Comme beaucoup de Français1, j'ai été profondément choqué et ému par la mort de Philippine Lenoir de Carlan. Bien que je ne l'aie pas connue, je me sens proche d'elle, à plusieurs titres, géographique, universitaire, confessionnel.
Jeune femme de dix-neuf ans, elle a été assassinée par un jeune homme qui n'aurait pas dû se trouver sur le territoire français, le vendredi 20 septembre 2024, dans le Bois de Boulogne, où son corps n'a été retrouvé que le lendemain.
Ces jours-là, je me trouvais dans le même Bois de Boulogne, au lieu-dit la Croix-Catelan, dans un club sportif dont je suis membre depuis plusieurs décennies et où, après avoir subi deux opérations cardiaques, j'arrive à nager, grâce à Dieu.
Philippine, était une brillante étudiante à l'Université de Paris-Dauphine, où il y a près de cinquante ans, j'ai passé deux ans, en troisième cycle, dans le but d'obtenir un DESS, Diplôme Supérieur d'Études Spécialisées, en Finances.
Le prénom de Philippine restera dans les mémoires des Français. Sa sainte patronne, Rose-Philippine Duchesne, (1769-1852), religieuse de la Société du Sacré Coeur, fut notamment missionnaire en Amérique chez les Potowatomies...
La mort de Philippine n'est pas un fait divers, c'est un acte de barbarie qui n'est pas isolé en France, pourtant devenue Fille aînée de l'Église après le baptême de Clovis, à Reims, en l'an 496, où je me suis retrouvé quinze siècles plus tard...
Étant en Suisse, à Lausanne, au moment de ses obsèques2, je n'ai pas pu me rendre sur le parvis de la cathédrale Saint-Louis à Versailles, où, le 14 mai dernier, j'assistai à celles de ma belle-mère, que j'avais revue une dernière fois le 7.
Ces correspondances m'interrogent, de même que l'homélie prononcée le 27 septembre par le Père Pierre-Hervé Grosjean, curé de Montigny-Voisins le Bretonneux, la paroisse de Philippine où j'ai passé mon permis de conduire...en 1975.
Cette homélie, que je reproduis ci-dessous, m'a amené à faire mon examen de conscience, moi qui ai survécu à plusieurs reprises, Dieu seul sait pourquoi, et à prendre de bonnes résolutions pour le temps qui me reste, à l'appel du Père:
Avec l'aide de Dieu et de bons amis, ceux du Ciel et ceux de la terre, nous sommes tous capables d'un petit pas ou d'un grand pas vers plus de bien. Si dans un an, cinq ans ou dix ans, chacun peut dire: ce drame m'a grandi et m'a encouragé, à l'occasion de son départ, j'ai choisi d'avancer et de m'engager... alors oui, le mal n'aura pas gagné, nous l'aurons traversé et surmonté, entraînés par Philippine, et tous nos grands frères et grandes soeurs du Ciel, nos premiers de cordée...
Francis Richard
1 - Je suis binational, français et suisse, né en Belgique...
2 - Le 27 septembre 2024 à 13 heures.
HOMÉLIE – OBSÈQUES DE PHILIPPINE LE NOIR DE CARLAN
VENDREDI 27 SEPTEMBRE 2024
CATHÉDRALE SAINT-LOUIS DE VERSAILLES
Pourquoi sommes-nous là ? Si nombreux, si différents, si douloureux, serrés les uns
contre les autres, autour de Loïc, Blandine et leurs enfants, auprès de ton corps,
Philippine ? Pour quoi faire ?
La première réponse, que nous pouvons tous partager, croyants et non-croyants,c’est que nous sommes là pour pleurer.
Devant le mystère du mal, devant l’injustice insupportable et la violence qui s’est déchaînée, nous sommes sidérés, comme écrasés. Bien sûr, la justice des hommes sera nécessaire. Son temps viendra. Mais aujourd’hui, nous avons besoin de pleurer, de partager et de déposer ensemble notre douleur, notre colère, notre compréhension.
Nous pouvons la déposer ici, au pied de la Croix, car nous croyons que Dieu comprend tout cela. Dieu partage tout cela. Dieu n’est jamais du côté du mal, mais toujours du côté de ceux qui sont éprouvés. Jésus qui a pleuré la mort de son ami Lazare – nous croyons, nous chrétiens, en un Dieu qui a pleuré ! - Jésus qui a affronté le martyre de la croix, Jésus qui nous aime tels que nous sommes, Jésus nous comprend et nous accueille avec notre
douleur immense.
