de Thomas Vinterberg.
Méfiez-vous des enfants, y' font rien qu'à mentir dès qu'il enlèvent les doigts leur nez ou de tout autre orifice digne d'exploration. Quand ils grandissent, il préfèrent oublier cette période sombre de leur vie et se forcent à croire que leurs propres rejetons sont sans taches. Ce faisant, ils se mentent à eux-mêmes et satisfont ainsi malgré tout leur perversité innée à base de narcissisme exacerbé, de lâcheté mal assumée et de panurgisme sécuritaire, sans s'exposer à la vindicte populaire ni frémir des narines, parce que les enfants, ces chères et innocentes têtes blondes, sont sacrés, ce qui en fait d'excellents bourreaux en puissance et de redoutables armes de destruction collective pour qui sait les manipuler.
Cette projection progénituriale, généralement accompagnée d'une rétroprojection intergénérationnelle, permet aux sociétés dites humaines de préserver, voire consolider, le véritable ciment toute cohésion sociale : la peur. La peur est la seule justification à la promiscuité insupportable dans laquelle se vautre l'humanité alors que tout être psychologiquement sain (c'est à dire moi-même, Alceste et mon phasme apprivoisé) ne saurait être totalement heureux que dans la solitude reposante des no man's lands où s'épanouit pleinement le désert affectif nécessaire à la sérénité, la paix et la construction des utopies les plus folles qui illuminent le monde, sans crainte qu'un imbécile hyperactif ne cherche à les réaliser.
Rien d'étonnant donc, avec un tel système de reproduction des comportements, récemment renforcé par la disparition des cours d'histoire en terminale et l'accréditation de BHL et André Glucksmann comme philosophes officiels de la V, version Second Empire, à ce que les Conseils d'Administration des grandes entreprises, les sessions de l'ONU et les conseils des ministres ne ressemblent à des cours d'école maternelle, et vive-versa, à grands coups de c'est-pas-moi-c'est lui ou oui-mais-c'est-lui-qui-a-commencé.
Mais pour que la peur nous maintienne vraiment soudés, bien au chaud dans nos certitudes grégaires, il faut qu'elle se déverse de temps à autres sur l'un des moutons, (noir de préférence quoique avec un arabe ça marche aussi et qu'en l'absence de toute personne prédestinée, un grand blond solitaire fait aussi l'affaire), mouton désigné pour l'occasion sous le terme technique de Bouc Emissaire.Les anciens, très au fait de ce processus, procédaient à la purge annuelle en sacrifiant un bouc, un vrai, un tatoué qui a couru la bique, sur l'autel de leurs angoisses communes. Un chœur de mâles humanoïdes tout émoustillés par les effluves de la bête couvrait de ses chants virils les bêlement affolés de l'animal tout en exprimant ainsi la joie des hommes de ne pas être à sa place. La cérémonie s'appelait chant du bouc, c'est à dire tragédia en grec d'avant la déchéance financière, et tout le monde était content, sauf les chèvres qui devaient se contenter du berger.
Malheureusement, depuis les interventions surmédiatisées de Brigitte Bardot et la baisse des subventions culturelles en milieu rural, on est prié de retourner à l'âge de pierre et de sacrifier à ce naturel besoin d'injustice et de cruauté entre soi.Reste encore à trouver une victime expiatoire, tâche devenue particulièrement ardue tant les vocations de martyrs se font rares, comme il est expliqué dans
Le Cochon de Gaza. Le tirage au sort ayant tendance à désigner les plus faibles, on a de plus en plus recours à la méthode dite de la pythie enfantine, basée sur ce verset incomplet : la vérité sort de la bouche des enfants. Dans la citation intégrale il s'agit des enfants de Dieu, c'est à dire des saints, mais comme ceux-ci sont peu bavards, surtout Saint Romain qui eut la langue coupée malgré les mensonges de l'enfant qui l'accompagnait, on abrège pour faire simple et efficace à l'instar de la justice de l'Oncle Sam.
