Critique Ciné : Salem (2024)

Publié le 03 octobre 2024 par Delromainzika @cabreakingnews

Salem // De Jean-Bernard Marlin. Avec Dalil Abdourahim, Oumar Moindjie et Wallen ElGharbaoui.

Jean-Bernard Marlin, réalisateur prometteur révélé par le film acclamé Shéhérazade, revient avec un nouveau projet ambitieux : Salem. Ce long métrage, sorti récemment, se présente comme une fresque dramatique inspirée de la célèbre tragédie Roméo et Juliette, transposée dans les quartiers nord de Marseille. Mais malgré des intentions louables et une audace indéniable, Salem semble avoir du mal à trouver son équilibre, en s'aventurant dans des genres divers qui ne parviennent pas à former un tout cohérent. Dès le départ, Salem nous plonge dans un conflit entre deux cités rivales de Marseille : les Grillons et les Sauterelles. Djibril, jeune Comorien issu des Sauterelles, tombe amoureux de Camilla, une gitane des Grillons. Ce couple mixte, évoquant les amants maudits de Shakespeare, est rapidement confronté à la violence qui règne dans leurs quartiers respectifs.

Djibril est un jeune comorien des Sauterelles, un quartier difficile de Marseille. Il est amoureux de Camilla, une gitane du quartier rival des Grillons. Lorsqu'elle lui apprend qu'elle est enceinte, Djibril lui demande d'avorter pour ne pas déclencher une guerre des clans. Mais l'assassinat d'un ami de Djibril, sous ses yeux, va embraser les deux cités. Traumatisé, Djibril sombre peu à peu dans la folie. Il est persuadé qu'une malédiction s'est abattue sur le quartier et décide de garder à tout prix son enfant : pour lui, seule sa fille pourra les sauver du chaos.

L'intrigue prend cependant un tournant inattendu lorsque des éléments fantastiques et mystiques viennent s'y greffer, brouillant les pistes et faisant perdre de sa force au récit. L'une des principales difficultés de Salem réside dans son ambition de mélanger plusieurs genres cinématographiques. À la fois drame social, histoire d'amour tragique, récit mystique et film fantastique, le film ne parvient malheureusement pas à s'ancrer solidement dans aucune de ces catégories. Le passage d'une thématique à l'autre se fait souvent de manière abrupte, rendant le tout difficile à suivre. Par exemple, le film commence par une plongée réaliste dans la vie des cités marseillaises, avec des scènes de délinquance et de tensions inter-quartiers. Puis, sans transition véritable, des concepts religieux et mystiques font leur apparition : Djibril, le personnage principal, se persuade qu'une malédiction plane sur son quartier et que seule sa fille à naître pourra y mettre fin. Les cigales, un élément central du film, symbolisent à la fois le chaos et une sorte de malédiction biblique qui enveloppe la cité.

Bien que le fantastique puisse ajouter une dimension intéressante au cinéma de genre français, ici, il semble mal maîtrisé. Le climat mystique et prophétique, au lieu d'intensifier le drame, sème davantage la confusion dans un scénario déjà difficile à suivre. Ces changements de ton soudains et souvent maladroits laissent une impression d'indigestion, où l'on passe d'un genre à l'autre sans réelle fluidité. En plus du mélange des genres, Salem souffre d'un scénario qui s'étire inutilement. Le film, qui dure près de deux heures, aurait gagné à être plus resserré. Certaines scènes semblent trop longues et ne parviennent pas à maintenir l'attention du spectateur, surtout lorsque le mysticisme prend le dessus. Ce sentiment de longueur est d'autant plus accentué par un certain manque de clarté dans le développement des personnages. Djibril, le protagoniste, bascule rapidement dans la folie, mais cette transition est mal préparée et donne l'impression d'un revirement soudain et peu crédible.

De plus, la symbolique autour de la malédiction et des cigales, bien que visuellement intrigante, ne parvient pas à porter le film. Le mysticisme est traité de manière trop lourde, et au lieu d'ajouter une dimension poétique ou philosophique, il finit par alourdir l'ensemble. L'effet est tel que l'on finit par se perdre dans cette accumulation de symboles sans vraiment comprendre ce que le réalisateur cherche à nous transmettre. Jean-Bernard Marlin, fidèle à sa démarche réaliste, a choisi de faire appel à des acteurs non professionnels pour incarner les rôles principaux. Si cette approche avait porté ses fruits dans Shéhérazade, elle se révèle ici plus problématique. Les interprétations de Djibril, Camilla et des autres personnages manquent souvent de justesse et donnent parfois lieu à des scènes embarrassantes. On ressent une certaine maladresse dans leur jeu, ce qui nuit à l'immersion dans l'histoire.

Bien que certains acteurs parviennent à tirer leur épingle du jeu, notamment dans les scènes plus intimistes, d'autres passages, surtout ceux qui nécessitent une intensité dramatique, tombent à plat. L'émotion peine à transparaître, et le spectateur se retrouve souvent à observer des personnages qui semblent réciter leur texte sans réelle conviction. Au final, Salem est une œuvre ambitieuse qui s'essouffle sous le poids de ses propres aspirations. Jean-Bernard Marlin, en cherchant à mélanger drame social, fantastique et tragédie, semble avoir perdu de vue la cohérence narrative nécessaire pour maintenir l'attention du spectateur. Les éléments fantastiques, au lieu d'enrichir le propos, le compliquent inutilement, et les acteurs non professionnels, bien que touchants à certains moments, ne parviennent pas toujours à rendre justice à leurs personnages. Pourtant, Salem aurait pu être une œuvre marquante. Le thème des rivalités de quartiers, l'histoire d'amour contrariée et la tentative d'introduire une dimension mystique dans un cadre urbain réaliste sont autant d'idées prometteuses.

Mais le film manque de la maîtrise nécessaire pour les développer pleinement. Au lieu de cela, il en ressort une œuvre confuse, où les bonnes intentions se perdent dans un scénario brouillon et une mise en scène trop lourde. En somme, Salem déçoit là où Shéhérazade avait brillé. Si l'on peut saluer l'audace de Marlin d'avoir tenté quelque chose de différent, le résultat final reste malheureusement en deçà des attentes.

Note : 3.5/10. En bref, un mélange des genres qui peine à convaincre.

Sorti le 29 mai 2024 au cinéma - Disponible en VOD