Sous son regard, au cœur de ces larmes, nous pouvons en même temps faire monter vers Dieu une action de grâce, et vers Philippine l’expression de notre gratitude. Car là, auprès de toi Philippine, tous ceux qui t’ont connue et aimée, prennent conscience plus que
jamais de ce qu’il y a eu de beau et de vrai dans ta vie, de ce qu’ils ont reçu de toi, vécu de beau avec toi. Il est précieux, mes amis, que chacun de vous prennent ces jours-ci dans le silence ou la prière, le temps de faire mémoire, le temps de relire ces moments
vécus avec Philippine. Vous comprendrez alors plus que jamais combien la vie de Philippine a été un don de Dieu pour vous… Alors, mêlée à vos larmes, pourra monter cette prière de louange : « Merci mon Dieu, merci de m’avoir donnée Philippine comme
fille, comme sœur, comme amie, comme camarade. Seigneur, permet que tout ce qu’il y a eu de beau dans sa vie puisse porter du fruit dans nos vies ».
Oui, je le crois : parce que Philippine avait appris dans sa famille, dans sa paroisse, au sein des scouts et guides de France la joie de croire, d’aimer et de servir, son passage sur la terre, même s’il est tellement trop court, trop bref à nos yeux, aura sa fécondité et
portera du fruit, comme le grain de blé tombé en terre dont parle l’évangile…
Pourquoi sommes-nous là ? Nous sommes aussi là pour prier, pour essayer de prier.
Philippine tu avais la foi, tu croyais que Jésus a donné sa vie pour chacun de nous. Pour que dans nos vies, ni notre péché, ni le mal qui nous atteint, ni même la mort puissent avoir le dernier mot. Voilà pourquoi nous sommes ici. Parce que nous voulons, à ta suite,
accueillir nous aussi cette promesse de Jésus : « j’ai donné ma vie pour que vous ayez la vie en plénitude. » Nous voulons nous accrocher à cette espérance que nous donne Jésus, comme on s’accroche à une ancre pour ne pas couler ou dériver. Oui, en priant
pour toi, en te portant devant Dieu, Philippine, nous espérons et nous croyons que le Seigneur t’accueille dans sa paix, dans la joie du Ciel, qu’auprès de Lui tu ne souffres plus, et que tu connais ce bonheur parfait pour lequel nous avons été créés, ce bonheur
qu’aucun mal ne pourra plus désormais atteindre ou abîmer, cette joie éternelle dont nous avons tous soif, dont tu avais soif et que les joies de ta vie annonçaient. Nous sommes là, nous accrochant à cette espérance qui nous promet aussi qu’il y aura un jour
des retrouvailles. Nous te reverrons Philippine. Cette espérance n’empêche pas nos larmes, mais elle les éclaire.
Philippine, pour nourrir ta foi, pour que cette foi éclaire ta vie, tu venais à la messe le dimanche, tu aimais venir au groupe de prière paroissial, tu vivais ta foi en actes avec tes amis en particulier dans le scoutisme. Bien sûr, comme chacun de nous, tu avais tes
défauts, tes combats, tes doutes et tes limites… mais tu croyais au pardon de Dieu, tu te savais aimée de Lui. Nous prions pour toi, Philippine. Mais prie aussi pour nous, s’il te plaît, pour tous ceux qui te pleurent. Que tous puissent se découvrir eux aussi aimés de
Dieu, que tous puissent accueillir cette promesse de retrouvailles, que tous puissent s’accrocher à cette ancre de l’espérance. Veille sur notre foi, Philippine. Veille sur notre espérance. Qu’elle nous éclaire dans cette obscurité. Voilà ta mission désormais Philippine…
Enfin, nous sommes là pour pleurer, prier et …pour agir.
