Cinna nous a donné rendez-vous chez Manifesta, à Lyon, pour nous faire découvrir les tant attendues rééditions des pièces de Pierre Guariche ! Un lieu de plus de 200m² en l’honneur du designer, et de la désormais nouvelle vie d’une série d’objets qu’il a conçu au travers plusieurs décennies de conception. Exploration iconique.
Le nom de Pierre Guariche résonne aujourd’hui encore comme l’une des figures d’un mouvement moderne d’après-guerre, à qui l’on doit des créations aussi esthétique qu’efficace dans leur fabrication. Après six ans d’accord de licence avec Maisons du Monde, et la réédition d’une dizaine de modèles de luminaires par Sammode, c’est à Cinna, marque du groupe Roset, de mettre la main à la pâte pour honorer la mémoire de Pierre Guariche. C’est pas moins de 18 meubles et objets qui ont été sélectionnés par la marque pour ce premier opus qui devrait être rapidement suivi par d’autres !
Le projet “Cinna/Guariche, les visionnaires” s’inscrit dans une démarche au long court, entreprise par le groupe Roset aux côtés des ayants droits de Pierre Guariche -Editions Pierre Guariche-, représentés par Jean-Marc Villiers et la petite fille du créateur, Julie Benabdou Guariche. Amour du détail, attention particulière à la fabrication et désir de rendre hommage aux innovations intemporelles ont su rapprocher les deux entités…
On visite ?
Chaise longue Vallée blanche (1963)
Dès l’entrée, c’est effet wow! avec la vue sur la Vallée blanche, comme une piste de ski à dévaler, une pièce qu’il a jusqu’ici été très rare de voir puisque les exemplaires connus se compteraient sur les doigts d’une main. Passionné de montagne, Pierre Guariche aura l’occasion d’en façonner quelques versants, en signant la conception de la station de La Plagne, en collaboration avec l’architecte Michel Bezançon. C’est une œuvre globale qu’il prendra plus de 10 ans à construire à partir du début des années 60, de l’intérieur de l’hôtel et des habitations jusqu’à la galerie commerciale, le cinéma, la chapelle ou encore le dessin des télécabines !
La réédition de la Vallée blanche a donné du fil à retordre aux équipes puisque la conception a été revue pour offrir une résistance toute particulière à la chaise longue. En revanche, comme le souhaitait Pierre Guariche dans ses dessins originels, les pieds ne comportent pas de soudures et sont obtenus par pliage, et assemblés par un système de visserie. De la même manière, afin d’assurer une esthétique totalement lisse et sans couture, Cinna a dû piocher dans les deux seuls tissus aptes au défi au sein de son vaste catalogue. Un défi qui avait déjà contraint en son temps le designer à se mettre en quête d’un fabricant pour répondre à ce besoin de tissu spécifique.
Ci-dessus le salon à l’étagère de sa maison-bureau (1973) rue Dombasle dans le XVe arrondissement. Tabouret Tulip d’Eero Saarinen (Knoll), lampe A14 d’Alain Richard (Disderot), lampe d’Etienne Fermigier (Disderot) dialoguent ici avec la Vallée Blanche.
Ci-dessus la structure originelle de la Vallée blanche, cédée aux collections du Centre Pompidou par Pierre Guariche
Fauteuil pivotant Jupiter (1966)
Si la plupart des pièces ont subit de nombreux ajustements pour coller pleinement aux souvenirs, à l’image et aux sensations qu’en avaient Jean-Marc Villiers et Julie Benabdou Guariche -sa petite fille, aujourd’hui architecte d’intérieur-, “le fauteuil Jupiter les a subjugué” nous confie Bruno Allard, directeur marketing de Cinna. Les améliorations des équipes techniques de la marque française ont retravaillé l’ensemble pour arriver à un fauteuil au niveau de confort très élevé, tant par l’assise que par l’enveloppe qu’il créée. Il est disponible en cuir soft touch et en tissu ! En 1966, le fauteuil Jupiter est présenté au sein du catalogue Meurop -pour lequel Pierre Guariche est directeur de la création-, comme le “fauteuil de luxe par excellence”.
