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A la lecture des recommandations émises en novembre 2007 par Stéphanie ROMANENS-PYTHOUD et Cécile MAURIN du Service Social International - Centre international de référence pour les droits de l’enfant privé de famille (SSI/CIR), il ressort clairement que Rama YADE n'est pas "the right woman at the right place" en matière d'adoption internationale. Les mesures prises par la secrétaire d'Etat chargées des Affaires étrangères et des Droits de l'Homme vont principalement dans le sens contraire du SSI/CIR de Genève. Courage politique ?
Les statistiques de l'adoption internationale montrent une situation particulièrement tendue, les candidats adoptants étant toujours plus nombreux dans la plupart des pays d’accueil.
les statistiques montrent une situation particulièrement tendue, les candidats adoptants étant toujours plus nombreux dans la plupart des pays d’accueil
L’adoption internationale a beaucoup évolué dans une période relativement courte. Dans les années 1950, elle était plutôt une réponse humanitaire spontanée à des situations de conflit ou de catastrophe naturelle. Puis, au fil des ans, elle a peu à peu été mieux encadrée par diverses règlementations, tant au niveau national qu’international, pour être reconnue, aujourd’hui, comme étant avant tout une mesure de protection des enfants privés de famille. A ce titre, l’adoption internationale est la rencontre des besoins d’un enfant avec le désir d’un adulte (en couple ou célibataire) dans laquelle doit être privilégié l’intérêt supérieur de l’enfant. La situation actuelle de l’adoption internationale met cependant en danger ce principe fondamental. En effet, les statistiques montrent une situation particulièrement tendue, les candidats adoptants étant toujours plus nombreux dans la plupart des pays d’accueil. Il est difficile d’obtenir des chiffres à ce sujet. Mais les données de la seule France, que l’on connaît, illustrent bien le phénomène: le nombre de couples ou d’individus en possession d’un agrément approche les 30'000, ceci alors que le pays réalise environ 5000 adoptions par année, dont près de 80% à l’étranger, et que le nombre annuel d’adoptions internationales réalisées dans le monde dépasse à peine les 40'000.
Si des mesures ne sont pas prises rapidement, cette situation risque de devenir encore plus tendue ces prochaines années, le nombre d’adoptions internationales tendant à diminuer.
Ainsi, comme vous le savez, la France a connu une diminution de ses adoptions internationales de 5% en 2006 (2006: 3977 / 2005: 4136). Mais certains pays ont connu une diminution beaucoup plus importante que la France: moins 10% pour les Etats-Unis (2006: 20,679 /2005: 22,728), moins 20% en Suède (2006: 879 / 2005: 1083), moins 25% en Norvège (2006: 448 / 2005: 582). Le Canada a, quant à lui, connu une diminution de 18 % en 2006. Le nombre d’adoptions internationales en Espagne a également fortement diminué: en 2006, 4472 enfants venant de l’étranger ont été adoptés par des Espagnols, soit 951 de moins qu’en 2005, ce qui représente une diminution de plus de 20%6. En Allemagne, le nombre d’adoptions internationales 2006 est légèrement inférieur à celui de 2005 (moins 1%), mais le pays avait déjà connu une diminution de 6% en 2005 par rapport à 2004. Dans ce contexte, seule l’Italie fait exception et affiche une augmentation de 10% de ses adoptions internationales par rapport à 2005 (2006: 3188 / 2005:2874). Le pays reste toutefois en dessous de l’année 2004 (3402). Nous verrons plus loin une explication possible au cas de l’Italie.
Les raisons du ralentissement du nombre d'adoption.
Les explications à ce ralentissement sont multiples. Parmi elles, le contexte prévalant dans le pays d’origine joue un rôle très important. Par exemple, et c’est peut-être le cas le plus flagrant en raison de l’ampleur des chiffres, le nombre d’adoptions avec la Chine a sensiblement diminué depuis que ce pays a mis en place de nouvelles structures suite à l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye de 1993 et depuis qu’elle a introduit des normes plus strictes concernant les candidats adoptants. Ainsi, pour le Canada, la diminution des adoptions internationales en Chine (moins 37,5%) est même la principale explication à la diminution générale de ses adoptions internationales. La Chine étant le choix de plus de 40% des Canadiens adoptant à l’étranger, cette diminution a induit une baisse générale des adoptions internationales canadiennes, ceci malgré l’augmentation du nombre d’adoptions avec plus de la moitié des 25 pays avec lesquels le Canada réalise le plus d’adoptions. Le Canada n’est certainement pas seul dans ce cas. La France a, par exemple, également réalisé un peu plus de 30% d’adoptions en moins avec la Chine en 2006 par rapport à 2005. Le nouveau contexte prévalant en Chine n’a, en revanche, eu aucune incidence sur l’Italie qui ne fait pas d’adoption avec ce pays. C’est peut-être là une des principales raisons pour lesquelles l’Italie n’a pas connu de diminution de ses adoptions internationales en 2006.
