Pour les fiches de lecture, je sépare en deux parties : un petit résumé de ce que je pense du livre, sans aucune révélation. Pour l’article plus détaillé, donc susceptible de contenir des révélations sur l’épisode, il faudra cliquer sur le lien en bas de ce résumé.
L’espace d’un moment, je vous propose de retourner en 1990. A l’époque, Le véritable boom de l’informatique personnelle n’a pas encore eu lieu et l’informatique n’est encore qu’un loisir pour ados curieux et le gagne-pain de quelques barbus (même si l’informatisation de notre société commençait à se faire sentir).
C’est dans ce contexte qu’un OVNI s’est posé au pays des comics. Cet OVNI, c’est Justice digitale, une aventure de Batman entièrement réalisée sur ordinateur par Pepe Moreno. Avec l’avènement de l’image de synthèse et les courbes des starlettes retouchées à grands coups de Photoshop, cela peut faire sourire maintenant mais à l’époque le simple fait que l’outil informatique ait pu sortir de son carcan pour venir investir le domaine de la bande dessinée était une véritable petite révolution.
J’ai la chance de posséder cet album dans ma bibliothèque (acheté en pleine Bat-mania suite au carton du film de Tim Burton), et je l’ai ressorti hier pour le relire (ça doit bien faire dix ans que je ne l’avais pas ouvert). Il en ressort que cet album a vieilli, c’est indéniable, mais cela reste une lecture fort agréable.
Batman
Tant que la justice vivra dans le coeur de l’homme, il sera parmi nous.
Cette histoire, située hors de la continuité de Batman (donc pas besoin de 12 crises pour la recadrer), se passe dans le futur. On y trouve le Sergent James Gordon, petit-fils du commissaire Gordon. Confronté à des évènements étranges au sein du réseau mondial, il finira par reprendre le manteau d’un héros de légende : Batman. Il sera aidé par une IA conçue par Bruce Wayne et un jeune voyou qui deviendra Robin. Ses ennemis sont rangés derrière la réincarnation digitale du pire ennemi de son modèle : le Joker.
Cette aventure hors-norme fait davantage penser à du cyberpunk qu’à des aventures de super-héros. On y trouve une omniprésence des réseaux informatiques, des cyborgs et un avenir corporatiste où la notion même de liberté est absente. On se croirait presque dans un roman de William Gibson (Neuromancer).
Dans cette atmosphère sombre et glauque (il y a quelques passages un peu gore, quoique depuis Steve Dillon a fait mille fois pire), Jim Gordon suit sa quête initiatique qui fera de lui le symbole de la justice de l’avenir. L’histoire est bien ficelée, un peu facile par moments mais cela ne gâche pas le plaisir de lecture. La trame de fond - l’histoire de haine entre les deux adversaires qui a transcendé le temps - est classique mais bien amenée. Par contre le personnage de Catwoman est vraiment sous-exploité, l’utilisation de son personnage civil seul aurait été suffisante à mon avis.
Passons maintenant à l’aspect graphique de l’album, conçu par infographie. Le résultat est vraiment très bon, malgré l’âge avancé de l’album (comparer les outils de l’époque à ceux d’aujourd’hui reviendrait à comparer le Corsaire de Pépé Boyington à un Tomcat). Certes, les nuances de couleurs ne sont pas aussi bien définies que maintenant (il suffit de voir la différence avec le graphisme de Granov sur Extremis) et l’auteur use et abuse du copier/coller, mais ça reste quand même une réalisation d’un très bon niveau. Certains choix graphiques, notamment pour le Joker, sont dans le ton de l’idée qu’on se faisait à l’époque du graphisme de l’avenir, mais cela reste quand même bon. Les palettes employées, utilisant des teintes sombres, collent parfaitement à l’ambiance du récit.
Quand j’ai lu cet album pour la première fois, j’avais été captivé par son ambiance “no future” où perçait néanmoins l’espoir et j’avais été scotché par le talent de Pepe Moreno qui arrivait à tirer ça de l’outil informatique (à l’époque pour moi le fin du fin de l’infographie, c’était Tron) et par l’apparence presque irréelle de ce comics par rapport à ce que je lisais (la première fois ça m’a fait vraiment bizarre).
Presque vingt ans plus tard, l’histoire n’a rien perdu de sa force, elle est peut-être même soutenue par l’évolution de notre société (Internet, mondialisation, utilisation intensive de l’ordinateur et de l’infographie…) qui montre que les auteurs cyberpunk n’étaient pas complètement à côté de la plaque. Quant au graphisme, malgré un coup de vieux certain, il conserve son charme et je pense même que l’utilisation massive de l’outil informatique dans le monde des comics depuis quelques années (colorisation ou même conception complète) a contribué à banaliser ce type d’expérience graphique et à en rendre la lecture plus aisée.
Si vous avez l’occasion de trouver ce volume pour une somme raisonnable, n’hésitez pas à y jeter un coup d’oeil.