C’est dans les manuscrits anglais qu’apparaissent, dès la période préromane, des débordements nombreux et souvent très subtils. Leur variété suggère qu »ils ne résultent pas d’une transmission mécanique entre ateliers, mais plutôt d’une sensibilité autochtone vis à vis du cadre, qui tranche par rapport aux écoles continentales de la même période : peut-être le résultat de l’éloignement par rapport aux pesants modèles byzantins.
Article précédent : 2 Débordements préromans et romans : dans les Béatus
Le manuscrit Junius 11 (960-1000)
Ce manuscrit en vieil anglais contient quatre poèmes, autrefois attribués au poète Cædmon, inspirés de trois livres de la Bible (Génèse, Exode, Daniel) plus une histoire du Christ et Satan inspirée d’un apocryphe. Très étudié pour l’originalité de son texte [20a] et de ses illustrations, ce manuscrit présente des débordements particulièrement sophistiqués.
La main A
La Chute de Lucifer et des anges rebelles, page 3
Main A, 960-1000, Bodleian Library MS. Junius 11
Cette page très complexe [21] se trouve insérée dans la partie du texte dite Genèse A, mais fait aussi référence à deux autres parties du manuscrit; la Genèse B dans le livre I et la Complainte des anges déchus au début du Livre II. Dans une architecture à plusieurs registres, elle propose donc une sorte de synthèse qui appelle en premier lieu une lecture chronologique, de haut en bas :
1) Lucifer prend le pouvoir dans le palais du ciel, quatre anges lui apportent des couronnes :
« L’ange prononça de nombreuses paroles dans sa présomption. Par sa seule puissance, il pensait construire un trône plus fort et plus puissant dans le ciel. Il dit que son cœur le poussait à travailler dur pour construire un palais majestueux au nord et à l’ouest. » Genèse B, lignes 261-76
2) six anges porteurs de palmes l’adorent ;
3) le Christ fait irruption à sa place , tenant d’une main trois flèches et de l’autre le rouleau de sa Loi ;
« Le Christ les avait chassés et bannis de la joie. « Livre II, Ligne 67-69
4) Lucifer tombe en Enfer, où il se transforme en Satan, noirci et enchaîné entre les dents monstrueuses :
« Il le précipita dans les profondeurs du tourment sur ce lit de mort. Il lui donna un nom, et dit que leur chef s’appellerait désormais Satan. » Genèse B, lignes 337-355
« Mais maintenant je suis taché par le mal et blessé par mes péchés. Dans le feu de l’enfer, les liens brûlants de la douleur brûleront mon dos, et je ne pourrai jamais espérer aucun bien futur. « Livre II, lignes 156-159
Comme le remarque Catherine E. Karkov ( [22], p 34), Lucifer et les anges, glorifiés en haut par la couleur rouge, perdent cette couleur au profit du Christ et deviennent noirs dans l’Enfer, pour exprimer qu’ils se trouvent désormais plongés dans l’obscurité. Autre subtilité graphique : les registres se resserrent progressivement sur la droite, formant une sorte d’entonnoir vers la bouche de l’Enfer.
Dans une lecture schématique de la page, on constate qu’elle se compose de deux moitiés en miroir, séparées par le plancher que distingue un motif central (trait pointillé jaune). Chaque moitié est introduite par un texte (rectangle jaune) [23] :
Comment les anges commencèrent à se montrer présomptueux.
Ici le Seigneur créa l’Enfer pour les Punir.
On comprend alors que les registres extrêmes (1 et 3) représentent respectivement le Ciel et l’Enfer, tandis que les registres médians (2a et 2b) montrent la confrontation entre le Christ et Lucifer (flèche rouge). Le résultat est que le palais, avec son toit et son coussin, sont précipités en Enfer (flèches bleu sombre) en même temps que Lucifer, qui perd sa couronne puis se transforme en Satan (flèche pourpre), tandis que les anges punis perdent leur robe.
Ces trois registres doubles sont particulièrement intéressants, parce qu’ils expriment des idées distinctes :
- en haut, la grandeur de Lucifer et de son palais à deux étages (pointillés bleus);
- au centre, son opposition irrémédiable avec le Christ ;
- en bas, sa transformation en deux états successifs, séparés par la marque sur la colonne (ovale bleu).
