Les événements du samedi 7 octobre 2023 et leurs suites - la sanguinaire razzia pogromiste du Hamas dans l'État juif, puis l'hécatombe des Palestiniens de Gaza tués par l'offensive israélienne - constituent le drame paroxystique du premier quart du XXIe siècle.
Le bouleversement du monde en a résulté. Il y aurait dès lors un Nord haïssable et un Sud Global vertueux. Israël symboliserait ce Nord abject, l'aboutissement de la colonisation européenne, de la traite négrière et de l'esclavage.
En fait ce coup de force épistémologique est la consécration de la mainmise des idéologies woke et décoloniale sur les campus américains et européens depuis la fin du XXe siècle et sur les réseaux sociaux:
À la fin de l'automne 2023, à la suite des bombardements de Gaza en représailles à la razzia du 7 octobre, Israël, désormais qualifié de génocidaire par ses adversaires, se voit disqualifié dans les arènes internationales par ce terme même qui avait présidé, trois quarts de siècle auparavant, à sa création par l'ONU.
Gilles Kepel condamne aussi bien l'hécatombe des civils à Gaza que le pogrom du 7 octobre et le sort affreux des prisonniers otages dans le tunnel de Gaza, mais remarque que chaque partie occulte désormais la souffrance de l'autre.
L'observateur regrettera que l'auteur ne rende pas responsable le Hamas de l'hécatombe des civils à Gaza, dont le nombre de victimes est d'ailleurs sujet à caution et qui servent de boucliers humains aux membres de l'organisation terroriste.
Le ministère de la Santé du Hamas qui est la source de ces chiffres se garde bien de distinguer parmi les victimes le nombre de ses membres et celui des civils qui sont autant pris en otages que ceux qui l'ont été le 7 octobre en Israël...
Ces soit-disant combattants, en réalité terroristes, ont réussi leur coup puisque ce sont ces chiffres qui sont repris sans discussion par les influenceurs progressistes:
Faute d'alternative, [ce décompte des morts] a constitué in fine la source de référence mondiale pour les journalistes interdits d'accès à la bande de Gaza.
L'un des intérêts du livre, toutefois, est de rappeler et de mettre en perspective les éléments qui ont conduit à cette tragédie inouïe.
L'auteur, en effet, a pour objectif, avec ce livre, d'inscrire cette tragédie dans le contexte historique d'un demi-siècle afin d'en saisir au mieux les tenants et aboutissants, et les proposer au débat contradictoire dans une perspective la plus informée possible.
Un autre intérêt du livre est de faire apparaître les nouvelles lignes de faille que le coup infligé à Israël le 7 octobre a fait apparaître aussi bien parmi les forces régionales que dans le reste du monde, notamment aux États-Unis dans le contexte des élections présidentielles et en Europe dans celui des élections européennes.
À la suite de ce coup infligé à Israël le 7 octobre:
- Son invincibilité a été mise à mal.
- Sa réplique à cette provocation par une hécatombe à Gaza a suscité contre lui une solidarité internationale par-delà les seuls sympathisants jihadistes, voire islamistes.
L'Occident a été stigmatisé, décentré et réduit à un "Nord" colonialiste immoral, face à un "Sud" qualifié de "global" pour en faire le nouveau champion de l'universalisme porteur du progrès de l'humanité - dont il constitue la majorité par sa démographie en expansion.
Ont été cristallisés par le pogrom du 7 octobre et l'hécatombe à Gaza les clivages entre le Sud Global et le Nord, à l'intérieur duquel le premier est fortement présent de par les flux migratoires dus à la faible démographie du second et à l'écart de niveau de vie entre les deux.
Cette cristallisation se traduit en France:
- par une polarisation identitaire dont les scores électoraux inouïs du Rassemblement national sont l'expression,
- par une consolidation d'un "islamo-gauchisme" qui s'efforce de faire la jonction entre la jeunesse estudiantine radicalisée des campus et les banlieues populaires, dont les scores électoraux relatifs de la France insoumise, luttant contre l'islamophobie et soutenant Gaza, sont l'expression.
Gilles Kepel conclut:
Les événements du 7 Octobre et leurs suites ont ainsi précipité un bouleversement du monde qui pousse ses racines dans la longue durée d'une histoire dont la mémoire est convoquée pour justifier les conflits qui déterminent le présent et le proche avenir du monde contemporain tout en fracturant nos sociétés selon des lignes de faille inédites.
Francis Richard
Le bouleversement du monde - L'après 7 octobre, Gilles Kepel, 174 pages, Plon
Livre précédent chez le même éditeur:
Holocaustes (2024)