Les changements survenus dans d’autres pays d’origine ont également eu des conséquences directes sur le nombre d’adoptions internationales. Dans ce contexte, on peut notamment citer les nouveaux critères d’accréditation des intermédiaires en Russie, qui ont entraîné une diminution des adoptions pour certains pays, comme les Etats-Unis (933 adoptions de moins en 2006 qu’en 2005, soit 3706 adoptions au total); les adoptions avec l’Ukraine qui ont été réduites en raison des différentes réformes en cours dans le pays; ou encore le cas de l’Inde où les adoptions internationales continuent de baisser à la suite du développement des adoptions nationales. A l’inverse, on constate que de nouveaux pays apparaissent, parfois même dans le peloton de tête, dans les récentes statistiques de nombreux pays d’accueil, comme le Kazakhstan, l’Ethiopie, le Kenya ou le Mali. Ainsi les Etats-Unis ont réalisé 732 adoptions avec l’Ethiopie en 2006, alors qu’ils n’en avaient réalisé que 441 l’année d’avant et 150 en 20019. La France a réalisé 109 adoptions avec le Mali en 2006, alors qu’elle n’en avait réalisé que 85 en 2005 et 79 adoptions en 2004.
Des demandes de plus en plus difficiles à satisfaire
Ce contexte chiffré posé, il apparaît clairement que les demandes d’adoption des pays d’accueil sont de plus en plus difficiles à satisfaire. Les restrictions imposées par des pays d’origine importants en termes de nombre d’adoptions internationales annuelles poussent les candidats à rechercher ailleurs des possibilités d’adoption. Or, l’histoire contemporaine de l’adoption montre que ces mouvements induisent systématiquement le même phénomène: lorsqu’un pays s’ouvre à l’adoption internationale, il est rapidement submergé par les dossiers de candidats étrangers, beaucoup trop nombreux par rapport aux besoins de ses enfants adoptables. Ce déséquilibre induit une forte pression sur le pays d’origine et entraîne immanquablement des abus qui finissent par être dénoncés dans la presse, provoquant une prise de conscience populaire et politique. Le pays prend alors des mesures, tant au niveau structurel que politique et socio-juridique, pour enrayer le phénomène, mieux protéger les droits des enfants et mettre au centre des préoccupations leur intérêt supérieur et leurs besoins: adhésion à la Convention de La Haye de 1993 sur l’adoption internationale, création d’une autorité centrale, réformes législatives incluant de nouvelles normes en matière d’adoption (concernant la procédure, le suivi post-adoptif, la détermination du nombre de pays d’accueil et d’organismes agréés…), développement de l’accueil familial et de l’adoption nationale, formation des intervenants…
Ces dispositions sont nécessaires pour offrir une réponse adéquate aux besoins des enfants privés de famille, même si elles sont plus restrictives à l’égard des pays d’accueil et des candidats adoptants, et induisent immanquablement une diminution des adoptions internationales avec le pays concerné. Les candidats cherchent alors d’autres pays d’origine, parfois moins regardant sur les procédures, qui, à leur tour, se trouvent submergé par les dossiers de candidats étrangers et finissent par prendre des mesures. Considérant que ce mouvement est inéluctable, un jour arrivera où la très large majorité des pays d’origine sera passée par ce processus et limitera en conséquence encore bien davantage le nombre d’adoptions internationales. D’autant que certains Etats d’origine ont pris, et vont certainement encore prendre, des mesures plus drastiques pour se protéger de la pression de la demande d’enfants adoptables de la part des pays d’accueil : certains pays ont ainsi choisi d’imposer des quotas annuels, comme la Thaïlande ou la Corée du Sud. Chaque année, ces pays informent les autorités centrales de quelques Etats d’accueil du nombre d’enfants qu’ils souhaitent leur confier en adoption pour éviter de recevoir un nombre ingérable de dossiers auxquels il ne sera de toute façon pas possible de répondre. D’autres Etats, comme la Lituanie ou les Philippines pour leurs enfants à besoins spéciaux, ou l’Etat de Porto Alegre au Brésil pour tous ses enfants, n’acceptent plus de recevoir des dossiers de candidats adoptants, mais envoient eux-mêmes les dossiers des enfants en besoin d’une adoption internationale aux Etats d’accueil pour que ces derniers procèdent à l’apparentement.
