Qu’est-ce qui fonctionne à Zurich : le Price-Earnings Ratio

Publié le 13 octobre 2024 par Chroom

J'inaugure aujourd'hui une nouvelle série d'articles consacrée aux facteurs micro et macro-économiques qui influencent le cours des actions. J'ai déjà parlé à plusieurs reprises sur ce site, ainsi que dans mon ouvrage, de bon nombre d'entre eux :

  • ratios de valorisation : P/E, P/B, P/S, P/FCF, EBITDA/EV, FCF/EV, Yield, Value Composite, etc.
  • ratios qualitatifs : ROE, ROA, ROIC, profitabilité, score de Piotroski, etc.
  • (il)liquidité des actifs
  • taille de l'entreprise
  • momentum
  • taux de chômage
  • volatilité
  • etc.

Le titre de cette série d'articles s'inspire directement de l'ouvrage de référence "What Works on Wall Street" de James O'Shaughnessy. L'auteur y évalue l'impact de divers indicateurs sur la performance des actions. Ce qui marche à Wall Street fonctionne-t-il pareillement chez nous ? C'est ce que nous allons voir, en commençant par le ratio boursier le plus connu.

Le Price-Earnings Ratio

Pour ceux qui débarqueraient d'une autre planète ou ceux déjà touchés par Alzheimer, le PER équivaut au cours de l'action divisé par le bénéfice par action. A priori, ça parait assez simple, mais quand on s'y met, ça devient vite sujet à interprétation. Le bénéfice, oui, mais sur quelle période ? Celui du dernier semestre, celui des douze derniers mois ou celui de la dernière année fiscale complète ?  Les bénéfices peuvent par ailleurs être assez facilement trafiqués par toutes sortes d'artifices comptables. Si on ne prête pas attention aux petites notes de bas de page, on peut ainsi vite être trompé sur la marchandise, à cause des éléments extraordinaires.

Pour mes backtests, je vais m'appuyer sur le bénéfice par action communiqué au semestre le plus récent (annualisé), hors éléments extraordinaires (ceci permet de gommer ce qui n'est pas récurrent dans la société). J'ai choisi le semestre le plus récent, car il donne des résultats légèrement plus probants que les douze derniers mois, même si la différence n'est pas significative.

Les actions ont été classées du PER le plus grand (les plus chères) au PER le plus petit (les moins chères), puis réparties en quintiles. Le processus a été reconduit tous les douze mois depuis 2004 et la performance de chaque quintile analysée. J'ai essayé aussi de rééquilibrer deux fois par an, en m'alignant ainsi sur les résultats semestriels. Le résultat était toutefois légèrement inférieur, même si la différence n'était pas notable. 

Marché global

Rentabilité annuelle en % par quintile depuis 2004 (en CHF)

Bonne nouvelle ! L'investissement dans la valeur n'est pas encore mort en Suisse. Même avec un ratio basique et connu comme le PER, on obtient des résultats très intéressants.

Le 1er quintile, tout à gauche, qui comporte les actions les plus chères (PER le plus élevé) a très nettement sous-performé par rapport aux autres quintiles. La rentabilité, avec 3.42% y est plus de deux fois inférieure à l'ensemble du marché helvétique (8.47%).

Dès le 3e quintile, la rentabilité dépasse celle du marché helvétique. Ceci nous indique qu'on parvient déjà à battre le marché rien qu'en évitant les titres les plus chers.

Le dernier quintile affiche une très jolie rentabilité annuelle de 11.36%. C'est franchement pas mal du tout pour une stratégie aussi simple. Surtout qu'elle ne doit rien au hasard. On voit bien sur le graphique la relation (inverse) étroite qui existe entre le PER d'une action et sa performance. Plus on monte dans les quintiles (plus le titre est bon marché), plus la rentabilité progresse.

En théorie, les politiques de l'argent facile suivies par les banques centrales depuis 2008 (dont la BNS avec ses taux négatifs) auraient dû faire affluer les capitaux vers les titres de croissance, au détriment de ceux de valeur. Pourtant, malgré ceci, cette stratégie a très bien fonctionné durant toute la période de backtest, comme on peut le constater ci-dessous.

