Critique de La Veuve Rusée de Carlo Goldoni, vue le 18 septembre 2024 au Théâtre des Bouffes Parisiens
Avec Caterina Murino, Sarah Biasini, Vincent Deniard, Vincent Desagnat, Thierry Harcourt, Tom Leeb, Pierre Rochefort, et l’amicale participation vocale de Jean Reno, mis en scène par Giancarlo Marinelli
C’est le genre de soirée complètement dingue ou je sors le sourire aux lèvres en disant « c’était complètement raté ». C’est vrai, selon certains critères, c’était complètement raté. Et pourtant, je ne peux pas dire que j’ai passé une mauvaise soirée. Même le raté m’a amusée. Je suis même quasi sûre qu’il m’en restera quelque chose. Alors peut-on vraiment dire que c’était raté ?
Déjà, un peu de contexte. Pour savoir dans quoi on met les pieds. On met les pieds dans le Goldoni de la commedia dell’arte, le Goldoni au caneva simple et prévisible, plutôt répétitif dans sa forme, sans grande profondeur ni rebondissement, mais dans lequel on retrouve ces chouettes personnages féministes chers à Goldoni et qui pourrait suffire à assurer une soirée divertissante, bien que légère. Ça, c’est le fond. Pas forcément ma came, mais pourquoi pas. Pour mettre en scène cette comédie, le metteur en scène semble avoir voulu mettre de côté les codes de la Comedia Dell Arte. Il semble avoir voulu traiter la pièce autrement. La seule chose que je n’arrive pas à déterminer, c’est s’il a choisi de la prendre au 1er ou au 15e degré. Mais voyez plutôt.
Si je vous résumais la pièce rapidement, voilà ce que je vous dirais : nous sommes à Venise. Rosaura est jeune, belle, riche et veuve : elle ne manque donc pas de prétendants. Ne sachant qui choisir entre l’anglais, l’italien, le français et l’espagnol, elle va leur jouer un petit tour de passe-passe afin de mettre leur amour à l’épreuve. Peut-être que rien qu’en lisant ça, on peut essayer de deviner ou de dessiner les scènes suivantes. Voire même la fin. Pour mettre en scène ce genre de texte, j’aurais tendance à dire qu’il faut jouer sur ressorts. Jouer rapidement, jouer sur les corps, jouer sur les grimaces. Insister, quitte à un peu trop en faire. De la commedia dell’arte, quoi. De ces conseils sages et avisés que j’aurais donnés en grande metteuse en scène que je suis, Giancarlo Marinelli n’a conservé que la fin. Il a décidé d’en faire trop. Mais pas du tout sur le rythme, non. Il a décidé d’en faire trop dans le kitsch.
Je ne sais pas ce qu’il a lu ou vu dans ce texte, mais il semble vouloir donner une impression d’enchantement, de magie. Tout scintille, tout est beau, tout est coloré… tout est kitsch. Terriblement kitsch. Je ne sais pas si je dois commencer par les lumières trop appuyées, les projections de Venise trop brillantes, les costumes trop irisés, les pétales de rose trop ridicules. Alors je ne vais m’arrêter que sur le pire. Le pire du pire. La musique. La musique, c’est vraiment le grand n’importe quoi de ce spectacle. Elle est là souvent, beaucoup trop souvent, recouvrant les paroles des comédiens des airs les plus clichés et attendus de la comédie romantique. On se demande parfois si on est chez Disney, parfois dans un film des années 80, parfois sur Radio Nostalgie.
Et pourtant, dans ce tout très surchargé, très étrange, très décalé, les comédiens font le taf. Et même plus que ça. La troupe fonctionne, l’alchimie est là. Malgré tout ce que Giancarlo Marinelli semble avoir sciamment effacé, comme cette satire des nations, on entend tout ce qui n’est pas recouvert par le kitsch ou par l’étrange direction d’acteur. Je dirais même mieux : ces deux éléments se compensent, en fait. Le kitsch est trop, la direction d’acteur pas assez. Too much d’un côté, trop lent, trop long, de l’autre. C’est comme si ces deux extrêmes s’annulaient entre eux. Ne reste alors que le talent des comédiens. Et ils en ont beaucoup. J’ai été brave, d’ailleurs, car je ne savais pas que c’était une scène de stars.
En brave théâtreuse que je suis, j’étais ravie de retrouver Sarah Biasini et Vincent Deniard, dont je connais le talent, intriguée de découvrir Thierry Harcourt sur scène, lui dont j’ai vu tant de mises en scène au théâtre ; curieuse aussi de retrouver Caterina Murino, que j’avais découvert dans Piège pour un homme seul l’année dernière et qui m’avait déjà beaucoup convaincue – elle est une merveilleuse Veuve Rusée. J’ai passé toute la pièce à me demander qui était ce « prétendant français » dont le visage me disait quelque chose, jusqu’à ce qu’on me signale que c’était Vincent Desagnat. On était donc bien dans un étrange multivers ce soir pour que l’acolyte de Michael Youn, animateur du Morning Live et membre des Fatal Bazooka, se retrouve sur scène dans un Goldoni. Et je lui dis merci. Je sais que si j’avais su ça avant, je me serais dit qu’il n’avait probablement rien à faire là. Je sais aussi que, devant sa prestation, je me serais rendue compte assez rapidement qu’il avait complètement sa place sur la scène des Bouffes Parisiens. C’est trop bon de s’auto-brain. Alors merci, Vincent Desagnat ! Ravie également d’avoir découvert Pierre Rochefort, touchant prétendant italien, et Tom Leeb, brillant Arlequin qui s’illustre dans les scènes peut-être les plus virevoltantes, et qui bénéficie d’ailleurs des rares moments sans musique – qui ont été pour moi les meilleures scènes. Mais la musique est-elle absente pour mettre en valeur les meilleures scènes, ou sont-ce les meilleures scènes car justement il n’y a pas de musique ? Le mystère reste entier.
Alors, à votre avis, ce spectacle, 1er ou 15e degré ?