Une famille de nantis, parisienne et métissée, s’installe dans le village perdu de Carmac et leur présence détonne. Ici, les gens comme les jours se suivent et se ressemblent tous. En reprenant la sordide affaire de la tuerie du Grand Bornand, la pièce offre une comédie dramatique sur fond de disparités sociales qui nous interroge sur le rapport à autrui. Samira Sedira adapte là son propre roman et la pièce est mise en scène par Eric Massé. Elle a connu sa première le 3 octobre 2024 au Théâtre du Point du jour à Lyon.
La pièce commence par un monologue introspectif d’Anna (interprété de manière tendre et vibrante par Laure Barida), la femme de Constant, qui narre son ressenti après le procès de son conjoint depuis l’intimité d’une chambre. On comprend dès lors que c’est son regard qui dirigera la pièce et fera avancer le public au cœur du drame. Anna, à la fois narratrice et actrice, apparaît comme la cheffe d’orchestre de cette pièce, une mise en abîme intéressante et symbolique lorsque l’on sait l’impact qu’a eu la femme dans le passage à l’acte de son mari.
Une mise en scène astucieuse et intelligente nous transporte de tableaux en tableaux entre ces quotidiens lambda qui s’entrechoquent jusqu’à ce que le drame arrive. Tout y est illustré avec brio et la scénographie permet de voir survenir le changement de ton qui peut parfois désarçonner.
Les costumes aussi nous montrent la pénétration de ces parisiens dans la vie de ces provinciaux. Tous de blanc vêtus pendant le mariage, le bordeaux qui incarne la classe aisée que les Langlois représentent s’invite par touches sur les vêtements des autres au fur et à mesure de côtoyer les nouveaux venus.
Les dialogues sont pertinents et touchants, les répliques ont la poésie que l’on attend d’une œuvre d’art et la justesse d’un échange que l’on pourrait tous avoir vécu.
Le roman, tout comme la pièce, de Samira Sedira vient également interroger le mobile raciste qui n’a pas été retenu lors du procès de l’affaire dite du Grand Bornand. Dans la pièce, le racisme est perceptible mais pas omniprésent. On comprend l’atmosphère, les us et les coutumes du village à travers des moments de liesse populaire, des moments simples lors desquels la musique adoucit les mœurs. On y voit le racisme ordinaire, minimisé, perçu comme inoffensif, comme une réaction quasi naturelle à l’altérité dans ces villages là, mais ce n’est pas le thème central de la pièce.
Des gens comme eux, semble venir questionner la responsabilité collective quand un des membres du groupe dérape. Comment est-ce que l’on peut entretenir un ressentiment au point de commettre l’irréparable ? Comment la violence de classe symbolique éprouvée par les classes modestes peut s’exprimer d’une manière meurtrière ? Comment peut-on assister à la chute d’un proche sans se rendre compte qu’il sombre ?
On peut s’attendre à un angle uniquement sérieux dans une œuvre inspirée d’une affaire aussi macabre, cependant, le mélange de registres entre le tragique et le comique sert bien le propos de la pièce et permet au spectateur de comprendre qu’un crime aussi atroce qu’il soit peut s’inscrire dans la banalité.
Bakary Langlois, brillamment interprété par Gaëtan Kondzot, est cet homme raffiné, cultivé, élégant dont le charme ne laisse personne indifférent. Avec sa femme Sylvia, ils ont ces habitudes de grands bourgeois qui enferment les petites gens qui les côtoient dans un mélange entre gène, jalousie, fascination et frustration.
La performance d’Etienne Galhargue, dans le rôle de Constant, est remarquable et l’acteur nous fait assister à la chute d’un homme normal, sans doute trop normal. Une normalité qu’il vit comme un fardeau, d’abord parce qu’ancien sportif de haut niveau il se retrouve totalement déclassé. Ensuite, parce qu’il peut être supportable d’être d’une classe sociale presque miséreuse mais il n’est pas possible de supporter un Noir aisé dans ce paysage. Il n’est pas possible de vivre une vie au pied de l’échelle sociale si c’est un Noir qui est au dessus.
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