Mon amie Pascale avait trouvé ce roman dans une boîte à livres et avait été intriguée, sans connaître du tout ce titre ou son autrice. Après lecture, elle m’en a parlé très positivement et j’ai souhaité lui emprunter, intéressée par les thèmes – le monde du travail, l’instabilité relationnelle et professionnelle, les relations homme-femme, la vocation d’écrivaine d’une jeune femme.
Note pratique sur le livre
Editeur : ; initialement : Pauvert
Année de publication : 1982
Quatrième de Couverture
Ce n’est pas l’amour qui lui fait peur, ce sont les hommes. Ce n’est pas le travail qui lui fait peur, ce sont les bureaux, l’Organisation, la société conventionnelle et hiérarchisée. On dit qu’elle n’a pas d’ambition. Elle vit seule dans une petite chambre. Chez les commerçants de son quartier, elle s’invente des amants, protecteurs imaginaires, pour qui elle achète ses biftecks en double. Son travail d’intérim l’envoie ici ou là, quinze jours, trois semaines. Brigitte, à trente ans, est ce qu’elle était à seize : quelqu’un qui ne sait pas où est sa place, ni si elle en a une, qui refuse de ressembler aux autres, et qui voudrait être comme eux. Elle ne peut pas. Un inavouable, un honteux secret la ronge depuis l’enfance, elle qui a connu « les verts enfers des amours enfantines ».
L’enfance. Bonne famille nombreuse, chrétienne, bretonne, de gauche. Cinq frères, quatre sœurs. Père ingénieur, mère admirable. Apparemment tous unis, bien élevés, faisant l’admiration des voisins du Vésinet. À l’école, Brigitte est déjà une brebis galeuse, cancre irrécupérable et qui compte pour du beurre dans les jeux de la récréation. En grandissant, elle se met aussi peu à peu au ban de sa famille.
Mon Avis
Ce récit ne cache pas son côté autobiographique, l’héroïne portant le même prénom que l’autrice. D’autre part, la nature des événements relatés et le fort engagement de l’écrivaine dans l’analyse des personnages et des situations, témoignent de la véracité de cette histoire. C’est justement ce que j’ai aimé dans ce livre : l’écrivaine est toute entière dans sa plume, son émotion (raisonnée) est palpable à travers ces pages. On est loin de l’écriture « froide et distanciée » et c’est tant mieux. Car la chaleur, la générosité de Brigitte Lozerec’h sont tout à fait superbes. Aussi bien dans les descriptions de paysages, dans les suggestions d’états émotionnels, dans les évocations de relations humaines complexes, je suis rentrée complètement dans son monde. Vraiment, une très belle écriture !
Assez rapidement dans le livre, nous apprenons que Brigitte Mauduy, l’héroïne, a « un lourd secret » et que cela lui pèse tellement que toutes les facettes de son existence adulte en portent les séquelles. Ainsi, sa vie professionnelle instable, sa peur des hommes, son manque d’amis, le petit studio lugubre où elle a choisi de loger, ses relations très difficiles avec ses parents et avec sa très nombreuse fratrie (ils sont dix enfants). Le lecteur apprendra quel est ce douloureux secret vers les deux tiers ou les trois quarts du récit. A ce moment-là, le livre prend un tournant différent, en même temps que la vocation littéraire de l’héroïne s’affirme davantage et qu’elle semble vouloir affronter plus directement ses traumatismes passés et « régler ses comptes » avec sa famille.
Le nombre et la diversité des thèmes abordés m’ont également séduite, qu’elle parle du féminisme, de la vie sociale, du monde du travail, des rapports entre les hommes et les femmes, des mentalités de son époque, de l’éducation des enfants, de son voyage seule aux Etats-Unis, des réflexions de son éditeur sur ses différentes tentatives de manuscrits, de ses propres recherches et attentes littéraires, etc.
Un livre fort, percutant, intelligent, qui n’a pas pris une ride ! On peut regretter que la postérité n’ait pas rendu justice à cette écrivaine, qui l’aurait vraiment mérité, et que je trouve par exemple, plus intéressante que Françoise Sagan…
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Un Extrait page 157
Mais on me glissait : »Elle est bien gentille, mais elle ne sait pas grand chose. Que peut-elle bien t’apporter ? Elle donne du souci à sa mère et à ses sœurs. Elle ferait mieux de s’occuper de ses enfants… Sa moralité n’est pas de béton. Qu’est-ce que vous faites quand vous êtes ensemble ? T’emmène-t-elle voir des gens ? » Étonnée, amoureuse, je répondais : » On se promène et elle me fait visiter les coins de la presqu’île qu’elle connaît jusqu’aux moindres rochers. Elle me raconte les lumières aux différentes heures de la journée, elle me parle des habitudes du port et des mouvements des bateaux au lever du jour… » Et tout cela était vrai, tout cela était la simplicité de nos relations et me donnait un grand bonheur. Nous marchions côte à côte en nous parlant. Souvent elle se penchait pour faire des bouquets avec de toutes petites fleurs roses qui poussaient à ras de la dune. Je la regardais et je l’aimais. Je regardais ses gestes et je les aimais. Je ne perdais rien du vent dans ses cheveux que j’aimais. Mais nos promenades intriguaient. « Tout de même, ma petite fille, elle a au moins vingt-cinq ans de plus que toi, tu n’as que faire dans son ombre, c’est malsain tu sais. » J’étais bien la seule à savoir que j’avais beaucoup à faire dans son ombre où il y avait pour moi une lumière, car j’y apprenais la vie. (…)
Un Extrait page 57-58
Tout nous séparait, Sophie et moi, et surtout l’ambition. Elle en avait à revendre. On pouvait toujours lui rajouter du travail, elle l’acceptait comme du gâteau. Le service était en pleine expansion et il n’était pas question qu’elle fût maintenue à l’écart du moindre projet, de la plus petite innovation. Elle aimait côtoyer les Présidents-Directeurs Généraux, les journalistes en vogue, les jeunes cadres supérieurs ambitieux auprès de qui elle mesurait je ne sais quoi en elle-même. Elle voulait être à la hauteur à tout prix. Moi, surtout pas. D’emblée je préférais me dire que nous n’avions pas la même toise pour nous mesurer. Je me mettais en marge, je me réfugiais dans le refus de reconnaître la moindre hiérarchie. Je montrais une indifférence peut-être un peu forcée, mais cela, Sophie ne semblait pas s’en rendre compte. Ne pas m’aplatir et ne pas mâchonner du « Monsieur le Président » comme elle soulignait mon appartenance à ce milieu et le dédain que j’en avais. Pour moi, rien n’était plus sec que cet univers-là. Pour Sophie, c’était comme une étendue d’herbe grasse et riche. Je n’y voyais que de la rocaille. De temps en temps elle me montrait une certaine jalousie. « Tout de même, ma petite Maimaine, moi je serais née parmi eux comme vous, je ferais mon chemin en les utilisant joyeusement ! Vous avez une chance inouïe et vous n’en faites rien… Vous avez tort. » Je faisais l’enfant capricieux qui fait la moue devant ses beaux jouets. J’étais sincère. Jamais je n’aurais voulu construire ma vie avec ces gens-là d’une manière ou d’une autre. (…)