Sans recourir à des débordements, l’illustrateur utilise très habilement la perméabilité entre les registres pour nous faire percevoir la Chute de Lucifer à la fois comme une dynamique et un événement daté, mais aussi comme une symétrie intemporelle entre le Haut et le Bas.
L’envoyé du Diable sort des Enfers, p 20 L’Envoyé rentre aux Enfers pour rendre compte au Diable , p 36
Main A, 960-1000, Bodleian Library MS. Junius 11
Ces deux pages homologues illustrent la créativité de l’artiste quant à la question de la perméabilité des cloisons.
Dans l’image de la page 20, l’Enfer est représenté en noir à l’intérieur du cadre, sous la forme d’une enceinte fortifiée : Satan attaché y rôtit sur des flammes et des anges déchus et des démons sans ailes, certains armés d’un grapin, volent dans tous les sens.
Nu comme un ver, l’envoyé du diable « se fraya un chemin vers le haut et s’élança à travers les portes de l’enfer« (lignes 442-60).
Il rejoint le registre supérieur dessiné en rouge, la couleur de la lumière divine, qui se compose en fait de deux scènes :
- à droite, Adam fait rempart à Eve de son corps ;
- à gauche, Eve toute seule se retourne vers le serpent, qui n’est autre que l’envoyé du diable en phase d’approche :
« Il prit la forme d’un serpent, s’enroula autour de l’arbre de la mort par la ruse du diable » (lignes 480-495)
Après une série d’images où l’Envoyé se transforme encore pour prendre la figure d’un ange, l’image de la page 36 illustre le trajet inverse, le retour de l’envoyé vers son maître :
Alors le démon s’enfonça dans les flammes et les portes de l’enfer où son seigneur était enfermé. (lignes 763-64)
Pour traduire fidèlement le texte, l’artiste a représenté l’Enfer d’une toute autre manière, comme une capsule à la paroi épaisse, hérissée de flammes à l’intérieur :
- en haut, une sorte de sas rectangulaire s’est retourné comme un gant, de manière à présenter à l’arrivant sa partie flammes, afin qu’il « s’enfonce dedans » ;
- en bas, on le retrouve rendant compte à Satan enchaîné.
C’est pour indiquer cette coexistence de deux moments que l’artiste a représenté la capsule à cheval sur le cadre.
Notons que le thème de la nudité joue un grand rôle dans la page :
- en haut les humains la cachent par des feuilles de vignes, tandis que le faux ange a troqué sa robe contre une culotte de fourrure, révélant sa nature bestiale ,
- en bas il réapparaît nu, dans l’uniforme des anges déchus.
Condamnation d’Adam et Eve, page 45 Expulsion du Paradis, page 46
Main A, 960-1000, Bodleian Library MS. Junius 11
Ces deux images consécutives nous montrent le couple après la Chute : équipé d’une bêche et d’un sac de voyage pour Adam, d’une fusaïole (volant d’inertie d’un fuseau) pour Eve. Elles illustrent aussi les deux types de cadres présents dans le manuscrit.
Dans la première image, le cadre est constitué par une architecture réelle, en l’occurrence les murs du paradis. En conséquence, la main d’Eve devant une colonne, l’auréole du Seigneur devant le mur du fond, ou le pied d’Adam sur le seuil, ne constituent pas des débordements, mais un dispositif de mise en profondeur par masquage.
Dans la seconde image, le porche avec sa porte ouverte constituent eux-aussi une architecture, à laquelle vient s’accoler sur la droite un cadre purement conventionnel, qui n’a d’autre utilité que de délimiter l’image : chez ce dessinateur en effet, aucune figure ne se promène en liberté dans les marges.
