" Cela conduit à remplacer la notion de compétence par la notion de capital linguistique. Parler de capital linguistique, c'est-à dire qu'il y a des profits linguistiques : quelqu'un qui est né dans le 7ème arrondissement - c'est le cas actuellement de la plupart des gens qui gouvernent la France -, dès qu'il ouvre la bouche, reçoit un profit linguistique, qui n'a rien de fictif et d'illusoire, comme le laisserait croire cette espèce d'économisme que nous a imposé un marxisme primaire. La nature même de son langage (que l'on peut analyser phonétiquement, etc.) dit qu'il est autorisé à parler au point que peut importe ce qu'il dit. Ce que les linguistiques donnent comme la fonction éminente du langage, à savoir la fonction de communication, peut ne pas être du tout remplie sans que sa fonction réelle, sociale, cesse d'être remplie pour autant ; les situations de rapports de force linguistiques sont les situations dans lesquelles ça parle sans communiquer, la limite étant la messe. C'est pourquoi je me suis intéressé à la liturgie. Ce sont des cas où le locuteur autorisé a tellement d'autorité, où il a si évidemment pour lui l'institution, les lois du marché, tout l'espace social, qu'il peut parler pour ne rien dire, ça parle. "
Pierre Bourdfieu : extrait de "Questions de sociologie", Les Éditions de Minuit", 1984/2002.