Les Tortues // De David Lambert. Avec Olivier Gourmet et Dave Johns.
Dans Les Tortues, David Lambert nous propose un film introspectif et doux-amer sur l'évolution d'un couple gay sexagénaire confronté à la retraite et à la routine. Si ce sujet est souvent absent du grand écran, ici il est traité avec une certaine délicatesse, mais aussi avec des défauts qui empêchent le film de s'élever pleinement. Ce quatrième long-métrage du réalisateur belge nous plonge dans une réflexion sur l'usure du temps, la solitude et l'importance de la reconstruction dans une relation de longue durée. Cependant, l'exécution laisse parfois à désirer, et malgré des intentions louables, Les Tortues peine à réellement marquer les esprits. L'histoire suit deux hommes qui forment un couple depuis plus de trente ans. Lorsque l'un d'eux prend sa retraite, le quotidien du duo se voit bouleversé. L'ennui s'installe, la dépression guette, et avec elle, les tensions conjugales qui surgissent.
Henri et Thom vivent ensemble à Bruxelles et filent le parfait amour depuis 35 ans, enfin en apparence. Depuis qu'Henri a pris sa retraite de policier, rien ne va plus. Ses journées sont fades et interminables, ses sentiments s'estompent et leur maison est devenue un vrai champ de bataille. Toujours amoureux, Thom est prêt à tout pour raviver la flamme et sauver leur couple, quitte à demander lui-même le divorce...
Le film explore cette dynamique avec un angle original, celui d'une sorte de "comédie romantique à l'envers", où l'on observe la lente dissolution d'un couple plutôt que sa formation. Malheureusement, cette perspective, bien que prometteuse, ne parvient pas à tenir la distance. Le film ne tombe ni dans le pur drame ni dans la comédie romantique, ce qui pourrait en théorie enrichir le propos. Mais ce mélange de genres finit par créer un certain déséquilibre. Les moments de comédie sont rares et peu marquants, tandis que l'émotion, bien présente par instants, reste souvent en retrait. On aurait pu espérer une plongée plus profonde dans les sentiments des personnages, mais Lambert choisit de garder une certaine distance, ce qui nuit à l'intensité dramatique du film. L'un des points forts indéniables de Les Tortues réside dans son duo d'acteurs principaux. Dave Johns, connu pour son rôle dans Moi, Daniel Blake, est particulièrement émouvant en mari délaissé, exprimant avec finesse la vulnérabilité et la tristesse de son personnage.
Face à lui, Olivier Gourmet, un acteur souvent brillant, livre ici une prestation plus en demi-teinte. Il incarne un homme perdu et désabusé, mais son jeu paraît parfois trop contenu, presque effacé. On sent une hésitation, comme si l'acteur n'arrivait pas complètement à se glisser dans ce rôle inhabituel pour lui. Le film aurait pu capitaliser davantage sur cette belle dynamique entre les deux comédiens, mais le scénario ne leur donne pas assez de matière pour briller pleinement. À plusieurs reprises, les personnages réagissent de manière inattendue, voire incohérente, ce qui peut frustrer le spectateur. Certaines situations paraissent téléphonées, et le potentiel de complexité émotionnelle est souvent laissé en suspens, sans véritable exploration. L'un des reproches majeurs à faire au film est sans doute son scénario trop linéaire et prévisible. Alors que le sujet offrait une multitude d'opportunités pour aborder des thèmes profonds et variés - la vieillesse, la solitude, la crise de la retraite ou encore le poids des années passées ensemble -, Les Tortues semble se contenter de rester à la surface des choses.
Le passé des personnages, marqué par les tragédies des années SIDA, est à peine effleuré, et les personnages secondaires, pourtant prometteurs, sont relégués au second plan sans réel développement. Le film se déroule à un rythme lent, parfois trop, ce qui accentue la sensation d'une œuvre qui tourne en rond. Les enjeux réels du récit ne se dévoilent qu'à la toute fin, mais arrivent trop tard pour raviver l'intérêt du spectateur. Le résultat final est une sorte de récit en apnée, où les conflits et les résolutions arrivent sans grande intensité ni surprise. Sur le plan visuel, Les Tortues est un film proprement réalisé, mais sans véritable identité marquée. La mise en scène, parfois trop sobre, manque d'originalité et donne au film une allure presque télévisuelle. Il n'y a pas de grandes envolées stylistiques ni de moments particulièrement marquants d'un point de vue cinématographique. Le cadre bruxellois, bien que séduisant, est sous-utilisé, et on aurait aimé voir la ville jouer un rôle plus important dans l'atmosphère du film.
Cela étant dit, David Lambert parvient tout de même à insuffler une certaine tendresse à son œuvre. Il ne juge jamais ses personnages et préfère les présenter avec bienveillance, ce qui rend le film agréable à suivre malgré ses faiblesses. Le traitement des années SIDA, habilement suggéré en toile de fond, ajoute une profondeur historique bienvenue, même si là encore, le film aurait pu en tirer davantage. En conclusion, Les Tortues est un film qui, malgré ses bonnes intentions, manque de souffle. Son scénario prévisible et ses personnages sous-exploités limitent son impact, même si la qualité des acteurs et la tendresse du réalisateur pour son sujet apportent un certain charme. Ce n'est ni une comédie romantique ni un véritable drame, et cette hésitation finit par desservir l'ensemble. Cependant, pour ceux qui s'intéressent aux histoires de couples de longue durée et aux dynamiques humaines complexes, Les Tortues reste une proposition cinématographique intéressante, bien qu'imparfaite.
Note : 4.5/10. En bref, une réflexion touchante et imparfaite sur l'usure des relations.
Sorti le 15 mai 2024 au cinéma - Disponible en VOD