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Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques

Publié le 08 octobre 2024 par Adtraviata
stripteaseuses toujours besoin conseils juridiques

Quatrième de couverture :

Mille dollars de l’heure. Un tarif qui ne se refuse pas quand on est avocat commis d’office obligé de passer ses journées, dimanches compris, à plancher sur les dossiers attristants de petits malfaiteurs sans envergure. Puis à négocier des peines avec un procureur plus puissant que soi mais tellement moins compétent. Alors Justin Sykes, lassé par ce quotidien déprimant, accepte pour ce tarif de se mettre un soir par semaine au service des filles d’un gentlemen’s club et de passer la nuit dans le motel d’en face. Sans trop chercher à comprendre. Parce que, c’est bien connu, les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques.

Je ne suis pas allée au Festival America mais j’ai eu la chance de rencontrer Iain Levison à la librairie Au Temps Lire (qui a un programme de rencontres tout à fait génial – et bravo aux libraires parce que ça leur demande du temps, de l’énergie, et ils animent ces rencontres avec brio). J’ai donc pris le temps de lire auparavant ce dernier roman de Iain Levison paru en français et je me demande bien pourquoi diable j’ai attendu si longtemps avant de le découvrir !

Le titre original est The Whistleblower, Le Lanceur d’alerte et il nous faudra quelques pages pour comprendre que le narrateur Justin Sykes était employé par une entreprise très puissante, gagnait très bien sa vie avant de devenir lanceur d’alerte et d’être contraint de travailler dans l’aide juridictionnelle. Le « tableau » de ses clients est assez déprimant : des petits délinquants, des récidivistes alcoolisés, des auteurs de violences quotidiennes pour qui Justin négocie sans relâche le tarif des peines avec Dick Farrell Junior, un vice-procureur pas très compétent qui veut bien tout sauf se taper des procès pour lesquels il devrait bosser à plein temps et risquer de dévoiler ses grosses lacunes en matière pénale. Jusqu’au jour où Dick durcit obstinément le ton, au grand dam de Justin et où, de fil en aiguille, celui-ci se voit proposer par Marcus, propriétaire d’une boîte de striptease, un boulot simple et bien payé : donner des conseils à ses travailleuses une heure par semaine ; en échange, l’avocat recevra mille dollars en cash et devra passer une nuit au motel d’en face (également propriété de Marcus) sans parler à personne.

Nous sommes entre Philadelphie et Arrington (ville qui existe vraiment sous le nom de Essington, si j’ai bien compris Iain Levison), et les infrastructures routières complexes autour de l’aéroport vont bientôt être remplacées par une bretelle unique d’accès à l’autoroute. En attendant, les flics (ceux qui sont censés « protéger le peuple ») arrêtent systématiquement les Noirs qui passent par l’ancienne bretelle. Pourquoi ? Un mystère que Justin Sykes percera tout en comprenant petit à petit pourquoi lui et deux autres personnes ont été recrutés par Marcus.

Dès le début, on se doute bien qu’il y a une embrouille derrière ce « petit boulot » d’une heure et ça a été un plaisir jubilatoire de se poser plein de questions, de voir se dérouler l’intrigue et se dénouer tous les noeuds dans lesquels notre héros malgré lui a été embarqué. Iain Levison jette sur le monde judiciaire américain un regard désabusé et ironique : il a lui-même été arrêté dans le passé pour une infraction légère (un poids lourd un peu trop lourd) et a fait deux mois de prison pour avoir refusé de payer l’amende de 400 dollars ; il a pu observer le fonctionnement du système et constater une fois de plus que le rêve américain est définitivement un mythe pour une grande partie des Américains. J’ai beaucoup aimé la façon douce-amère dont il traite ses personnages et j’ai vraiment passé un très bon moment avec ce roman intelligent et drôle.

A signaler que Iain Levison, Ecossais d’origine, a multiplié les petits boulots aux USA. Depuis le covid, alors qu’il travaillait en Angleterre, il a décidé d’y rester. Ses livres ne sont pas publiés aux Etats-Unis ni en Grande-Bretagne, c’est son éditeur français qui gère les traductions en français et dans d’autres langues. Voilà sans doute ce qui arrive au pays de l’oncle Sam quand on égratigne le système…

« Voila comment je gagne ma vie.je défends de gars qui s’exhibent devant des enfants, qui cambriolent des magasins de spiritueux, et je les aide à naviguer dans le système judiciaire. Vous ne voyez peut-être rien d’héroïque la dedans. Et vous avez sans doute raison. »

« Les gens pensent que le boulot d’avocat s’apparente aux autres professions, comme celle de médecin par exemple, mais la médecine est une science. Constituée de vérités universelles. Vous pouvez donc parler à un pneumologue d’un problème que vous avez au pied et il sera éventuellement capable de vous donner quelques conseils utiles. Il a fait des études de médecine et s’il n’est pas spécialiste du pied, il en sait assez sur le fonctionnement général du corps humain pour comprendre un tant soit peu votre problème. Il n’existe pas de vérités universelles en matière juridique. Le droit n’est qu’un ramassis de conneries que des gens ont pondu, et s’ils vivent dans un autre État, ils ont peut-être pondu des conneries complètement différentes. De sorte que me demander à moi, un avocat en droit pénal de Pennsylvanie, des conseils relevant du droit matrimonial du New Jersey, c’est comme me consulter pour un problème agricole. »

« Parfois le manque de gratitude de ceux qui bénéficient de l’assistance juridique est blessant. Mes clients sont fauchés mais ils continuent de penser comme des capitalistes et considèrent que tout ce qui est gratuit est sans valeur. »

« J’ai toujours été étonné de voir comment les prisonniers se considèrent les uns les autres, au mépris de toute conscience de soi. Pour les alcooliques, les toxicos, ça craint. Pour les voleurs de voitures, les cambrioleurs, ça craint. Pour les cambrioleurs, les délinquants sexuels, ça craint. Pour les automobilistes qui se prennent des contraventions de stationnement, j’imagine que ceux qui se prennent des prunes pour excès de vitesse, ça craint. Tant qu’il y a pire que vous, ça va. »

Iain LEVISON, Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, Liana Levi, 2024

Ce livre peut s’inscrire dans le thème des Mondes du travail chez Ingamnic.


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