« Le Mal n’existe pas » de Ryûsuke Hamaguchi

Par Etcetera
Affiche du film

J’avais entendu parler de ce réalisateur japonais, Ryûsuke Hamaguchi, à propos de son précédent film, « Drive my car » (2021) qui avait remporté un certain succès de la part du public et de la critique. Avec notamment l’Oscar du Meilleur Film International.
N’ayant pas eu l’occasion de voir « Drive my car » (qui avait aussi l’inconvénient, à mes yeux, de durer trois heures), la sortie de ce film-ci a attiré ma curiosité.

Note Technique sur le Film

Nationalité : Japonais
Année de sortie (au Japon) : 2023, (en France) : avril 2024
Récompense : Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise 2023
Genre : Drame
Durée : 106 minutes

Résumé du Début

Un homme à tout faire, Takumi, et sa petite fille de huit ans, prénommée Hana (qui signifie « fleur » en japonais), vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Ils sont environnés de grandes forêts où le père apprend à sa fille à reconnaître les différentes sortes d’arbres. Takumi passe beaucoup de temps à couper du bois à la hache. Il aide aussi les autres villageois à puiser de l’eau dans la rivière voisine ou à cueillir des herbes aromatiques. Mais, bientôt, on apprend qu’une entreprise de promoteurs de la ville a le projet d’implanter un « glamping » (contraction de « glamour » et « camping ») en amont de leur village, pour permettre aux citadins de goûter les joies de la nature. Au cours d’une intéressante réunion d’information, deux consultants de l’entreprise – un homme et une femme, plutôt jeunes – tentent de répondre aux inquiétudes des villageois et reçoivent leurs doléances avec plus ou moins d’habileté ou d’embarras. Le principal souci réside dans la future implantation d’une fosse sceptique en amont du village, qui polluerait les rivières et les nappes phréatiques. Les deux consultants promettent de faire remonter ces doléances à la direction de l’entreprise. (…)

Mon Avis

C’est une histoire qui semble prendre des orientations différentes à plusieurs moments, comme ces virages de route que la caméra filme quelquefois, vus de l’arrière d’une voiture. Ainsi, au début, le film est particulièrement lent et presque muet, entièrement tourné vers la nature, la contemplation, et le mouvement répétitif du coupage de bûches. Une impression de documentaire se fait jour. Et puis, on assiste à un changement de rythme, plus vif, et les dialogues deviennent l’enjeu principal, au cours des réunions qui suivent, entre l’entreprise et les villageois puis, au sein de l’entreprise, entre les deux consultants et leur patron. L’opposition entre la campagne – lente, silencieuse, solidaire, immuable – et la ville – bavarde, calculatrice, rapide, où chacun souffre de solitude – se manifeste clairement. On voit que les employés et les dirigeants de l’entreprise ont un maniement du langage perverti, factice, alors que les villageois parlent un langage de sincérité et d’expérience réellement éprouvée. Lorsque les deux consultants présents à la réunion décident de prendre le parti des villageois et d’aller vivre auprès d’eux, l’antagonisme entre les deux mondes tend à disparaître. Le propos n’est pas manichéen : les gens de l’entreprise ne sont pas nécessairement « méchants », les villageois ne sont pas non plus « les gentils », comme la fin le prouve et comme le titre l’affirme.
J’ai été surprise par la dernière partie du film, avec la disparition de l’un des personnages – j’essaye de ne pas trop divulgâcher. Cela amène à s’interroger sur les liens entre Takumi, l’homme à tout faire, et sa petite fille. Des liens qui paraissent bizarrement distants. Le père oublie régulièrement d’aller chercher sa fille à l’école et, lorsqu’il arrive là-bas, Hana est déjà partie, toute seule, pour rentrer à pied chez eux. C’est déroutant et on se demande si cette petite fille ne serait pas une allégorie de la nature (son prénom veut dire « fleur ») – une nature que l’on oublie, que l’on finit par malmener.
La fin est tout à fait étrange. Quand la lumière s’est rallumée dans la salle, les personnes autour de moi ne cessaient de s’interroger et de hasarder toutes sortes d’hypothèses. En tout cas, on comprend que la nature sauvage se venge des êtres humains.
Un film dont le propos écologiste n’a rien de simpliste. Un scénario intéressant, riche, complexe. Une musique tout à fait belle, des paysages superbes. Cela mérite d’être vu.

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