La méthode est simple. Il suffit d'être attentif comme un juge d'instruction du Pas-de-Calais et de saisir adroitement la première connerie invérifiable pour agir promptement. La période idéale se situe un mois avant Noël, ce qui permet de profiter pleinement de la grâce onctueuse répandue par l'officiant communal sur ses ouailles pour effacer le dégoût de soi et les relents de honte qui pourraient gâcher les agapes de fin d'année.
Cette fois, dans un village danois au nom imprononçable, c'est Klara qui s'y colle en dénonçant les imaginaires attouchements sexuels perpétrés sur elle par Lucas, l'assistant maternel de sa crèche et meilleur ami de son père.
Oh, la jolie petite fille aux yeux candides et à la bouche en cœur !Oh, le vilain monsieur divorcé qui n'a même pas le droit de parler à sa femme !h, le gros zizi tout dur qui se trimbale dans la maison depuis que les tablettes diffusent internet jusque dans les berceaux !
O
Quelle aubaine pour cette coquette bourgade où l'ennui rampe dans l'hygiène, l'honnêteté et l'hypocrisie protestante ! Quelle chance pour cette communauté trop tranquille qui ne s'accorde plus depuis longtemps que l'abattage rituel de quelques cervidés surnuméraires pour étancher sa soif de barbarie consolidatrice !
Tout est dit.De la calomnie élevée au rang de rhétorique communautaire à la violence en réunion, en passant par l'ostracisme, le rejet, l'isolement et la tentative de meurtre, la petite ville s'en donne à cœur joie, usant subtilement de l'auto-suggestion pour contrecarrer les maléfiques instances judiciaires qui tentent de gâter la fête en innocentant le coupable désigné à la fois par l'index potelé de la gamine et par le doigt vengeur, quoique poilu, des pères indignés à qui une société trop douce refuse autrement le droit à la violence naturelle.
Comme si un tribunal pouvait rendre la justice et accessoirement son honneur à un homme ! Ce serait vraiment du gâchis.
C'est si rare, c'est si bon, avoue la quasi totalité des habitants, commerçants et chasseurs en tête, c'est si jouissif de pouvoir être injuste, cruel, et sanguinaire sans remords ! L'acharnement est un mets si envoûtant, si revigorant, aussi puissant que la première bouchée arrachée au cœur encore palpitant du bouc que l'on vient d'allonger sur l'autel tribal. Laissez-nous donc jouer encore un peu, plaident leurs regards effarés. Nous ne sommes que de grands enfants innocents et naïfs, angoissés par la vie et les chaînes d'info en continu. Laissez-nous jouer au moins jusqu'à Noël. Après nous serons sages et paisibles, bercés par le souvenir des cantiques et la digestion du foie gras.
L'alternative à ces sombres réjouissances, qui certes flattent avec force une partie trop peu appréciée de notre nature humaine mais sont incompatibles avec la haute opinion que nous avons de nous-mêmes, c'est d'aller voir ce film. C'est moins drôle que de plonger soi-même les mains dans le sang mais ça nous en fait quand même venir le goût sur la langue - grâce soit rendue à nos neurones miroirs - tout en nous confortant dans ce pieu mensonge que moi, personnellement, je ne suis pas comme ça. C'est chouette de se sentir pur !
Courez voir Courez admirer la sobriété époustouflante de Mads Mikkelsen qui livre sa souffrance avec d'autant plus de force qu'il la retient avec pudeur.Courez contempler l'art avec lequel Thomas Vinterberg jongle avec la caméra pour effleurer les comédiens et saisir leur légèreté, leur gravité et leur beauté avec l'élégance d'un parfumeur. La Chasse pour gifler le bourreau qui est peut-être en vous afin de pouvoir faire l'innocent à la messe de minuit ou à la prochaine chasse à courre.
C'est dur mais c'est beau.
Pégéo, un jour de plus où les sans-abris ont été priés de se taire
ou de hurler en silence, au choix, mais loin des fenêtres du pouvoir
et des yeux des touristes et surtout pas sur le Pont des Arts.
Ça commence à faire.