Lu dans Strategies
La couleur est un élément constitutif de l'identité des marques, qui doivent respecter certains codes. W & Cie vient de publier une étude sur le sujet.
Rouge passion, bleu sérieux, vert nature : les couleurs ont une charge émotionnelle. « Choisir sa couleur, c'est le premier engagement d'une marque, comme un chevalier choisit ses armes », affirme le décorateur Yves Taralon dans la préface du livre Marques & Couleurs d'Olivier Saguez (éditions du Mécène). L'agence W & Cie a justement étudié les rapports entre marques et couleurs à travers son outil de veille W Brand Observer. « La couleur est un sujet très affectif qui échappe en grande partie à l'analyse et au rationnel », explique Gilles Deleris, directeur associé de l'agence.
Omniprésence hypnotique
L'étude rappelle que la reproduction des couleurs telles que nous les connaissons est une invention relativement récente. Le Moyen Âge, par exemple, ne connaît que trois teintes : noir, blanc et sombre (rouge ou vert). Il faut attendre 1666 et Newton pour voir apparaître le prisme qui décompose la lumière en six couleurs de référence : rouge, jaune, vert, cyan, bleu et magenta. Au début du XXe siècle, Johannes Itten et les artistes du Bauhaus théorisent l'arrivée des couleurs franches issues de l'industrialisation de nos sociétés occidentales. Dernier stade de cette évolution chromatique : l'irruption de la lumière via les différents écrans rétroéclairés qui envahissent notre vie quotidienne (ordinateurs, téléphones portables, consoles de jeux). « C'est ce que j'appelle l'hystérisation de la couleur. Dans certains pays asiatiques comme la Chine ou le Japon, l'omniprésence des enseignes lumineuses colorées confine même à l'hypnotisme », analyse Gilles Deleris.
La couleur influence nos sens, –confirme l'étude de W & Cie. Le rouge accélère le rythme cardiaque, alors que le bleu a tendance à le ralentir. Plus de la moitié des marques ont opté pour des teintes froides (bleu, violet, vert foncé). Troisième remarque : les couleurs n'ont de sens que dans un contexte précis. Le bleu d'Ikea, par exemple, est toujours associé au jaune de son identité visuelle bicolore. Mieux, une même couleur peut renvoyer à deux univers opposés. L'orange d'Hermès symbolise le luxe, alors que celui d'Easy Jet renvoie au bon marché.
Lumière et dégradés
L'étude fait aussi apparaître une notion essentielle pour les marques : celle de leur « dress code ». Celui-ci puise ses racines dans l'histoire des pays de naissance des marques. Il suffit d'observer les codes couleurs des marques à consonance italienne (Buitoni, Panzani) pour s'apercevoir qu'elles reprennent les deux teintes de base du drapeau italien, le vert et le rouge. Idem pour Ikea, dont le jaune et bleu sont ceux du drapeau suédois. Ce choix stratégique a plusieurs raisons d'être. Il sert à faciliter le repérage et la reconnaissance de la marque dans un univers saturé. Les trois variétés de lait se repèrent ainsi facilement dans les linéaires grâce au code adopté par l'ensemble des marques : rouge pour le lait entier, bleu pour le demi-écrémé et vert pour l'écrémé. La couleur permet aussi d'affirmer le statut de la marque et de conforter les attentes liées au produit. Ainsi, l'industrie automobile use et abuse pour ses logos de l'aspect chromé, symbole de technicité (Volvo, Fiat, Toyota, Ford, Volskwagen, etc.). Seuls les « pure players » du Net, comme Google ou Ebay, ont opté pour le multicolore et n'hésitent pas à modifier ponctuellement leur logo en clin d'œil à l'actualité ou dans le cadre d'une opération événementielle.
Peut-on s'affranchir des codes du secteur auquel on appartient ? Oui, s'il s'agit de se différencier dans un contexte économique précis. Les quatre principales agences de location de véhicules ont choisi des teintes distinctes (rouge pour Avis, jaune et noir pour Hertz, vert pour Europcar, noir et orange pour Sixt) afin que leurs clients les repèrent facilement sur les parkings. La couleur devient ici signalétique.
On peut aussi sortir des clichés de son univers pour marquer une rupture, comme Danone avec ses yaourts –Essensis. En adoptant le rose et l'argent, l'industriel reprend les codes de la cosmétique, univers auquel il cherche à rattacher ce produit. En règle générale, toutefois, mieux vaut rester dans son univers, cela permet d'économiser du temps et de l'argent. « Mais rien n'empêche de faire évoluer son identité colorielle en ajoutant du volume, de la lumière, des dégradés », conclut Gilles Deleris. À l'instar de la SNCF avec son « carmillon » (mélange de carmin et de vermillon), les marques n'ont plus peur de jouer avec les couleurs.
Patrick Cappelli