Le dernier jour de la vie antérieure (El último día de la
vida anterior)
Auteur : Andrés Barba
Traduit de l’espagnol par François Gaudry
Éditions : Christian Bourgois (3 Octobre 2024)
ISBN : 978-2267047653
160 pages
Quatrième de couverture
Dans une maison vide promise à la vente, une agente immobilière découvre un enfant assis sur une chaise. Il la regarde sans ciller, dans un accoutrement désuet qui ajoute à son étrangeté. Leur rencontre bouleverse le quotidien de cette employée sans histoire : elle retourne jour après jour sur les lieux, à l’insu de ses proches, obnubilée par cet être et ce foyer désert qui partagent un lien invisible.
Mon avis
On ne sait pas grand-chose d’elle, à part qu’elle est agente immobilière, qu’elle vit avec un homme ou plutôt qu’elle partage un peu de son temps avec un compagnon, et que son patron a un chien vieillissant. On découvre que c’est une femme calme, posée, qui doit vendre des logements. Plutôt douée pour percevoir les demeures, les juger, connaître leur potentiel, leur valeur, presque comme s’il s’agissait de personnes humaines (avec qui elle est plus maladroite, moins à l’aise). Elle ressent la vie de ceux qui y ont élu domicile. Un bout de plancher non décoloré sous une fenêtre et elle cerne que l’habitant n’était pas heureux. Pourquoi ? Il n’ouvrait pas le rideau et le soleil ne pénétrait pas à l’intérieur… Les maisons et elle, c’est toute une histoire.
« Elle comprend que cette maison est accueillante quand on la parcourt, pas quand on s’arrête. »
Alors, ce jour-là quand elle voit un enfant dans la cuisine d’une villa qu’elle fait visiter, elle n’est pas déstabilisée, pas tout de suite. Elle lui explique qu’il ne peut pas rester ici. Elle l’observe, il ne cille pas et ne semble pas décidé à partir. Il finit par s’en aller mais elle ne se sent pas libérée. Est-ce à dire que ce gamin, un intrus quand même, va bouleverser son quotidien, son fonctionnement ? Elle voudrait continuer son traintrain, l’oublier. Mais ce n’est possible. Bien sûr, elle ne se l’explique pas, son comportement n’est pas rationnel. Et puis, c’était sans doute une vision, une espèce de rêve, il ne sera plus là quand elle reviendra. Pourtant elle s’interroge et retourne sur les lieux, seule, cherchant à saisir l’inexplicable. Il est là mais elle aussi. Faille temporelle, dérèglement de son esprit, illusion ?
C’est à l’insu de tous que jour après jour, elle élimine les futurs visiteurs pour rencontrer cet enfant et être seule avec lui. Hors du temps, hors de toute logique, hors de toute normalité….
Un lien étrange, particulier, fort, se tisse entre eux. Elle s’aperçoit que cette relation unique modifie la perception qu’elle a de sa vie. Peut-être qu’elle ne devient pas une autre, mais tout simplement elle-même ?
« Un enfant l’a sortie de la vie. Un enfant l’a rendue à elle-même. »
Ce roman nous interroge sur ce qu’il reste de nos souvenirs, de nos vies lorsqu’un événement terrible semble arrêter le cours des choses. La solitude est-elle une prison, une compagne ? Peut-on aider les autres et s’aider soi-même ?
Un style évanescent, une écriture poétique tissant les mots pour présenter une scène, un décor, une conversation, une image, une atmosphère éthérée entre fantastique et réalité, tout cela est troublant et fascinant. On reste dans des faits factuels, sans détails superflus, décrits de façon quasi chirurgicale et pourtant c’est magique et magnifique. On sait que ce que ce n’est pas la réalité que cette femme perçoit. Mais c’est la sienne à ce moment-là, celle dont elle a besoin.
C’est tellement beau et délicat. Peu importe que ce soit possible ou pas. L’essentiel, c’est le plaisir de pénétrer sur la pointe des pieds dans cet univers, où le temps est suspendu, pratiquement figé entre passé et présent. Il suffit d’observer, d’écouter le peu de paroles échangées, d’entendre la musique de la vie qui se tricote, se détricote avant de reprendre son cours ….