Le style est onirique, évidemment, puisque les rêves (annonciateurs de cauchemars à venir) y tiennent une place centrale. L'auteure a aussi l'art de la métaphore en peu de mots. Par exemple plier le réel dans tous les sens (p. 105) pour exprimer combien Eva s'évertue à comprendre.Elle glisse des phrases qui semblent anodines mais qui, comme les allusions au domaine des contes, justifieront la suite des événements. Si on pouvait détricoter sa vie en tirant doucement sur le fil comme un pull (…) si on savait comment se défaire de nos tourments, s’il suffisait de tirer sur un fil et de tout rembobiner pour remettre le ciel en pelote (p 292) justifie que plus loin elle réinvente la légende du fil d’Ariane La nature fait l'objet de très belles descriptions. La Camargue est rarement montrée sous cet angle. Les marais y sont à la fois refuge et zone de risques mortels.Enfin elle sait à la perfection mettre en scène des personnages très différents qui vont s'accorder. Leurs personnalités, leurs métiers et leurs dons ne sont pas banals mais là encore rien ne sera le fruit du hasard. Eva est spécialiste du sommeil. Le prénom de Lucie signifie étymologiquement lumière. Pierre n'est pas qu'un être violent, il a une intelligence hors normes, justifiant qu'on l'appelle à l'aide pour démêler ces drôles de rêves si anxiogènes, annonciateurs de catastrophes bien réelles le lendemain (p. 215).Carole Martinez a bien raison d'écrire que les gens se bricolent souvent des histoires pour rendre leur vie et le monde cohérent (p. 302). Sauront-ils décrypter la mise en garde. Ne sera-t-il pas trop tard un jour prochain de dire à la jeunesse que nous sommes désolés si la fin du monde est pour demain ?
Dors ton sommeil de brutede Carole Martinez, Collection Blanche, Gallimard, en librairie depuis le 15 août 2024Nominé pour le Prix du Roman Fnac 2024 (mais non parmi les 4 finalistes)Inscrit dans la première sélection des 16 romans concourant cette année à la 122e édition du prix Goncourt.