OTAN et Russie : Les animaux malades de la peste

Publié le 27 août 2008 par Mercure

Lorsqu’une maison brûle, l’arroser d’essence n’est pas une bonne méthode pour éteindre l’incendie. Aussi, dans l’affaire du Caucase, faut-il y aller avec une bonne dose de rationalité si on veut bien comprendre les événements et les comportements des acteurs, en s’interdisant bien sûr les préjugés, les émotions et les affirmations expéditives, et en lisant le moins possible les médias.
Dressons d’abord un état des lieux sommaire.
Après l’effondrement de l’Union Soviétique, les anciennes Républiques Autonomes ont choisi d’être indépendantes de la Russie. Tout au plus ont-elles souvent accepté d’adhérer à la CEI (Communauté des États Indépendants), structure politique assez lâche qui constitue une sorte de structure de concertation.
Cela se passe plutôt bien avec les cinq républiques situées entre Chine et Caspienne : Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan.
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Rappelons par contre le conflit qui a opposé l’Arménie et l’Azerbaïdjan entre 1988 et 1994, en raison de l’existence, à l’intérieur de l’Azerbaïdjan, d’une zone montagneuse, le Haut-Karabagh, essentiellement peuplée d’Arméniens. La population de cette enclave choisit à son tour de prendre son indépendance, et, après un référendum positif, proclama la République du Haut-Karabagh.
L’Azerbaïdjan protesta et voulut alors récupérer ce territoire qui lui avait été dévolu par la grâce de Staline aux alentours de 1920, malgré les protestations de ses habitants - est-ce que ça vous rappelle quelque chose de récent ? - une guerre s’ensuivit, et l’Arménie s’en mêla pour assister sa population sœur de l’enclave.
Un cessez-le-feu intervint en 1994. Le Haut-Karabagh se rattacha logiquement à l’Arménie, mais la communauté internationale ne reconnut pas l’indépendance du Haut-Karabagh et considère toujours aujourd’hui qu’il fait partie de l’Azerbaïdjan - est-ce que ça ne vous rappelle pas aussi quelque chose ? - mais heureusement, l’Arménie et l’Azerbaïdjan étaient peuplés de gens plus sages que ceux qui régissent aujourd’hui la «communauté internationale», et les choses s’arrêtèrent là.
Pour résoudre ce conflit, on s’appuya donc sur le principe selon lequel la terre appartient à celui qui l’habite, ce qui semble fort raisonnable, car par le jeu des migrations et de la démographie, il est tout à fait évident que les frontières démographiques évoluent et finissent par ne plus coïncider avec les frontières politiques, dont le tracé est surtout fonction des lignes de puissance qui fracturent le monde. Il semble donc normal que des réajustements de frontières doivent finir par s’imposer d’une façon ou d’une autre en fonction du désir des populations concernées, en tenant compte du fait que des populations ayant une unité culturelle forte [langue, religion, ethnie] trouvent très naturel de vivre ensemble sur un même territoire.
C’est d’ailleurs en raison de ces considérations que l’indépendance du Kosovo a été admise récemment par la «communauté internationale», en violation des principes de la charte des Nations Unies qui font de la fixité des frontières un précepte absolu.
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La même chose vient de se produire un peu plus à l’ouest du Caucase entre la Géorgie et deux de ses enclaves, l’Abkhazie et l’Ossétie du sud, qui lui avaient été dévolues en 1922, à nouveau par Staline.
Mais cette fois, la «communauté internationale» glapit contre la Russie, qui avait agi de la même manière dans le conflit arménien, 14 ans auparavant, à la satisfaction de tous. Surprenant ! Pourquoi ?
J’ai eu beau chercher, je n’ai trouvé aucune raison objective à cette attitude. Finalement, je me suis rabattu sur une idée qui ne me satisfait guère : c’est que la Géorgie était devenue un satellite de l’orbite étasunienne, avec un président étasunien, des armes étasuniennes, et même deux mille « conseillers militaires étasuniens » qui ont dû se carapater très vite à travers la Turquie pour ne pas être capturés par l’armée russe et être montrés sur tous les écrans du monde comme preuves du complot de Bush.
Au passage, j’ai remarqué que la seule timide preuve de la non forfaiture des Étasuniens dans cette affaire tient à deux déclarations de l’ambassadeur des É-U à Tbilissi, et de la secrétaire d’État Rice, indiquant que les États-Unis avaient conseillé Saakachvili de ne pas entreprendre d’opération militaire contre les enclaves. Personne n’a réagi à la suite de ces déclarations. Elles sont pourtant lourdes de sens.
D’abord elles ont été faites huit à dix jours après le premier engagement, ce qui laisse à penser que les É-U voulaient attendre de savoir comment le vent allait tourner avant de se défausser. Curieux ! Mais surtout, elles constituent l’aveu que les É-U étaient au courant des intentions de Saakachvili, et qu’ils n’ont rien fait pour l’en dissuader, le fait de seulement le mettre en garde n’étant pas acceptable, puisque l’armée géorgienne a été constituée par les fameux « conseillers militaires étasuniens », entièrement équipée de matériel étasunien et entrainée par eux. Ils avaient donc le pouvoir d’imposer à Saakachvili de rester tranquille.
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Autre chose curieuse : la plupart des gens ont parfaitement compris que la Géorgie était l’agresseur de premier niveau. Mais alors s’est déclenché une nouvelle guerre, médiatique cette fois, et l’assourdissant caquetage des associés de l’OTAN a réussi à faire croire aux médias que, tout bien pesé, c’était la Russie l’agresseur. Pourquoi ?
La seule explication que j’ai trouvée peut paraître un peu simpliste, mais je la donne quand même : l’armée géorgienne est une création des États-Unis. Bien qu’équipée de pied en cape par les États-Unis et entraînée par les redoutables « conseillers militaires étasuniens », elle n’a pas tenu 24 heures devant les Russes. Où était donc le problème ? Je pense que les Étasuniens en étaient restés au souvenir de la lourde et inefficace armée soviétique, alors qu’ils se sont heurtés à une armée moderne, parfaitement organisée et commandée. On est loin de la guerre de Tchétchénie où les Russes se battaient contre des bandes terroristes.
Il fallait donc impérativement masquer ce nouvel échec des États-Unis par un vacarme médiatique tonitruant et passer pour la victime plutôt que pour l’agresseur. Pure hypocrisie ! Pour cela, un bouc émissaire était nécessaire, et… comme l’écrivait notre bon La Fontaine :

