Comment l'écriture finit-elle par " pousser " dans la terre encore en friche d'un personnage dont le milieu et le contexte familial ne favorisent pas l'épanouissement ? Le récit de Charles Juliet s'intéresse d'abord aux deux femmes qui l'ont élevé, sa mère biologique, qu'il tutoie, une fille de la campagne dont l'existence est marquée par les épreuves et les renoncements, et sa mère adoptive qui a aussi compté pour lui : " l'esseulée et la vaillante, l'étouffée et la valeureuse, la jetée dans la fosse et la toute donnée ".
Puis il change de point de vue et s'intéresse au fils de " l'étouffée ", qu'il tutoie aussi, et derrière ce fils, on reconnaît l'écrivain qui, tout en retraçant avec émotion et réalisme les fils de son existence, s'interroge sur cette envie d'écrire qui l'a longtemps habité, qui l'a fait souffrir avant de " sortir de la tourbe, ou de la boue ou bien encore d'un magma en fusion " avant qu'il ne parvienne à laisser percer la première plante.
" Tu veux écrire mais tu ignores tout de ce en quoi consiste l'écriture. De surcroît tu n'as strictement aucune culture. (...) Mais ce labeur à venir ne t'effraie pas. Tu as gardé ta mentalité de paysan. Avant de moissonner, d'abord labourer, herser, semer, rouler. "
Et c'est dans l'effort suprême de ce travail d'écriture qu'il trouve la voix de " Lambeaux ", la voix qui donne aussi la parole à " la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots, ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance, ceux et celles qui s'acharnent à se punir de n'avoir jamais été aimés, ceux et celles qui crèvent de se mépriser et se haïr, ceux et celles qui n'ont jamais pu parler parce qu'ils n'ont jamais été écoutés... "