5e quintile (PER le plus bas), 1er quintile (PER le plus élevé) et marché suisse (en noir)

Un PER faible signifie que le marché s'attend à une maigre croissance des bénéfices futurs, tandis qu’un PER élevé veut dire que les investisseurs espèrent une forte progression des bénéfices. Toutefois, on constate ici que les titres dont personne n'attend rien réussissent beaucoup mieux que ceux qui sont très prisés. Cela peut paraître paradoxal. C'est pourtant assez logique quand on regarde ceci avec un prisme "valeur". Quand on n'espère pas grand-chose, on se contente de ce que l'on a, soit la valeur actuelle. Tout ce qui va au-delà constitue une heureuse surprise, qui va immédiatement se traduire positivement sur le cours de l'action. À l'inverse, quand on attend beaucoup, les chances d'être déçu sont significatives. Même un très bon résultat peut constituer une mauvaise surprise, s'il est inférieur à ce qui est espéré. Les titres de croissance (avec des PER élevés) sont ainsi régulièrement sanctionnés par le marché, alors même qu'ils publient de juteux bénéfices, juste parce que ceux-ci sont inférieurs aux estimations des analystes.

Comparaison avec les pairs

On conseille souvent de comparer les ratios tels que le PER, avec des entreprises similiaires, de la même industrie ou du même secteur. Différents facteurs propres à l'activité de l'entreprise, comme la structure du capital, la rentabilité et la profitabilité, sont en effet influencés par le domaine d'activité et influencent à leur tour le PER. Si on effectue un backtest en répartissant les entreprises dans les quintiles en fonction de leur PER par rapport aux autres entreprises de la même industrie, on obtient effectivement un résultat encore meilleur pour le 5e quintile :

PER au sein des industries  : rentabilité annuelle en % par quintile depuis 2004 (en CHF) 

Toutefois, la progression à travers les quintiles est moins claire et régulière que sur le premier graphique. Le premier quintile n'affiche presque aucune différence par rapport au deuxième. Il n'est même pas si éloigné du quatrième. Ceci peut s'expliquer par la relative étroitesse du marché helvétique. En ciblant les industries, on tombe sur des échantillons encore plus petits qui peuvent fausser en partie les résultats.

Big et Mid-Caps

Qu'en est-il si on se focalise sur les entreprises de grosse et moyenne capitalisation ? On retrouve curieusement quelque chose d'assez proche du graphique précédent, qui comparait le PER au sein des industries. Le pic est encore plus marqué pour le 3e quintile. Il dépasse même celui des PER les plus bas. Cela semble un peu le bordel a priori, mais la raison est assez simple. Comme c'était le cas avec les industries, le nombre de big et mid caps est relativement faible en Suisse. Chaque quintile ne compte donc qu'une dizaine de sociétés. Il suffit que quelques-unes d'entre elles aient affiché une performance exceptionnelle, ou à l'inverse désastreuse, pour brouiller les pistes.

Rentabilité annuelle en % par quintile depuis 2004 (en CHF)

Ce graphique, même s'il est à prendre avec plus de pincettes que le 1er, confirme quand même que de manière générale, pour les Big et Mid Caps helvétiques, les actions avec des PER plus bas surperforment par rapport à celles avec des PER plus élevés.

5e quintile (PER le plus bas), 1er quintile (PER le plus élevé) et Big/Mid Caps suisses (en noir)

Small, Micro et Nano-Caps

Le résultat est bien plus net avec les plus petites capitalisations, qui sont beaucoup plus nombreuses. On retrouve ici une progression régulière à travers les quintiles, qui donnent plus de robustesse au résultat du backtest. La pente est encore plus prononcée que sur le 1er graphique, avec un 1er quintile bien moins performant et à l'inverse un 5e quantile qui affiche une très jolie performance annuelle de 12.61%. Là aussi, c'est remarquable pour une stratégie aussi simple.

Rentabilité annuelle en % par quintile depuis 2004 (en CHF)

On remarque que ce n'est pas l'effet de taille des entreprises (leur capitalisation) qui explique ce phénomène, parce que l'univers des petites capitalisations helvétiques n'a performé "que" de 8.37% durant cette période.

5e quintile (PER le plus bas), 1er quintile (PER le plus élevé) et Small/Micro/Nano Caps suisses (en noir)

Conclusion

On aurait pu croire, depuis le temps, qu'une approche aussi basique ne fonctionnerait plus. Un marché efficient est supposé intégrer ce genre de choses. Pourtant, on constate qu'utiliser un ratio aussi simple que le PER permet de battre le marché de manière assez nette.

L'avènement d'Internet et la sophistication croissante de la finance durant ces vingt dernières années n'y a rien changé. Il y a fort à parier que l'IA n'y changera rien non plus. Il faut dire qu'il n'y a pas besoin d'une intelligence très affutée, qu'elle soit humaine ou artificielle, pour suivre cette stratégie.

Qu'en est-il en France ? Nous verrons ceci dans notre prochain article.

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