Dans certains pays où le Droit musulman traditionnel est encore en vigueur, l'adultère est punie par la peine de mort par lapidation.
Sa pénalisation en Turquie provoque une levée de bouclier européenne devant le désir d'Ankara de faire partie de l'Europe..
Un article interessant paru dans la revue "Réalités" pose la question pour le cas de la Tunisie..
Faut-il dépénaliser l’adultère ?
Dans les milieux du Barreau, on entend beaucoup d’histoires insolites à propos d’affaires d’adultère.
On vous citera le cas de l’épouse condamnée pour adultère sur la preuve d’une simple photo la montrant dans un café entourée d’amis, celui d’un mari qui a eu le même sort, trahi par le listing de ses numéros de téléphone et ses SMS, ou encore de la malheureuse qui voit la maîtresse de son mari conduire le véhicule de ce dernier, qui ont un enfant ensemble, un appartement ensemble, et qui a été incapable de prouver quoi que ce soit, car n’ayant pas eu de chance avec le «flagrant délit» réclamé par le tribunal, et l’enfant adultérin âgé de plus de trois ans. Paradoxalement et toujours dans le registre des “on dit”, certains conjoints, avec une grande complicité et pas le moindre scrupule, ont monté des scénarios machiavéliques rien que pour soutirer de l’argent à un complice d’adultère tombé dans leur piège, et certains époux ou épouses pour divorcer sans bruit et à moindre bas frais.
Bien entendu, tout ceci n’est que caricature, la réalité est beaucoup plus complexe, et les affaires d’adultère toutes différentes les unes des autres. Par contre la seule chose dont on est sûr, c’est qu’on ne badine pas avec l’adultère en Tunisie. Quand il a bien été prouvé, la sentence n’est pas légère. La loi prévoit un emprisonnement de cinq années et une amende de 500D. Mais l’adultère ne peut être poursuivi qu’à la demande de l’autre conjoint qui reste maître d’arrêter les poursuites ou l’effet de la condamnation. (article 236 du Code pénal).
En mettant la décision de poursuites pénales entre les mains de la victime, le législateur pense donc que l’adultère ne porte pas préjudice à la société, l’ordre public n’est pas concerné. Dans ces conditions pourquoi pénaliser l’adultère, se demandent ceux qui rêvent de faire sauter cet article 236. D’autant plus que cela ouvre la porte à beaucoup d’abus. Faut-il donc dépénaliser l’adultère comme l’ont fait la majorité des pays occidentaux ?
Délit d’ordre privé ou d’ordre public ?
«Pour savoir si l’adultère est un délit pénal d’ordre public ou d’ordre privé il faut revenir au mariage. Est-ce un simple contrat ou une institution. ? Si l’adultère est pénalisé, c’est pour protéger l’institution mariage, donc le mariage est considéré comme une institution. Dans ce cas, ce n’est pas à la victime de mettre en mouvement l’action publique, nous dit Me Hasseine
Bader, c’est une contradiction. Si l’on estime que c’est un délit d’ordre privé, l’ordre public n’a pas à intervenir et on doit dépénaliser l’adultère. Or en Tunisie, le mariage est un contrat civil et personnel qui n’est pas d’ordre public. Toutefois je pense que le législateur à coeur de préserver la famille, c’est pour cela qu’il est intervenu».
La définition de l’adultère
Pour le Larousse, l’adultère est la violation du devoir de fidélité entre les époux.
Dans les sociétés musulmanes, donc la société tunisienne, l’adultère est l’existence de rapports sexuels extraconjugaux entre deux personnes de sexe différents, dont au moins l’une est mariée.
Autrement dit la loi punit la violation du devoir de fidélité dont parle le Larousse. Or selon Me Hasseine Bader, il n’est pas clairement mentionné dans le contrat de mariage en Tunisie qu’il existe une obligation de fidélité. Il faut donc préciser cette notion, même si l’on suppose qu’en signant un contrat de mariage, on s’engage à ne pas avoir de relations extra-mariage. Autre contradiction, note Me Bader, les rapports extraconjugaux homosexuels ne sont pas considérés comme des rapports adultérins aux yeux de la loi tunisienne. Dans ce cas les coupables auront une peine plus légère puisqu’ils seront poursuivis pour homosexualité, dont la condamnation est une peine d’emprisonnement de trois ans.
Peut-on prouver l’adultère ?
La chariâa islamique exige quatre témoins, dont le témoignage concorde, qui doivent avoir constaté qu’un fil passé entre les corps des protagonistes au moment de l’adultère présumé, rencontre un obstacle pour que l’adultère soit matérialisé.
Aujourd’hui ça ne se passe plus du tout comme ça. Le flagrant délit d’une relation sexuelle n’est pas toujours nécessaire, précise Me Mohamed ben Smida. Pour avoir accès à une pièce où se trouverait l’éventuel couple adultère, il faut parfois passer par quatre ou cinq portes. On se rabat donc sur la convergence des preuves.