Fauteuil GU10 (1953)
Faisons un saut dans le temps pour revenir dans les années 50, décennie durant laquelle Pierre Guariche ouvre sa propre agence, avec laquelle il conçoit meubles et objets pour la galerie M.A.I, ou pour des éditeurs comme Airborne, Pierre Disderot ou encore Steiner. Quelques années plus tard, il créé, avec Michel Mortier et Joseph-André Motte, l’Atelier de Recherche Plastique dit ARP (1954) ; eux aussi ont fait leurs armes auprès de Marcel Gascoin. En 1957, il fonde une nouvelle agence qui lui permet d’offrir une vision globale, de l’architecture d’intérieure à la création de mobilier. Ici le fauteuil GU10 avec ses élégants accoudoirs en multiplis moulé. Les fauteuils avaient pour particularité d’être démontables au niveau de ces mêmes accoudoirs et de pouvoir s’associer afin de former… un canapé ! Comme on peut le voir sur les photos suivantes (table Prefacto), Cinna propose une déclinaison formant ce canapé 2 places, mais en allégeant le dessin en supprimant les pieds centraux qui se formaient en cas d’assemblage de 2 fauteuils.
Table basse Prefacto (1952)
Pièce non moins intéressante, l’élégante table Prefacto autrefois éditée par Airborne reprend les dimensions compactes des fauteuils et canapés GU10, favorisant tout autant l’esprit d’accumulation. Pourquoi pas deux plutôt qu’une seule ? Les configurations se font et se défont. On aime le pied trombone qui trace une ligne sans discontinuer, finissant par former trois pieds.
Bahut Galerie M.A.I (1952)
La Galerie M.A.I, c’est aussi ce bahut, que l’on a déjà pu croiser dans quelques galeries spécialisées dans les objets vintage, avec une face avant qui était alors en acajou verni. La version proposée par Cinna fait la part belle au placage frêne sur l’ensemble du meuble, tout en contraste avec la face en tôle perforée coulissante. Ce bahut était conçu pour dissimuler des équipements audio, et quoi de plus contemporain que cette utilisation ? Enceintes connectées, box internet semblent être faites pour s’y cacher.
Bahut 148 (1953), table de repas extensible 125 (1953)
En attendant, on l’espère, la réédition du bureau Président, petit avant-goût avec la mise en scène quasi annonciatrice de la table de repas 125 en bureau. A ses côtés, toujours dans un esprit purement années 50, le bahut 148 révèle impeccablement la teinte choisie par Cinna et les ayants droits pour mettre en valeur la collection. Une teinte qui fait penser au cuir, dans la lignée de la tradition française en la matière, qui permet ici au mobilier réédité de trouver l’équilibre entre un esprit vintage et une fabrication bel et bien contemporaine et hautement qualitative. L’idée est aussi, comme on peut le voir en parcourant les images, d’offrir une unité entre les décennies de création, permettant de mixer les pièces à l’envie, dans une harmonie maitrisée.
Bibliothèque murale (1952)
On arrive ici sur une proposition particulièrement intéressante car très peu connue, voire inconnue de la plupart d’entre nous ! Il s’agit d’une bibliothèque murale qui était présente au catalogue de la Galerie M.A.I (Meubles Architecture et Installations) en 1952, non sans rappeler le travail d’un contemporain danois de Pierre Guariche, Poul Cadovius qui conçoit dans les mêmes années l’emblématique Royal System. La réédition est ici issue de dessins et photos. Tout a donc été refabriqué, et notamment les rails d’une astucieuse sobriété. Deux versions sont disponibles, l’une en verre gaufré et feuilleté, avec un travail tout particulier sur un verre qui soit aussi esthétique que sans danger en cas de casse, et l’autre en hêtre teinté, de la teinte que l’on peut retrouvé sur l’ensemble de la collection.
