1963 : la carrière de Serge Gainsbourg ne décolle pas. Tant qu'à faire et puisque l'heure n'est pas encore aux tubes écrits pour les autres, autant recentrer le propos autour du verbe et des premières amours jazz. A la croisée des chemins et hésitant entre la voie yéyé et yoyo, Serge délaisse son arrangeur et chef d'orchestre le brillant Alain Goraguer qu'il retrouvera pour Gainsbourg Percussions l'année suivante.
Au casting, l'artiste et ses textes ciselés ("La fille au rasoir"), le contrebassiste Michel Gaudry et l'exceptionnel guitariste tzigane Elec Bacsik qui a frayé avec à peu près toute la variété de l'époque (Moreau, Gréco, Barbara, Nougaro) et les plus grands jazzmen français et américains. Avec lui c'est Django qui s'invite dans l'univers rive gauche et déjà swing des premiers 25 cm. En introduction "Chez les yé-yé" est l'unique confession prophétique du virage pop à venir et la chanson la plus enlevée de l'album avec "Negative blues" qui le clôt. Les thèmes abordés dans ce qui reste l'album le plus dépouillé de l'Oeuvre sont open et moins désabusés qu'il n'y paraissait dès Du Chant A La Une (1958) : l'amour avec le remarquable "Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte" et son finale surprenant, "Elaeudanla Téïtéïa" ("S'il faut aller à la dérive / Je veux bien y aller pour toi", superbe). Abordé sous un angle tendre et mélancolique - la très belle "La saison des pluies" composée par Bacsik ("Un autre viendra qui d'un baiser effacera / Le rimmel au coin de ses lèvres") - il n'y a guère que "Maxim's" dont Serge Reggiani fournira une version terrassante, pour se montrer plus acerbe ("Ah ! baiser la main d'une femme du monde / Et m'écorcher les lèvres à ses diamants"). "Amour sans amour" très primesautier fait le bilan des amours déçues mais "sans illusions, sans orages". L'artiste étant à l'époque sur le point de convoler pour la deuxième fois en justes noces avec une princesse héritière, l'humeur n'est pas forcément à la morosité.
Le personnage Gainsbourg et les démons intérieurs sont habilement abordées dans "No thanks no", unique chanson où la contrebasse est exécutée à l'archet lui conférant une profondeur dramatique; les addictions seront abordées à nouveau dans l'inénarrable "Coco and co" l'année suivante. "Le talkie-walkie" fait le crossover entre les histoires de coeur et le progrès technologique façon Vian ; celui désigné aussi dans le rasoir électrique et les fêtes foraines. A cet égard la chanson "Scenic railway" est un modèle du genre. Sur une montée chromatique et des accords en montagnes russes brillamment exécutés par Bacsik, Gainsbourg décoche cette saillie définitive :
"Je vais te sembler un peu cynique ouais ouais / Y'a pas que les machines pour s'envoyer en l'air."
D'une confondante sincérité et doté de certains des meilleurs textes de l'artiste, le succès de Gainsbourg Confidentiel, sera hélas en adéquation avec son titre : seulement 1500 copies de ce premier 30 cm trouveront preneur ; ce qui est en ces temps des Trente Glorieuses et du marché florissant du disque constituait un échec cuisant. Gainsbourg saurait s'en souvenir en revenant assez vite à des collaborations fructueuses, Alain Goraguer, Michel Colombier et Jean-Claude Vannier en tête.
En bref : avant le succès colossal, la sincérité et le talent mis à nu d'un artiste et parolier au sommet de son talent. Un niveau d'écriture qu'il ne retrouvera que peu par la suite.