles qui, sans agrandir la vie, compromettent à coup sûr l’avenir. Le somptueux, je l’ai connu parfois, il me fatigue. Je le laisse à plus prétentieux que moi et je reste avec ma fatigue. » Ce qui intrigue Freustié, ce qu’il va décrypter, avec cet air de ne pas y toucher, ce n’est pas tant la vie matérielle que l’ennui, ou ce que l’on appelle l’ordinaire, ces situations anodines et morales de la vie des hommes. « Il s’agissait de sa grand-mère à elle, ce qui ne change rien à ma moralité. Je ne suis pas ignoble ; pas même indifférent. Le seul fait important est que la vie des autres, pour moi – comme pour d’autres – se déroule dans un autre univers. Mais j’en suis conscient. » Une folie légère vaporise ces neuf récits, où saillent ce que l’on devine être les quelques blessures et obsessions de l’auteur, son inadéquation au monde, son embarras à devoir y paraître et y évoluer, sa maladresse à ne pas y parvenir, et la délicatesse d’un esprit à la sensibilité très profonde.