Nous avons nous aussi en effet chacun une mission. Nous ne voulons pas que le mal ait le dernier mot. Nous voulons croire que Jésus a vaincu la mort, pour que ceux qui accueillent cet Amour
victorieux puissent recevoir la vie éternelle. Mais dès maintenant, nous pouvons répondre à ce mal en le retournant contre lui-même. Comment ? En faisant de ce drame, de cette épreuve terrible, l’occasion d’un sursaut, l’occasion de grandir résolument,
généreusement et courageusement dans notre vie, dans la façon de la vivre pleinement, de la donner, dans notre désir de servir et d’aimer. Nous voulons opposer au Mal, à sa violence et à sa laideur, la force de notre amour, de notre espérance, de notre foi, et la
beauté de notre unité. Nous voulons répondre à l’horreur du mal par la force plus grande encore du bien, le bien que nous pouvons faire en nous engageant, chacun à notre façon, chacun selon notre vocation, pour servir. Servir les plus petits, les plus jeunes, les plus
pauvres ou les plus fragiles ; Servir concrètement notre pays, nos paroisses, dans nos écoles et nos facs. Nous engager pour plus de justice et plus de paix, pour annoncer l’évangile et consoler les affligés. Encore une fois, la justice fera son travail. Cela est
vraiment nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Chacun de nous peut aussi décider ici que quelque chose va changer dans sa vie ces jours-ci. Chacun peut décider de sortir un peu meilleur de ces funérailles, pour que le monde soit meilleur : nous pouvons sortir
avec un cœur plus généreux, une âme plus fervente et plus fidèle, un désir plus grand de servir, d’aimer et de croire. Nous pouvons tous trouver pour cela un pas à faire, un pas de plus. Par exemple une réconciliation à vivre avec un proche, par exemple dire vraiment et montrer notre confiance ou notre amour à celui ou celle qui en a besoin, en commençant par nos parents, nos enfants, nos amis, ceux qui nous sont confiés… Par exemple, oser
se lancer dans ce projet qui nous attend ou nous reprendre en main sur tel ou tel aspect de notre vie un peu laissé à l’abandon… commencer ou retrouver un chemin vers Dieu ou vers les autres… décider de s’engager dans tel ou tel service, formation ou mouvement… visiter ou prendre soin de celui qui est seul, malade, âgé ou isolé… choisir d’oser parler en vérité entre amis et se tirer vers le haut… décider de se remettre même pauvrement à
prier, à se confesser ou retourner à la messe… oser partager cette foi qui nous anime pour beaucoup, même si elle est parfois fragile ou mêlée de doutes… ne plus perdre de temps, et développer ses talents au service d’autres ou de plus grand que nous… reprendre un combat intérieur sur lequel on s’était découragé, se relever et choisir de se laisser aider… Bref. Chacun pourra discerner ! Mais ne reprenons pas le cours de la vie sans que rien ne change… Je vous le promets : avec l’aide de Dieu et de bons amis, ceux du Ciel et ceux de la terre, nous sommes tous capables d’un petit pas ou d’un grand pas vers plus de bien. Si dans un an, cinq ans ou dix ans, chacun peut dire : ce drame m’a bouleversé mais aussi réveillé, l’exemple de Philippine m’a fait grandir et m’a encouragé, à l’occasion de son départ, j’ai choisi d’avancer et de m’engager… alors oui, le mal n’aura pas gagné, nous l’aurons traversé et surmonté, entraînés par Philippine, et tous nos grands frères et grandes sœurs du Ciel, nos premiers de cordée…
Je termine, Philippine, en te confiant en particulier ta famille et tes amis, et toute cette jeunesse présente ici dans cette cathédrale. Tous ces jeunes qui sont touchés par ton départ si brutal, par la jeune fille lumineuse que tu as été, par ta foi simplement vécue…
Tu es désormais leur grande sœur du Ciel. Encourage les dans leurs joies, leurs peines et leurs combats. Donne à chacun de pouvoir servir, croire et aimer à son tour avec toute la générosité dont il ou elle est capable. Aide tous ces jeunes à découvrir combien ils sont
aimés de Dieu, de façon inconditionnelle, quelle que soit leur histoire ou leurs fragilités.
Parce que c’est quand on se sait aimé qu’on devient capable du meilleur !
Ô Vierge Marie, Notre-Dame des éclaireurs, que les scouts et les guides aiment chanter et prier, accueillez avec tendresse Philippine auprès de Jésus. Veillez sur nous, Vierge Marie, soyez pour nous celle qui console et espère, en attendant le matin de Pâques…
Soyez l’étoile qui nous guide dans la nuit, vers l’aube qui vient. Vierge Marie, vous à qui Jésus nous a confiés avant de mourir, encouragez chacun ici à faire de sa vie une vie belle, donnée, engagée… afin que le monde comprenne que le mal n’a pas gagné, et qu’il ne gagnera jamais. Afin que le monde comprenne grâce à Philippine que servir, croire et aimer portera toujours du fruit. Afin que tous apprennent qu’au-delà des joies et des larmes de ce temps, de belles retrouvailles et un grand Amour nous attendent !
AMEN