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Tsyrano

Publié le 04 octobre 2024 par Morduedetheatre @_MDT_
Tsyrano

Critique de Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, vu le 20 septembre 2024 au Théâtre Montparnasse
Avec Arnaud Tsamere, Camille Favre-Bulle, Maud Le Guénédal, Alexandre Bierry, Alexis Desseaux, Jean-Pierre Malignon, Bruno Paviot, Vincent Remoissenet, Benoit Tachoires, Loïc Trehin, mis en scène par Alain Sachs

Je vais vous dire précisément l’état d’esprit dans lequel j’ai vu ce Cyrano. J’ai payé mes places. Pas que je paie rarement mes places ni que je sois particulièrement radine, merci pour moi, mais ce qu’il faut comprendre là-dessous, c’est que j’ai refusé de demander des places pour un spectacle que j’étais à peu près sûre de ne pas aimer. Enfin, ne pas aimer, je n’y crois pas trop. J’aime toujours un peu Cyrano. Parce que ces vers me touchent beaucoup trop pour ne pas aimer au moins un peu. Disons que j’étais sûre de mordre. Franchement, Arnaud Tsamère en Cyrano ? Franchement ? Franchement, oui !

Je ne sais pas si c’est moi qui desserre progressivement la mâchoire ou Arnaud Tsamère qui gagne petit à petit en aisance sur le plateau – sûrement un peu des deux. Je ne sais pas ce qui crée le déclic chez moi, ce qui m’apaise et me permet de rentrer tout à fait dans le spectacle. Je crois que j’ai vraiment du mal à avec le principe de tête d’affiche, parce que j’ai vu trop de tête d’affiches ne pas « mériter » les plateaux qu’ils occupaient et devenir comédiens de troupe sur leur simple nom. Mais je comprends vite qu’Arnaud Tsamère n’est pas de ceux-là. Il est venu jouer Cyrano. Il a travaillé à être Cyrano. Et il est Cyrano.

Je mets probablement un peu de temps aussi pour accepter le parti pris de ce Cyrano. Je commence à avoir quelques Cyranos au compteur, je connais bien le texte, jusqu’à pouvoir en réciter des passages entiers. Mais on ne fait pas quinze ans de critique pour tout regarder de son point de vue. Du point de vue le plus objectif que je peux adopter, ce Cyrano, sans doute un peu scolaire, me semble être une très bonne approche de l’oeuvre. Sur le fond, elle a été coupée, c’est vrai, mais elle m’évoque les versions jeunesses raccourcies de chef-d’oeuvres comme Les Misérables que j’ai lues quand j’étais plus jeune. On enlève le superflu – si tant est qu’il peut y avoir du superflu dans Cyrano – et on ne garde que le coeur, que les plus beaux vers, que ceux qui font avancer l’action. Sur la forme aussi, on est sur quelque chose de presque vulgarisé. Les vers de Rostand sont dits de manière très détachée, très claire, pas trop rapide – et qui manque peut-être encore un peu de naturel et de lâcher prise, si on doit aller au bout de la critique. C’est peut-être l’accessibilité, le spectacle populaire, familiale, que je salue le plus dans ce spectacle. Alors à ceux qui connaissent déjà bien la pièce et qui cherchent le Cyrano de leur vie, peut-être qu’il faut passer votre chemin. Quoique…

Quoique, déjà, Arnaud Tsamère compose un Cyrano qui tient complètement la route. Je dirais même plus : il est un Cyrano étonnant. L’air sûr de lui, il a l’allure de Cyrano sans en avoir la carrure. Il est peut-être un peu trop beau garçon pour le personnage, mais finit par se faire totalement oublier derrière son grand nez. Le regard rieur, sympathique, tantôt très juste, tantôt peut-être un peu trop neutre, sans doute plus à l’aise avec le panache de son personnage qu’avec sa sensibilité, il est un Cyrano amoureux des bons mots, blagueur sans pour autant être léger. Il a parfois l’air d’auto-admirer sa prose, comme s’il riait de ses propres blagues ou s’il était conscient de sa supériorité intellectuelle. Pas de doute en tout cas, il ajoute ce petit truc en plus qui permet au personnage de se déployer tout à fait. Et que ce petit truc vienne de son métier d’humoriste, son respect infini pour le personnage, ou d’un travail minutieux sur le texte, je m’en fous.

Mais mon plus grand quoique s’appelle Camille Favre-Bulle. Ca fait un petit moment maintenant que je suis cette comédienne et j’étais absolument ravie, quoi qu’un peu étonnée, de la découvrir en Roxane. Si on en était encore aux « emplois » – et je suppose qu’inconsciemment j’y suis encore un peu, shame on me ! – ce n’était pas forcément en Roxane qu’on l’aurait imaginée. Et pourtant, en la voyant, c’est juste une évidence. Disons les termes : c’est la plus grande Roxane que j’ai jamais vue. Et que je verrai probablement jamais. Elle ajoute au personnage des tonalités que je n’avais encore jamais entendues – et qui sont pourtant bien là, dans le texte. Et on découvre alors tous les contours d’un personnage si complet : une grande amoureuse, pleine de courage, une femme déterminée, lumineuse, maligne, intelligente, drôle, fine, pleine de vie, de grâce, et de force. Une femme guidée par des sentiments trop grands qui l’aveuglent, bien trop ancrée dans l’émotion pour laisser suffisamment de place à la raison d’éclore. Et c’est ce qui transparaît le plus sur scène. Elle semble inventer son texte en le disant, guidée par l’intuition du moment. Elle est simplement divine. Bravo, bravo, bravo.

Tsamère a pris un risque, sans doute un peu inutile, mais le relève avec adresse. Tant mieux. C’est bien plus beau lorsque c’est inutile.

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