Par où commencer ? Peut-être par les barreaux du grillage, ceux qui tracent la frontière entre l’intérieur et l’extérieur. Ce sentiment d’être en marge, hors du coup, de ne plus vraiment appartenir, d’être exclu du cercle. Ce sentiment persistant de ne plus être dedans, toujours en dehors.
Le chemin parcouru n’est pas parsemé d’obstacles, mais d’énigmes, de charades que je dois résoudre une à une. Pourtant, les embûches, elles, sont bien réelles, plus tenaces que tout. Il faut les surmonter, car reculer n’est pas une option. Il faut affronter l’inconnu, braver les secrets enfouis dans d’autres secrets. Toujours avancer vers la lumière, avec la lumière, dans la lumière, peu importe d’où elle vient, tant qu’elle éclaire un peu la route.
Et puis, un jour, on cesse de croire. On ne croit plus en rien, ni aux gens, ni à leurs paroles, ni aux informations diffusées, ni aux explications du professeur. Se réfugier dans la fiction, peut-être ? Mais derrière chaque fiction, il y a une chair vivante qui la supporte. Alors, on peut simplement lire le journal. C’est déjà quelque chose. Le monsieur dans le café, absorbé dans son quotidien, le journal déployé comme une barrière protectrice, vit dans sa bulle. C’est apaisant, cela rappelle qu’il y a encore des êtres un peu déconnectés, qui flottent, ici et là.
De mon côté, je regarde à travers la vitre. La pluie danse, fine, brumeuse, tombe, enveloppe les passants dans son étreinte humide. Ils continuent à marcher, peut-être se sentent-ils vivants. Moi, je suis ici, dans ce café, bercé par la musique. J’écris des mots et, pour un instant, j’existe. Mais cela ne durera pas. Tout finira, pour moi, pour les autres. Les romans ne s’écrivent plus, les histoires s’effacent. Même la réalité n’est qu’un costume que l’on enfile quand ça nous arrange. Et quand on ne veut plus, on s’évade, ailleurs.
Vouloir partir ailleurs, toujours. Même si on ne peut pas, l’envie seule suffit. C’est déjà un rêve. Et rêver, c’est déjà une bouée de sauvetage. Tant que l’on rêve, on ne coule pas. Alors, je me dis : "Allons au cinéma ce soir". Mais à quoi bon ? Ce ne sera qu’une parenthèse de plus, deux heures volées au quotidien, un enchantement éphémère.
Ces moments resteront gravés dans ma mémoire, du moins pour un temps. Un jour, je me souviendrai d’eux. Puis, ils s’effaceront, car mes neurones finiront par défaillir. Il ne restera que le présent, cet instant fugace, cette réalité réduite à ce qu’elle peut encore m’offrir. Il n’y aura pas d’évasion véritable, pas de chemin de traverse. Il ne reste que très peu de choses.