Pour prouver l’adultère, il n’y a pas de procédure spéciale. On applique les règles générales de droit. Avec un début de preuve et sur réquisition du procureur de la République, une équipe spéciale de la police qui a beaucoup d’expérience dans ce domaine est chargée de l’affaire, et remet ses conclusions au juge d’instruction, nous dit Me Ben Smida.
Pour Me Hasseine Bader, les limites des preuves doivent être aussi précisées. Actuellement c’est très général, la législation doit intervenir pour préciser la preuve. Par exemple, on ne peut pas admettre qu’on condamne des gens parce qu’ils ont voyagé par le même vol. Ce serait condamner la mixité. La jurisprudence précise qu’il faut des preuves répétées, multiples et complémentaires.
Adultère, sujet tabou
«Les plus grandes affaires d’adultère sont des règlements de comptes, nous dit Me Hédia A. Pour d’autres gens, on préfère éviter le scandale et divorcer à l’amiable, en faisant renoncer le coupable à tous ses droits, en particulier si c’est l’épouse qui est adultère. Ça reste un sujet tabou. On a un peu aussi l’impression que la société est plus indulgente pour les hommes que pour les femmes. C’est la mentalité de toute une société qu’il faut revoir. On recommande même aux femmes d’accepter pour préserver les enfants, le foyer.
Certaines se taisent, préférant vivre dans la sécurité matérielle d’un mari adultérin.
Par ailleurs, c’est un véritable parcours du combattant pour une femme qui veut porter plainte contre un mari qui la trompe. Il faut aller voir la brigade des moeurs, et ce n’est pas évident dans notre pays où l’on tolère encore les comportements volages des époux. Les femmes préfèrent ne pas porter plainte, dans ces conditions. Elles ont aussi peur de la réaction de leur conjoint si elles portent plainte. Quand c’est un homme qui est adultérin, sa femme peut toujours courir pour qu’il accepte de divorcer à ses torts ! C’est là toute la différence».
Selon Me Ben Smida, il arrive que derrière un divorce à l’amiable il y ait à l’origine une affaire d’adultère qu’on a préféré camoufler pour éviter le scandale. La société est très dure avec l’adultère, allant jusqu’à mettre en doute la filiation des enfants du couple. Il arrive parfois que des pères, après avoir découvert que leur femme avaient eu des relations extraconjugales par le passé, viennent porter plainte pour conflit de filiation.
D’un autre côté la majorité des affaires d’adultère se terminent par le retrait de la plainte. En général ce n’est que pour prouver le divorce à tort.
Pourquoi dépénaliser l’adultère ?
Des conjoints voient tout et savent tout, mais ne peuvent rien faire. Il est difficile de prouver quoi que ce soit et d’apporter les preuves qu’il faut. Le flagrant délit est difficile, et c’est très difficile qu’une affaire pour adultère aboutisse. Autant dépénaliser et en faire une cause de divorce pour faute, pense Me Hédia. Maintenant reste à savoir si ce n’est pas permettre le retour à une forme dégnisée de polygamie en dépénalisant l’adultère, précise-t-elle.
Selon Me Mohamed Ben Smida, si l’objectif de la loi tunisienne est de protéger la famille tunisienne en punissant sévèrement les coupables d’adultère, alors pourquoi accepter les retraits de plainte en cas de récidive ? Accepter de «pardonner» une deuxième fois et une énième fois c’est assez «louche», et ça ne protège en rien ni la famille ni les valeurs morales de la société. Dans d’autres pays musulmans comme l’Egypte, la Syrie, la Libye, l’Irak, la plainte de l’époux dont la femme a été adultère il y a plus de trois mois n’est pas acceptée. Alors qu’en Tunisie, il n’y a prescription qu’au bout de trois ans. «D’un autre côté on constate que la chariâa, qui a toujours exigé deux témoins dans toutes les situations, en exige quatre pour l’adultère. C’est la preuve qu’il faut être très prudent pour condamner une personne pour adultère». Me Ben Smida, craint aussi «les dérives et la perte des valeurs familiales si on dépénalise l’adultère».
Me Hasseine Bader : «Personnellement je suis contre la dépénalisation de l’adultère, pour préserver les institutions, et si l’on veut être cohérent, on ne doit pas pouvoir arrêter la procédure judiciaire, même si la victime retire sa plainte, sinon ça ne donne pas l’idée de défendre l’institution du mariage. Par contre, il faut que le législateur précise : s’il y a crime il faut le sanctionner, sinon il faut dépénaliser. Il faut une cohérence et une harmonie dans tout le système judiciaire.
Quand on a dépénalisé l’adultère dans les pays occidentaux, c’était surtout dans un souci de droit humain et de liberté sexuelle, chacun pouvant disposer de son propre corps comme il l’entend. Entre adultes consentants, les relations sexuelles sont d’ordre privé, et l’ordre public n’intervient pas.
A ceux qui pensent que sanctionner l’adultère préserve la stabilité de la famille, les opposants répondent qu’une famille dont un des parents est en prison pour adultère ne peut être stable.
En Tunisie, les juristes réclament plus de précisions à propos de ce sujet très tabou et dont l’issue reste aléatoire.
Semira Rekik
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par Sof