Ces mesures permettent certes de protéger les pays d’origine et leurs enfants adoptables de la pression mais elles ne peuvent pas fournir à elles seules une solution aux tensions qui distordent le paysage de l’adoption à travers le monde. En effet, tant que les pays d’accueil n’auront pas fait leur part du chemin, ces mesures auront des effets secondaires néfastes. Elles peuvent notamment engendrer une concurrence toujours plus aiguë entre les pays d’accueil. La rigidité des règles des pays d’origine peut également conduire à la corruption et au trafic d’enfants pour satisfaire les candidats les moins scrupuleux.
Une fois de plus, il apparaît donc essentiel que les pays d’accueil consacrent plus d’efforts à sensibiliser leur population à cette réalité, en soulignant le sens réel de l’adoption internationale telle que consacrée par les textes internationaux. Il est urgent que les pays d’accueil prennent des mesures pour gérer le flux de leurs candidats adoptants. Il est notamment capital que les autorités des pays d’accueil ne perdent pas de vue le nombre d’adoptions internationales réalisées en moyenne chaque année lorsqu’elles délivrent les agréments aux candidats adoptants. Sans forcément établir de corrélation stricte entre les deux éléments, il est important que le nombre de candidats adoptants d’un pays donné bénéficiant d’un agrément ne soit pas sans commune mesure avec le nombre d’adoptions internationales réalisées en moyenne chaque année dans ce même pays. Un tel écart induit une pression difficilement gérable pour les pays d’origine comme pour les pays d’accueil. Il génère en outre d’importantes frustrations parmi les nombreux candidats et aboutit parfois à des abus.
Au vu de ces éléments, une sélection plus fine des candidats adoptants est vraisemblablement inévitable. Une telle mesure est, certes, difficile à prendre pour les pays d’accueil soumis à d’importantes pressions politiques et populaires, mais les chiffres montrent qu’elle devient toujours plus nécessaire pour garantir l’intérêt supérieur de l’enfant. Rappelons à ce sujet que les bébés en bonne santé étant de plus en plus souvent adoptés dans leur pays d’origine, les enfants concernés par l’adoption internationale présentent fréquemment des particularités qui exigent des capacités d’accueil plus spécifiques. Dans ce contexte, la question extrêmement controversée de la limite d’âge supérieure des candidats à l’adoption mériterait également une réflexion ouverte et constructive. Une solution telle que la limitation de l’écart d’âge maximum entre l’adopté et l’adoptant est, à notre sens, une piste qui mérite d’être explorée sérieusement. En effet, selon les spécialistes en sciences humaines, l’adoption suppose des capacités d’adaptation et une souplesse psychologique spécifiques présumées en diminution avec l’âge. Par ailleurs, le développement de l’enfant peut pâtir d’un modèle parental trop âgé ou de la disparition précoce des adoptants.
Le rôle des organismes
Pour les candidats adoptants en possession d’un agrément, les organismes autorisés pour l’adoption (OAA) ont également un rôle de régulation à jouer. En effet, leur intervention peut être un atout dans le renversement de la logique demande – offre ainsi que dans la réduction des pressions et des abus aggravés par l’arrivée, dans les pays d’origine, de nombreux candidats adoptants non encadrés. Mais pour cela, le nombre, le profil professionnel et l’éthique des OAA doivent être établis en partant des besoins des enfants du pays d’origine et non de la demande des adoptants ou des intermédiaires.
Le développement d’alternatives à l’adoption internationale au sein des pays d’accueil peut constituer un autre élément de réponse. Certains pays d’accueil ont de nombreux enfants institutionnalisés pour lesquels peu de projets de vie permanents de type familial sont élaborés. Aux Etats-Unis par exemple, on estime que 23% des quelque 500'000 enfants placés attendent une adoption, soit un peu plus de 117'000 enfants; ceci alors que le pays réalise plus de 20'000 adoptions internationales par année. Le développement et la promotion de l’adoption nationale pourraient donc répondre aux besoins de ces enfants tout en répondant à la demande des candidats adoptants. Parlant de la France, il y a environ 1000 adoptions nationales par année alors que le pays compte quelque 3000 pupilles de l’Etat et environ 125'000 enfants placés en protection de l’enfance14. S’il est difficile de savoir combien de ces enfants seraient véritablement adoptables, il semble évident qu’ils sont plus nombreux que les quelque 1000 enfants adoptés chaque année.
L’adoption internationale ne trouvera son équilibre que si chaque acteur fait sa part du chemin. Nous sommes conscients qu’initier de telles démarches demande un réel courage politique, ainsi qu’un véritable effort didactique de la part de chaque intervenant. Si les professionnels de l’adoption sont souvent conscients de ce phénomène, il devient de plus en plus urgent d’en informer le public et de lui proposer d’autres moyens de soutenir l’enfance en détresse.
Source : Service Social International - Centre international de référence pour les droits de l’enfant privé de famille (SSI/CIR).
Archives novembre 2007.