Magazine Société

Trognes, de Xochitl Borel

Publié le 19 octobre 2024 par Francisrichard @francisrichard
Trognes, de Xochitl Borel

Le mot trogne vient du mot gaulois trugna qui signifie museau. Il est employé dans deux sens, animal et végétal.

La trogne d'un homme est le visage rougeaud et épanoui de quelqu'un qui a fait bonne chère, qui a bu, dit le dictionnaire Larousse, au sens premier.

La trogne d'un arbre est, en arboriculture, le résultat d'une taille qui en fait un arbre étêté, d'aucuns disent arbre têtard: il forme alors une touffe épaisse au-dessus du tronc.

Les trente poèmes de Trognes, titre du recueil de Xochitl Borel, établissent donc un lien poétique entre ces deux mondes de vivants.

Le premier de ces poèmes commence par cette interrogation:

Annonce-moi ton nom,

Trogne

Blessure de sève

Sait-on vraiment ce qui coule

Dans le désir des arbres

La poétesse emploie dans le deuxième le mot de duramen (qu'il serait tentant de scinder en deux... vue la suite), qui est le coeur ou le creux d'un tronc, donc d'une trogne:

Comme une prière qui se vide

Jusqu'à l'aubier

L'aubier? La partie périphérique, vivante, d'un tronc...

Au-delà de la précision botanique, la poésie reprend vite ses droits pour relier les hommes et les arbres:

Ton ventre s'emplit

Des coeurs des hommes

Combien d'eux ont déposé le leur

Entre deux souffrances et deux joies

S'il fallait la synthèse de ces tissus de mots

Le ventre creux du chêne ne le serait plus

Dans un poème suivant elle évoque le vieillissement qui se traduit par des rides chez l'homme et chez l'arbre:

Toi tes rides tu les portes

Comme on porte une soierie

Quand moi je les vêts

à la manière d'un chandail de mélancolie

Plus loin, le mot sève évoque la vie terrestre, mais aussi céleste:

Tout le monde suppose que la sève s'achève au feuillage

Mais moi je sais qu'elle continue de monter jusqu'à chatouiller

Un ange

Plus loin encore, la sève végétale de la trogne taillée se mêle au sang animal de l'homme entaillé:

Ce n'est que de la sève

Mais pour en avoir le coeur net

Et puisque la folie me guette

La lame luit sans clair de lune

La lame luit et tranche

Un autre tissu où perle

le sang rouge

le sang d'une bête

celle que je suis

animal contre végétal

Réunis

À présent, nous voilà frères de sang

Je lui dis en l'embrassant

Ces quelques citations donnent le ton de ce recueil où l'homme animal et la trogne végétale font bien partie de la même nature.

Toutefois les trognes que la poétesse semble préférer sont celles des champs plutôt que celles des villes:

Même la trogne urbaine

en tête de chat

comme ils disent

Dans le jargon de ceux qui chatouillent

Les platanes du quai

N'est qu'une pâle gourmandise

de ce qu'est la trogne

En liberté

Francis Richard

Trognes, Xochitl, 80 pages, Éditions de l'Aire

Livres précédents aux Éditions de l'Aire:

L'alphabet des anges (2014)

Les oies de l'Île Rousseau (2017)

Livre illustré par Thierry Droz chez Dashbook:

Le siècle des couronnes (2022)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine