"le Prêtre et le Braconnier" de Benjamin Myers (Beastings)

Par Cassiopea

Le prêtre et le braconnier (Beastings)
Auteur : Benjamin Myers
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Clément Baude
Éditions : Seuil (11 Octobre 2024)
ISBN : 978-2021377736
290 pages

Quatrième de couverture

Au nord de l’Angleterre, dans la région des lacs, une jeune fille s’enfuit avec un bébé. Ignorante de tout, elle plonge dans une nature sublime et dangereuse ; elle lutte contre la faim, les éléments, les hommes qu’elle croise – l’agriculteur, l’ermite, le chasseur ; elle rêve de traverser les eaux pour gagner une île miraculeuse où elle élèverait l’enfant dans la joie. Mais le prêtre local est chargé de les retrouver. Il engage le braconnier pour l’aider à les traquer.

Mon avis

Roman sombre, sinistre et pourtant captivant. Porté par une écriture (merci au traducteur pour son travail de qualité) puissante, raffinée, envoutante, incisive. Pas de virgules, pas de dialogues en style direct. On peut penser que ça va être lourd, difficile à lire et bien non, pas du tout. Le phrasé exprime une forme de poésie, malgré les propos durs, terribles et l’atmosphère très noire.

On ne sait pas quand les faits se déroulent, on peut supposer que c’est au début des années 1900. Des adolescentes sont accueillies chez des religieuses où elles apprennent à tenir une maison, faire « la bonne ». C’est le cas de « la Fille » que l’on croit simplette parce qu’elle ne parle pas (même si elle entend tout). Elle est confiée à une famille pour aider car il y a un nouveau-né. Mais au bout de quelque temps, elle décide de fuir avec l’enfant pour le protéger. Elle est jeune, elle n’a rien, elle est démunie face à un environnement hostile (des collines, des lacs) mais elle avance. Elle fait des rencontres déconcertantes, déstabilisantes, elle tombe, mais toujours elle se relève et continue. C’est son but, ce qui la porte, jour après jour. Aller le plus loin possible, mettre de la distance entre elle et les poursuivants.

Car le prêtre est à ses trousses, aidé par un braconnier. On le sent immédiatement, le curé n’est pas net, il a une personnalité trouble, jouant double jeu suivant qui lui fait face. Il fait froid dans le dos, il effraie le lecteur. C’est un homme de Dieu qui n’a rien de sain, ni de saint. Je l’ai trouvé abject, horrible, à vomir…. Même son acolyte est plus supportable.

Nous, on est là, collé aux basques de cette jeune fille, on suit ses moindres mouvements, ses errements, ses peurs, ses petits répits lorsqu’il y a une légère lueur. La Fille ne parle pas, est-ce une raison pour ne pas la considérer ? C’est pourtant le cas et c’est révoltant. On souffre pour elle, avec elle. Les mots, les maux, nous prennent aux tripes, nous font serrer les poings. Car il ne faut pas rêver, c’est bien la bassesse de certaines personnes qui nous saute aux yeux, qui nous apostrophe, qui nous fait mal. Les émotions nous coincent la gorge, les ressentis sont décuplés tant la formulation est forte.

On sait peu de choses des protagonistes, ils sont plus désignés par ce qu’ils sont que par leur nom. Mais c’est suffisant car cela met encore plus d’intensité dans chaque geste, dans chaque mot prononcé, dans chaque situation. On pourrait dire que l’écriture est dépouillée, chirurgicale, précise à l’extrême. L’auteur offre une approche pointilleuse du bien et du mal. Il arrive que des personnes fassent du mal en croyant agir pour le bien… D’autres portent le vice en eux et ne vivent pas que pour ça.

On en prend plein le cœur : la pauvreté, les privations, la peur du lendemain…. Ce livre c’est de la souffrance mais présentée avec force et finesse, c’est stupéfiant. On n’est jamais dans le voyeurisme, dans la banalité des actes, on vit l’histoire. La Fille est attachante, le Prêtre est détestable et le Braconnier, lui n’est pas aussi superficiel qu’on pourrait l’imaginer, il n’hésite pas à pousser le curé dans ses retranchements.

C’est un récit qui marque, qu’on ne peut pas oublier tant il résonne et se démarque par le fond et la forme.