C'est la première fois seulement que nous allions assister à un concert dans la petite salle du Supersonic Records. Pourtant, la salle est à deux pas de chez nous. Pourtant, elle propose une programmation très en phase avec nos goûts musicaux - enfin surtout la salle d'à côté, le Supersonic Club. Pourtant, les concerts y sont souvent gratuits. Bien sûr, à l'heure où les groupes passent au Supersonic, ils ne sont souvent pas connus du tout, ils n'ont pas encore sortis le moindre LP. Mais il n'est pas rare qu'une fois que leur musique parvient enfin à mes oreilles, je constate trop tard leur passage préalable et gratuit au Supersonic. La salle est très petite, proche de Bastille mais dans une rue un peu à l'écart du tumulte du quartier. Nous voici dans un lieu qui, soit respire la jeunesse, celle qui peut encore espérer un bel avenir, celle pour qui le champ des possibles reste plus que jamais ouvert, soit respire le déclassement ou l'éternelle indifférence. Pour jouer ainsi dans le coin d'un lieu qui peut accueillir au mieux 100, 150 personnes tout au plus, il faut soit débuter, soit être un loser patenté. La première soirée du festival Outsiders correspondrait plus à la seconde description, sans que cela soit péjoratif le moins du monde. J'ai un faible pour les seconds couteaux ou les artisans oeuvrant dans l'ombre. Rivkah a déjà signé une poignée d'albums mais ça n'a apparemment pas suffit à attirer plus de monde que ça. Sa musique faite de superpositions de couches (voix, bruitages) sonores est pourtant belle, douce, étonnante. Elle est accompagnée de deux musiciens (guitare et clavier) et d'une autre chanteuse pour les choeurs. En plus de ses titres personnels, elle interprète 3 reprises : "Rock'n'roll Nigger" de Patti Smith, "When doves cry" de Prince et "Close to me" de The Cure pour clôturer en beauté. Trois versions si différentes des originales et si proches de son style à elle, aériennes. Une belle entrée en matière mais qui ne pouvait nous préparer réellement à ce qui va suivre : Gontard. Le chanteur arrive affublé d'un costume de lapin, circulant parmi le public, histoire de prendre la température. Et la température, elle va tout de suite grimper : 1h de concert au cordeau, d'une efficacité imparable, sans aucune baisse de régime. Un truc qui vous transporte, le charisme de Nicolas Poncet est indéniable.
Le discours est éminemment politique - comment pourrait-il en être autrement avec de telles chansons ? Mais là où la plupart des chanteurs dits engagés apparaissent souvent comme des donneurs de leçons, lui, parvient à garder une distance avec son propre discours, ne forçant pas l'autre à y adhérer. Ses paroles ressemblent plus à un état des lieux lapidaire de notre société actuelle. Cette distance crée paradoxalement une proximité avec son auditoire, car l'homme ne calcule pas et parvient à en plaisanter. Et surtout, il se donne sans compter. Et son groupe impeccable est au diapason. Pour le rappel, il part se changer de l'autre côté de salle pour revenir attifé d'une robe rose décolletée et moulante. Il y a indéniablement un côté punk dans l'attitude. Le style, on s'en fout. L'essentiel est dans l'énergie transmise, dans le naturel à toute épreuve. Gontard, c'est un peu le pote idéal, celui qui reste intègre, quoiqu'il en coûte, celui qui n'oublie pas de prendre la vie comme un jeu, lui qui prône une "révolution joviale". Une révolution qui rassemblerait toutes les gauches, même le parti qui dérange certains, notamment Luc Broussy, présent dans la salle, patron de Magic, mais aussi proche du PS canal historique. Celui qui pense encore gagner tout seul, comme en 1981. Comme si le temps s'était arrêté là, au "Faith" de The Cure. La foi inébranlable. Voilà, je m'enflamme. Mais une pensée me vient inévitablement à l'esprit : comment Gontard n'arrive pas à tourner davantage après de telles prestations ? C'est un mystère. Car en France, je n'en connais pas beaucoup capable de telles claques émotionnelles. On savait la vie injuste mais là faut pas pousser quand même. Autre injustice, celle de la carrière de Babybird Aka Stephen Jones qui a connu son apogée en 1996 avec "You're gorgeous" - "I'm fucking hate this song" dira même le principal intéressé lors du rappel, comme obligé malgré lui de chanter ce morceau à chacune de ses sorties. Avant et après ça, la musique de Babybird a connu au mieux un maigre succès d'estime au pire une terrible indifférence. Cette dernière perdure depuis 20 ans au moins. Et même sa complicité avec l'ultra-médiatisé Johnny Depp n'a pas suffit à lui redonner du crédit. Bref, le chanteur le sait bien : jouer au Supersonic devant 100 personnes après 30 ans de bons et loyaux services, ça ressemble à un échec. Le concert connaîtra quand même quelques moments émouvants. Comme ce fan transi, à peine plus jeune que son idole, qui distribue des mouchoirs à Stephen Jones pour qu'il s'essuie le visage en raison de la moiteur des lieux. C'est ça de faire le beau en voulant garder son costume ! Situation d'autant plus attendrissante et cocasse que le fan arbore la même belle chevelure blanche que l'artiste, ce que n'hésitera pas à faire remarquer ce dernier. On avait peur au début de sa prestation quelque peu timide, mais Babybird n'a rien perdu de sa verve mordante et ironique. Il a gardé également sa voix intacte. Et c'est juste au moment où l'émotion est à son comble que nous devons en rester là en raison d'un satané timing. L'heure limite d'extinction des décibels est fixée aux alentours de 23h. Mais c'est pas grave, on remet ça deux jours plus tard, même endroit, même heure, même festival. Mêmes losers. Même bonheur ?