Journaliste: La Russie vient de reconnaître l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Qu’en pensez-vous?
O. Luchterhandt: Cette reconnaissance est une décision souveraine de la Russie. Si la Russie est de l’opinion que l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud ont la capacité et la vocation à être des États, c’est sa responsabilité propre. Je vois pourtant des différences entre ces deux sujets: l’indépendance de l’Abkhazie est compréhensible car la situation est comparable avec ce qu’elle était au Kosovo… ceci n’est absolument pas le cas de l’Ossétie du Sud, dont la reconnaissance me parait contraire au droit.
Journaliste: Quelle sont les différences entre les cas du Kosovo, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud?
O. Luchterhandt: L’aspect du droit international auquel il convient de répondre est la question si ces 3 entités sont des États. Un État doit satisfaire à trois critères:
1) L’existence d’un territoire national
2) Une population nationale
3) Une structure politique en mesure d’administrer le territoire
Le troisième point pose problème dans le cas du Kosovo en raison de la tutelle de l’ONU. De ce point de vu, la reconnaissance du Kosovo était légalement problématique.
Journaliste: Il n’était donc pas correct de reconnaître le Kosovo?
O. Luchterhandt: On peut effectivement voir cela comme ça, il y a cependant une marge d’interprétation: le Kosovo peut, d’une certaine manière, justifier de structures étatiques même si celles-ci sont limitées par le mandat onusien. D’autres part, les kosovars se sont administrés eux-mêmes entre 1988 et 1998… et ce de manière tout à fait pacifique. La reconnaissance du Kosovo est donc aussi l’aboutissement d’une longue lutte du peuple pour son indépendance. Mon point de vu personnel est donc que la reconnaissance du Kosovo n’était pas contraire au droit.
Journaliste: Retournons à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud : peut-on considérer qu’il s’agisse de deux États?
O. Luchterhandt: Dans le cas de l’Abkhazie, les similitudes avec le Kosovo sont réelles : l’ONU est présente avec des observateurs et des forces de maintien de la paix russes sont présentes en accord avec l’ONU. Cela ne limite pourtant pas la souveraineté de l’Abkhazie. On peut considérer que l’Abkhazie a les caractéristiques d’un État. Concernant l’Ossétie du Sud j’ai de grands doutes : la présence russe est si forte que l’on ne peut pas parler d’une administration du territoire indépendante ou souveraine… d’autres part les nombreux villages géorgiens font que la population est loin d’être homogène. L’Ossétie du Sud ne satisfait donc pas aux critères d’un État national.
Journaliste: Existe-t-il un «droit à la scission»?
O. Luchterhandt: Oui mais cela est très encadré. Il faut notamment qu’il n’y ait plus aucune possibilité d’une cohabitation (pacifique). Dans le cas de l’Abkhazie il a des arguments importants qui plaident pour cette situation. Ce n’est pas le cas en Ossétie du Sud.
Journaliste: Pourquoi l’Abkhazie devrait avoir ce droit à l’indépendance?
O. Luchterhandt: En juillet 1992 des miliciens géorgiens ont attaqué l’Abkhazie. Les 250′000 géorgiens qui vivaient à cette époque en Abkhazie ont alors voulu soutenir ces miliciens et s’en sont pris à leurs voisins abkhazes en commentant toutes sortes de crimes de guerres. Par crainte de vengeance, les géorgiens ont fini par fuir mais depuis cet épisode il n’existe plus de base à une vie commune des deux peuples. Au Kosovo la situation était comparable durant la présidence Milosevic. Le conseil de sécurité de l’ONU a reconnu en 1998 (d’ailleurs avec les voix russes) que le régime Milosevic était coupable de nettoyage ethnique au Kosovo. L’ Ossétie du Sud n’a, quand à elle, jamais connu ce type de conflit.
Traduction: David Puls (Source : ARD Tagesschau)