LITTERATURE MAURICIENNE (comptes-rendus)

Par Ananda
Ananda Devi : "Eve et ses décombres", roman, Gallimard, 2006.

Ce roman-là nous décrit des écorchés vifs, qui évoluent dans une ambiance écorchée vive.
Le cadre : un ghetto, une sorte de cloaque urbain, à Port-Louis, capitale de l'Ile Maurice.
L'auteure, Ananda Devi, figure confirmée, grande dame de la littérature mauricienne, est aussi poète, et on le sent. Sa sensibilité de poète lui confère un verbe fort, un verbe acéré, cruel qui, d'emblée, sait nous saisit à la gorge.
On dépeint souvent l'Ile Maurice comme une terre hospitalière, souriante et vouée à la douceur de vivre dont le cliché majeur est celui du "gentil mauricien". Ananda Devi, ici, ne se prive pas de déconstruire cette image d'Epinal facile, douceâtre, qui comble le touriste.
Dans l'univers qu'elle nous dépeint, tout n'est que dureté, que violence, que brutalité des pulsions les plus bestiales, les plus sordides, qu'injustice, que relégation sociale, que négation de l'être humain et du respect élémentaire qu'on lui doit. Tout n'est que reflet d'une société en réalité violente, méprisante et hypocrite au dernier degré.
La condition de la femme est brutalement, insupportablement mise en relief et mise à nu. L'héroïne, la toute jeune Eve (presque encore une enfant) s'est elle-même vouée, d'avance, à une autodestruction pathétique.
Ananda Devi nous offre un livre de dénonciation qui, c'est le moins qu'on puisse dire, bouscule, décape. A Maurice, comme ailleurs, la pauvreté est un emmurement qui durcit les âmes. A Maurice, plus qu'ailleurs, l'anatomie et la caste sont un destin : "Ils choisissent d'oublier qu'ici, tout ramène à l'identité. Et que, quand ils regardent, avant de voir un visage, ils voient une étiquette qui y est attachée à vie".
Ce livre finit par prendre la dimension d'une tragédie grecque. Aucun espoir à opposer à la marche de l'inexorable. Rêves, désirs, rage, silence, dignité, tout se trouve broyé, balayé.
Ce splendide livre, qui génère le malaise, ne peut nous laisser de marbre. Il nous secoue, il s'applique à mettreà mal nos conforts mentaux, à ébranler toutes nos sensiblerires bien-pensantes de gens à l'abri, de gens nés du bon côté de la barrière.
Le lecteur y découvrira, en quelque sorte, l'envers de l'île soi disant paradisiaque. Tant mieux.
Comme quoi le paradis n'est, hélas,  de ce monde que pour les naïfs...ou pour ceux qui ont des oeillères.

P.Laranco.