Lampadaires G30 (1954) et liseuse G21 (1953)
“S’il est tendance aujourd’hui, l’utilisation du laiton est dans les années 50 une vraie forme d’avant-garde” nous précise Bruno Allard. C’est avec cette lecture, que l’on découvre des luminaires jusque là connus chez Sammode, la G30 et la G21. Une finesse fascinante, des systèmes de réglages simples et précis, un dessin tant ciselé que poétique. Les luminaires Guariche des années 50 se conjuguent parfaitement avec les bahuts et autres chaises contemporaines mais ont cette intemporalité en plus qui leur offre un vrai pied dans notre vision du design contemporain, avec cette particularité propre à Pierre Guariche de ne jamais exposer l’utilisateur à la lumière directe, ne jamais l’aveugler.
Lampes à poser G50 (1958) et G24 (1953)
On retrouve cet esprit avec la G50, forme de déclinaison de la suspension G13 AM, qui expose l’une des autres spécificités de Pierre Guariche, la tôle perforée. Elle laisse ici passer la lumière, qui offre un regard tout particulier sur le motif, tout en répétitions. L’iconique G24 fait aussi partie du décor avec son aérienne coupole qui laisse passer le faisceau lumineux tout en le reflétant.
Bridge et chaise Papyrus (1954) et table de repas extensible 125 (1953)
Découvrons à présent la chaise Papyrus et sa version bridge munie d’accoudoirs. On apprécie ici la flexibilité offerte par la coque en multiplis moulée. Ici en hêtre massif teinté, elle est également disponible en tissu, sans limite de configuration parmi les tissus proposés par Cinna. Une belle manière de faire dialoguer l’histoire avec des intérieurs actuels, avec des tissus qui pourront être tout autant très sobres ou très colorés ! Les équipes techniques de Cinna ont ajouté 1 centimètre sur tout le pourtour de la coque pour offrir une volumétrie beaucoup plus adaptée aux standards contemporains.
Bridge et chaise Tonneau (1954)
Pour finir, zoom sur la chaise Tonneau, là aussi accompagnée par une version Bridge. C’est sans doute l’un de nos coups de cœur ! Si la teinte l’éloigne de fait des versions originelles, elles confèrent à ce modèle une esthétique sans équivalence, définitivement haut de gamme ! Ici le hêtre teintée nous fait plus que jamais penser à du cuir. La coque semble être une pièce de collet (partie très rigide du cuir, que l’on pouvait notamment trouver sur le sanglage des pièces extérieures de voitures anciennes) que l’on aurait moulé et qui se serait patiné, c’est bluffant ! La galette en cuir lisse vient certainement renforcé cet esprit. La chaise et le bridge Tonneau ne sont pour le moment disponible que dans cette configuration.
Plus tard, à partir des années 70 et durant les années 80 encore, Pierre Guariche signera d’importants projets, en France (intérieur de l’Athena-Port à Bandol, tribunal de Créteil, la Préfecture et le Conseil général de l’Essonne, qui font suite à plusieurs sièges de grandes entreprises et résidences privées) puis à l’étranger (Cameroun, Indonésie, Singapour, etc.). En 1992, 3 ans avant sa mort, plus de 15 pièces iconiques de Pierre Guariche seront exposées au Centre Pompidou, parmi lesquelles la Vallée Blanche, la chaise Prefacto, ou encore la chaise Tonneau.
Pour découvrir toutes les subtilités de la vie de créations de Pierre Guariche, on vous conseille le livre Pierre Guariche par Lionel Blaisse , Delphine Jacob , Aurélien Jeauneau aux éditions Norma, disponible ici.
Merci à Cinna pour l’invitation !
photos par Matthieu Coin pour Blog Esprit Design