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« Des Inconnues » de Patrick Modiano

Par Etcetera
Inconnues Patrick Modiano

Se replonger dans l’univers brumeux et énigmatique de Patrick Modiano est toujours un grand plaisir, aussi j’étais ravie que le choix de notre cercle de lecture se porte sur « Des Inconnues« , un recueil de trois longues nouvelles, qui ne manquent pas de points communs.
Ce recueil se présente comme une sorte de trilogie ou comme des variations sur des thèmes approchants : la jeunesse, le désir de fuite, la rupture avec la famille, la perte d’identité et le sentiment d’effacement, l’anonymat de la grande ville, la solitude et les relations superficielles, la vie nocturne, les rencontres de hasard, l’insatisfaction, etc. Des thèmes typiquement modianesques, qui sont ici explorés du point de vue de trois jeunes filles.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Folio (initialement : Gallimard)
Date de publication initiale : 1999
Nombre de pages : 176

Mon Avis

J’ai trouvé intéressant, dans ces histoires, que l’auteur parle à la première personne du singulier et qu’il endosse chaque fois des personnalités féminines, comme un acteur dans un rôle de composition, se fabriquant une toute nouvelle identité.
Ces trois jeunes filles ont en commun d’être en rupture avec leur famille ou leur milieu d’origine, elles sont seules dans la vie, ne savent pas trop quoi faire ni où aller, elles ne vivent pas dans des endroits qu’elles ont choisi mais dans des appartements qu’une vague connaissance leur a prêtés, elles fréquentent des gens à l’identité incertaine, qui se présentent sous de faux noms, qui semblent avoir des activités louches sans qu’on sache vraiment de quoi il retourne.
Modiano sait suggérer le flou, l’incertitude, le mystère autour de ses personnages mais aussi à travers les lieux qu’ils arpentent : certaines rues ou quartiers prennent quasiment valeur de symbole, par exemple le nom de Vaugirard fascine l’héroïne de la deuxième nouvelle et devient un idéal à atteindre ; la rue Brancion devient un objet d’horreur pour l’héroïne de la troisième nouvelle à cause d’un abattoir à chevaux qu’elle veut éviter à tout prix ; dans la première nouvelle, c’est le mur sombre des Lazaristes, à Lyon, qui devient pour l’héroïne le symbole d’un horizon bouché, du désespoir, d’un manque total d’avenir.
Ces jeunes filles, par leur situation matérielle précaire, par leur isolement et par leur fragilité psychologique, deviennent des proies faciles pour des hommes sans scrupules, certains qui veulent les violer (deuxième nouvelle), d’autres qui veulent les manipuler, et d’autres encore qui veulent les embrigader dans une secte (troisième nouvelle). Cette sensation de danger est bien présente dans les trois histoires, avec l’éclatement brutal d’un drame à la fin de la deuxième, et une angoisse omniprésente dans la troisième.
La troisième nouvelle m’a semblé la plus réussie et la plus émouvante des trois : un chef d’œuvre !
L’atmosphère désœuvrée et solitaire, le tempérament phobique de la jeune héroïne et ses crises de panique, la description incroyable du quartier de La Porte de Vanves… tout concourt à troubler et à captiver le lecteur.
Un livre à conseiller ! Pour les personnes qui ne connaissent pas encore Modiano, ce livre-ci me semble une bonne porte d’entrée dans son univers. On y trouve, déclinés en plusieurs nuances, tous les coloris de la palette modianesque.

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Un Extrait page 45

Consul du Pérou. Le vent éparpillait les feuilles mortes à travers les allées dans un bruissement qui s’enflait et me glaçait le cœur. Je ne lui en voulais pas s’il m’avait menti. Après tout, ses mensonges étaient une partie de lui-même. Tant pis s’ils ne cachaient que du vide. C’était le vide qui m’attirait chez lui. Souvent, il avait le regard absent. J’aurais voulu savoir à quoi il pensait. J’essayais de le deviner. Je le trouvais mystérieux, insaisissable. On ne l’entendait pas venir quand il ouvrait une porte et qu’il entrait dans la chambre. Et il pouvait disparaître d’un instant à l’autre lorsque vous marchiez à côté de lui. Il ne me l’a jamais fait à moi, mais à tous ceux que j’ai vus avec lui dans les cafés près de l’hôtel ou dans le bureau de l’Agence. C’était même un sujet de plaisanterie entre eux. Quelquefois, ma mémoire flanche, mais je me souviens de ce voyage en Suisse au cours duquel il rencontrait de drôles de types, à Genève, dans le hall de l’hôtel du Rhône.
(…)

Un autre extrait page 122

De Montparnasse, je voulais descendre à la station Champs-Élysées. Je suivais le long couloir où il était indiqué : Direction Porte de la Chapelle. J’étais prise dans la foule des heures de pointe. Il fallait marcher tout droit sinon je risquais d’être piétinée. Le flot s’écoulait lentement. Nous étions serrés les uns contre les autres et le couloir devenait plus étroit à mesure que l’on approchait de l’escalier qui descendait sur le quai. Je ne pouvais plus faire marche arrière et, comme je me laissais entraîner, j’avais l’impression de me dissoudre dans cette foule. J’allais disparaître tout à fait, avant même d’être arrivée au bout du couloir.
Sur le quai, je me suis dit que je ne parviendrais jamais à me dégager. Je serais précipitée dans un wagon par la masse des gens autour de moi. Ensuite, à chaque station, un flot de voyageurs entrerait dans le wagon et me repousserait encore plus loin vers le fond.
La rame s’est arrêtée. Ils m’ont bousculée, mais j’ai pu me dégager en me laissant emporter par ceux qui sortaient des wagons. Je me suis retrouvée à l’air libre. De nouveau, j’étais vivante. Je me répétais à haute voix mon prénom, mon nom, ma date de naissance, pour bien me convaincre que c’était moi.
(…) 

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