Lu dans Les Échos
Moins soucieuse du statut social que ses aînés, la nouvelle clientèle du luxe apprécie fortement l'innovation, l'aventure, et cherche avant tout à se faire plaisir
En une année, de 2005 à 2006, ils ont augmenté de 6,4 % en Europe, 9,2 % en Amérique du Nord, 11,9 % au Moyen-Orient, 10,2 % en Amérique latine, 15,9 % en Afrique du Sud et 8,6 % dans la zone Asie-Pacifique. Les « very wealthy », comme les appelle le World Wealth Report de Capgemini-Merrill Lynch, soit des individus disposant d'un patrimoine financier de plus de 1 million de dollars en actifs disponibles, hors immobilier, ont plus que doublé en dix ans, passant de 4,5 millions en 1996 à 9,5 millions en 2006 ! Et la projection de croissance de cette population atteint des sommets : +158 % entre 2006 et 2016 dans les pays du G7. Les millionnaires passeraient alors de 1 % à 4 % de la population de ces pays en dix ans. Toujours selon la même source, leurs ressources financières au niveau mondial devraient atteindre 44,6 milliards de dollars en 2010, avec une croissance annuelle de 6 %. Des statistiques propres à aiguiser l'appétit de toutes les marques susceptibles de faire un pas de deux avec cette clientèle si attractive. Pas si simple ! Car celle-ci a beau avoir beaucoup d'argent, elle n'est pas du style à se laisser impressionner par la première offre venue, aussi glamour soit-elle.
Le seul vrai ressort ? Le désir. Et là, difficile de faire des pronostics sur des individus capables de tout se payer, d'être d'une folle exigence et en même temps de n'en faire qu'à leur tête. Surtout que ces fortunes ne découlent pas d'un héritage, comme par le passé, et ne sont donc pas liées à une certaine forme d'éducation dans laquelle il était de bon ton d'arborer telle ou telle marque. Non. Pour les deux tiers des millionnaires, le patrimoine est à dominante entrepreneuriale. Des self-made-men ou « women », pour la plupart issus des métiers de la création, des nouvelles technologies et de la communication, note l'Ifop, qui, dans son observatoire « Ifop very wealthy », les étudie à la loupe et les range sous le profil de « créatifs culturels ». « A la recherche de changement accéléré, ce sont des gens qui veulent vivre des aventures. Ils aiment l'innovation, sont curieux comme des enfants sur un terrain de découverte. Ils sont aussi mobiles, peu ancrés dans la possession et plutôt responsables, c'est-à-dire sensibles à l'écologie et un brin philanthropes », souligne Stéphane Truchi, président du directoire de l'Ifop, qui organisait la semaine dernière à Paris une table ronde sur ce thème avec l'Association nationale du marketing pour inaugurer le lancement d'un club Luxe Adetem.
Luxe « intelligent »
Des individus à la recherche d'un luxe « intelligent » et pour qui la consommation est une source de respiration et de détente plutôt que l'expression d'un statut social. Interrogé par l'Ifop, Eric Fouquier, docteur en sémantique et fondateur du cabinet d'études Théma, précise : « Quand on pense riche, on pense tout de suite milliardaire et tape-à-l'oeil. Or, dans nos sociétés hypermodernes, la valeur provient de l'intelligence beaucoup plus que de l'outil de production. Les nouvelles fortunes sont dans les services. Le talent devient le vecteur de la réussite. Les riches sont aujourd'hui en pointe dans la création et cherchent à se distinguer. Leur attente vis-à-vis des marques est un désir de changement. »
Les nouveaux millionnaires sont donc différents de ceux d'hier : multiples en termes de profil, avec des origines sociales et culturelles diverses, ils sont paradoxaux dans leurs désirs. Mais, comme ce sont pour la plupart des gens importants du monde des affaires, ils gardent dans leur façon de consommer, que ce soit des produits, des services ou des loisirs, des réflexes du monde des affaires et sont sensibles au « juste prix ». A une nuance près : la pression dont ils font l'objet dans leur vie professionnelle les amène à décompresser en recherchant une prise en charge parfois totale dans leur vie personnelle. D'où le succès croissant des services de conciergerie très haut de gamme prêts à réaliser leurs moindres caprices. « A côté des Russes qui veulent les meilleures tables dans les boîtes de nuit à la mode, nous avons vu apparaître une clientèle française, à la recherche de l'exceptionnel, comme un souper aux chandelles dans un musée offert par un amoureux à sa belle. Ils souhaitent des services plus pointus, discrets et confidentiels que par le passé », constate David Amsellem, fondateur de l'entreprise Service Conciergerie. Depuis quelques mois, il voit son activité décoller avec les packages de rémunération et fidélisation des hauts potentiels ou avec les grandes marques pour asseoir leur positionnement auprès de la clientèle du luxe et conquérir ou fidéliser les VIP.
Comment, alors, approcher cette nouvelle clientèle ? Pour Serge Truchi, pas de doute : il faut s'en faire quasiment des amis ! Donc s'introduire indirectement par le biais des réseaux qu'ils fréquentent, nouer avec eux des partenariats exclusifs ou procéder par un mode collaboratif dans une relation gagnant-gagnant. Une recommandation qu'applique déjà à la lettre Harold Parisot, responsable du développement de Patrim One Assurances, qui travaille en partenariat avec des banques privées et compte une dizaine de patrons du CAC 40 dans son carnet d'adresses. S'il assure de plus en plus de yachts, jets privés, hélicoptères, des collections d'oeuvres d'art à bord des bateaux, voire parfois des demandes de rançon, il admet devoir être au coeur des relations : « Cette clientèle s'échange les informations et vient vers nous assez naturellement. » Mais, pour la développer, Harold Parisot ne ménage pas son énergie et pratique le « networking » à outrance en partageant hobbies et passions de ses clients et prospects.
Tous ensemble
Tout comme David Amsellem, pour qui « la conciergerie, c'est presque le service du «meilleur ami». C'est parce que l'on se tutoie que nous pouvons créer une proximité et devenir prescripteur. Bref, il faut savoir créer des moments d'information ».
Cela est grandement facilité par le fait que les millionnaires fréquentent peu ou prou les mêmes endroits, les mêmes fêtes et « font tous la même chose au même moment et ont les mêmes préoccupations », constate Xavier Gueroux, directeur du département études et prospective du groupe de luxe Richemont. Son étude sur les possesseurs de montres à plus de 25.000 euros lui a appris que, lorsqu'un client de Honk Kong rencontre un problème avec son joyau, celui de New York appelle dans la minute suivante. « Ce qui leur fait le plus plaisir aujourd'hui, c'est de comprendre ce qu'ils achètent. A la relation commerciale se substitue la relation amicale. C'est là que se joue le marketing des marques de luxe, dans une relation de confiance mais aussi de culture », appuie Xavier Gueroux. Ainsi Cartier se déplace chez ses clients pour dispenser des cours de gemmologie. De quoi donner matière à réflexion aux professionnels du secteur, réunis ce matin dans le cadre de la quinzième conférence annuelle sur le luxe organisée par « Les Echos ».