Ah, les fonctionnaires ! Si vous voulez lancer un débat explosif dans un dîner en France, parlez de fonctionnaires. En quelques minutes, vous verrez des visages se crisper, des voix s'élever, et des souvenirs d'attente interminable à la Poste ou à la CAF surgir comme des traumas d'enfance. "Fainéants", "planqués", "inutiles" : le fonctionnaire en prend plein la tête. Pourtant, paradoxalement, on défend le service public bec et ongles, comme une exception française à protéger à tout prix. Mais d'où vient cette haine des fonctionnaires ? Pourquoi continue-t-on à les accuser de tous les maux du pays ? C'est exactement ce que décrypte Nicolas Framont dans son ouvrage La Haine des fonctionnaires, et on va s'y plonger avec délice.
Nicolas Framont et son coup de gueule bien documenté
Si vous ne connaissez pas Nicolas Framont, c'est un sociologue et auteur bien ancré dans le réel, un vrai pro des rouages politiques et sociaux. Avec La Haine des fonctionnaires, il décortique ce paradoxe bien français : d'un côté, une population qui crie son ras-le-bol des services publics, de l'autre, une extrême dépendance à ces mêmes services. Il se penche sur l'origine de cette haine, cette rancune tenace contre ceux qui, pourtant, nous accompagnent au quotidien, du prof de votre gamin à l'infirmière qui vous sauve un dimanche soir.
Le livre analyse cette frustration croissante d'une population qui se sent de plus en plus éloignée des services publics, mais aussi comment cette colère s'exprime de façon politique, notamment dans la montée de l'extrême droite. Oui, parce que cette haine des fonctionnaires, elle ne vient pas de nulle part, elle est le reflet d'un mal-être bien plus profond.
Une histoire de mépris... mais pourquoi ?
Revenons à la source. Le fonctionnaire, en France, c'est un peu la figure du bouc émissaire moderne. Un fusible qu'on aime griller dès que le système craque. On les accuse de tout : d'être inefficaces, trop nombreux, coûteux, et surtout... invirables ! Ce dernier point cristallise beaucoup de jalousies. Le CDI à vie, sans la menace de se faire virer pour un "retard de productivité", ça en fait rager plus d'un dans le privé.
Mais ce n'est pas tout. Le problème, comme Framont le souligne, c'est qu'on a un peu déformé l'image du fonctionnaire. Avant, ils étaient les gardiens du temple républicain, les garants de l'égalité, du service à la nation. Aujourd'hui, ils sont vus comme des petits chefs, coincés dans des administrations kafkaïennes, inaccessibles et souvent incompétents (ou c'est l'image qu'on leur colle). Et en prime, ils sont perçus comme vivant sur une autre planète, bien loin des réalités de ceux qui galèrent au quotidien.
L'origine de la rupture : services publics en mode survie
Alors pourquoi cette dé connexion ? Pourquoi ce fossé grandissant entre les fonctionnaires et les citoyens qu'ils sont censés servir ? Framont ne mâche pas ses mots : c'est le résultat de décennies de coupes budgétaires, de réformes absurdes et de management à la sauce "start-up nation" imposé au service public. Les fonctionnaires eux-mêmes ne sont plus épargnés. Ils croulent sous les demandes, manquent de moyens et se retrouvent face à une population excédée, qui voit les services publics se dégrader sans comprendre pourquoi.
Le serpent se mord la queue : on veut des services publics efficaces, mais on refuse d'y mettre les moyens. Les agents, de plus en plus précarisés, ne peuvent plus remplir leur mission comme avant, et les usagers, eux, se retrouvent abandonnés dans des démarches toujours plus complexes, des délais toujours plus longs. Résultat : tout le monde est en colère.
Une colère politique, propice à l'extrême droite
Cette frustration n'est pas anodine. Elle est l'un des moteurs de la montée de l'extrême droite, qui se fait un malin plaisir à jouer sur ce ressentiment. Le discours est simple : les fonctionnaires vous méprisent, ils sont déconnectés, ils vous laissent tomber. Marine Le Pen et consorts s'engouffrent dans cette brèche, en faisant croire qu'ils rendront le service public aux "vrais Français", tout en prônant, ironie suprême, des coupes dans les dépenses publiques.
Ce que Framont met en lumière, c'est que cette haine des fonctionnaires est devenue un véritable outil politique, une manière de détourner l'attention des vraies causes de nos problèmes. Ce n'est pas le fonctionnaire qui est responsable de la dégradation du service public, c'est le manque de volonté politique d'investir dans ce service qui est pourtant, rappelons-le, l'un des piliers de notre République.
Alors, on fait quoi ?
Si cet ouvrage a un mérite, c'est bien celui de nous faire réfléchir. Oui, le service public est en crise. Oui, il y a des dysfonctionnements. Mais est-ce vraiment la faute de ceux qui y travaillent, ou plutôt d'un système qui les laisse dépérir ? Ce bouquin, en tout cas, nous invite à repenser notre relation avec les services publics, à arrêter de taper sur ceux qui essaient encore, tant bien que mal, de les faire fonctionner.
La vraie question que pose Framont est simple : sommes-nous prêts à défendre nos services publics et à leur redonner les moyens de fonctionner ? Parce que si on continue comme ça, à cracher sur le fonctionnaire à chaque occasion, on pourrait bien finir par perdre ce qui fait encore notre "exception française".
Angry Mum, maman active, maman geek et toujours à l'écoute d'Internet... Elle adore les vacances mais pas toujours les vacances scolaires ! Blogueuse depuis 2013. S'abonner à Angry Mum sur Google News