Un loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir.

D’où, l’ostracisme dont la Russie est maintenant l’objet.
On voulait bien qu’elle soit intervenue pour protéger les Ossètes, mais envahir le chérubin étasunien, quel épouvantable crime ! Elle l’aurait fait, paraît-il, d’une manière excessive. Avons-nous déjà vu qu’une guerre ne soit pas violente ? Une guerre pacifique en somme, dont des exemples seraient peut-être celles d’Afghanistan et d’Irak.
Si les troupes russes restent un peu plus longtemps que prévu, quelle en est l’importance ? On peut comprendre que la Russie finisse de nettoyer ce qui reste de l’armée « américaine » de Saakachvili, pour qu’il ne soit pas tenté de recommencer. Logique aussi que les troupes russes repartent avec une prime de risque sous la forme du matériel offert par la Graaande Amérique et dont les secrets, s’il y en a, peuvent être très précieux à découvrir, dans les drones, le matériel de communication et bien d’autres objet militaires sophistiqués. Une telle récolte ne se fait pas du jour au lendemain. Mais, visiblement, cela met mal à l’aise l’oncle Sam, qui préfèrerait garder ses petits secrets.
Le journal « Le Monde » est même allé jusqu’à soupçonner la Russie de vouloir annexer la Géorgie. Quelle stupidité ! Il s’agissait simplement de neutraliser ce pays dont Saakachvili voulait faire le levier qui ferait tomber l’ours Russe. Trop petit, le mercenaire étasunien !
On n’en est pas resté là. Faute d’avoir réussi à faire trébucher l’ours russe, on allait donc le bannir de l’OTAN, du G8, de l’OMC, bref de toutes les précieuses innovations étasuniennes fabriquées pour domestiquer le monde et promener en laisse ses courtisans. Jusqu’ici, ça avait parfaitement marché. Mais à présent ?
L’OTAN ne comprend à peu près que l’armée des É-U, et vogue d’échec en échec. À part les É-U, les autres font tapisserie et ne savent qu’offrir leur territoire pour le truffer de bases militaires étasuniennes. Qu’y ferait la Russie ? Ça ne peut plus guère l’intéresser.
Le G8 est un club qui s’occupe des affaires du monde. Ah bon ! Et bien dans quel foutu état serait le monde si le G8 ne s’en occupait pas ! À part demander à la Chine à chaque réunion de réévaluer le yuan - ce qu’elle ne fait pas, ou peu - que fait-il ? S’ajouter la Russie ne ferait qu’admettre un bavard de plus, et Poutine a vraiment autre chose à faire que de se balader pour prendre l’apéritif avec les grands de ce monde.
L’OMC contrôle le commerce mondial. Ah oui ! La belle affaire ! Le monde n’a pas attendu l’OMC pour commercer sur toute la planète depuis des temps immémoriaux. Lorsqu’une plainte est déposée sur le bureau de l’OMC pour violation des accords, il faut un minimum de deux ans pour instruire l’affaire. S’y ajoutent deux autres années pour l’appel qu’interjette nécessairement le pays délinquant. Il faut ensuite à peu près doubler ce temps, car il est possible de faire traîner éternellement les procédures sous prétexte d’études d’expert et de contre étude d’experts de la partie adverse. Je dois en oublier. Consultez les dossiers de plaintes non traitées, comme celles du Canada contre les É-U par exemple. Vous serez surpris
L’OMC ne sert donc à rien. À preuve le récent échec du cycle de Doha au sujet des produits agricoles. Franchement, qu’irait faire dans cette galère la Russie, alors qu’il est si rapide et si efficace de revenir à la pratique des anciens accords bilatéraux, dont la mise en place était facile et qui donnaient satisfaction à tout le monde. La Russie n’a jamais souffert de ne pas appartenir à ce nouveau club étasunien.
Donc, toutes ces menaces envers la Russie ne servent à rien, sinon à souligner l’impuissance dans laquelle se trouvent ceux qui les profèrent.
Il est pourtant facile d’imaginer ce que devraient faire tous ces gorgés d’importance pour que la Russie sortent plus rapidement de la Géorgie.
Il faudrait tout simplement qu’ils cessent de japper en tournant autour d’elle comme des caniches autour d’un chien danois. Ce qui doit prodigieusement amuser Poutine et Medvedev.
@ André Serra http://andreserra.blogauteurs.net/blog/