L’artiste a ici utilisé ce cadre pour impulser au couple un mouvement vers la droite : les nuages s’élèvent et les fleurs s’abaissent, comme dans un entonnoir à l’envers. Ainsi que le remarque Catherine E. Karkov ([22], p 78), ce paysage traduit probablement un passage bien précis du texte :
« Le Père tout-puissant ne voulut pas enlever à Adam et à Eve, d’un seul coup, toutes leurs bonnes choses, bien qu’il leur retînt sa faveur. Pour leur confort, il laissa le ciel orné d’étoiles brillantes au-dessus d’eux, et leur donna de vastes champs … Après leur péché, ils habitèrent un royaume plus triste, une patrie et un pays natal moins riches en toutes choses bonnes que leur première demeure, d’où il les chassa après leur péché. » (lignes 952-64)
Tandis que la partie porche évoque la première demeure, l’encadré de droite représente le royaume plus triste.
Le Patriarche Cainan, page 57
Main A, 960-1000, Bodleian Library MS. Junius 11
Des cadres de type architectural illustrent la série des patriarches, sur lesquels le texte est assez pauvre. Pour animer ces images potentiellement répétitives, l’illustrateur a donné libre cours à sa créativité dans des inventions gratuites, tel ce rideau qui s’enroule autour de la colonne centrale ou ces rinceaux qui se détachent des chapiteaux des colonnes latérales, serpentant vers l’intérieur comme vers l’extérieur de l’image.
Le grand trône du Patriarche, « gouvernant la tribu comme seigneur et chef (ligne 1155-66) », est assujetti à la colonne de gauche par des chaînes croisées, tandis que le petit siège de son épouse et de son héritier Mahalaleel masque la colonne de droite.
Enoch sur un dragon reçoit les consignes divines, page 60
Main A, 960-1000, Bodleian Library MS. Junius 11
Une seule fois dans le manuscrit, le cadre architectural se réduit à une simple ouverture, dans l’épaisseur de laquelle le dragon peut poser ses pattes.
La main B
Les seuls véritables débordements du manuscrit apparaissent sous la plume d’un second dessinateur, qui emploie des encres colorées et entoure certaines images.
Alliance entre Noé et Dieu, fol 76 Tour de Babel, page 82
Main B, 960-1000, Bodleian Library MS. Junius 11
Ces cadres ne sont pas conçus dès le départ, mais rajoutés à la fin s’il reste de la place, comme le montre celui de la page 76, qui s’interrompt autour du texte.
Dans l’image de l’Arche de Noé, les débordements sont probablement délibérés : la tour et la ville crèvent le cadre pour montrer leur démesure, à la fois en hauteur et en largeur :
« Avides de gloire, ils bâtirent une ville de leurs mains, et élevèrent une échelle jusqu’au ciel, et dans leur vaine force édifièrent un mur de pierre au-delà de la mesure des hommes. Alors Dieu Saint vint pour contempler l’ouvrage des enfants des hommes, la citadelle et la tour que les fils d’Adam commençaient à élever vers le ciel…. Ainsi les fils des hommes divisés furent dispersés sur quatre chemins, en quête de terre. Et derrière eux, la solide tour de pierre et la haute citadelle restèrent inachevées ensemble dans le pays de Shinéar » (vers 1676-1701)
Main B, vers 1000, Prudence, Cambridge, Corpus Christi College, MS 023 fol 9v
Le même dessinateur a illustré quelques années plus tard ce manuscrit bilingue en latin et en vieil anglais, où les cadres sont cette fois systématiques. Leur bord supérieur a ici l’utilité pratique de porter le titre en vieil anglais, le titre en latin figurant en capitales rouges dans la marge.
Les hommes admirant la Luxure dans son char La Luxure trompant les Vertus par ses flatteries
Main B, vers 1000, Prudence, Cambridge, Corpus Christi College, MS 023 fol 18v
Il est possible que le débordement des chevaux dans l’image du bas soit un effet cinétique, destiné à montrer l’avancée du char vers la droite. Les couleurs néanmoins contredisent cet effet puisque, d’une image à l’autre, elles s’interchangent entre les deux chevaux.
La Largesse luttant contre l’Avarice et versant aux pauvres ses dépouilles
Main B, vers 1000, Malmesbury Prudentius, Cambridge, Corpus Christi College, MS 023 fol 28v
Ici le titre a été omis. Le cadre se justifie à gauche pour isoler la hâche de l’Avarice vaincue, mais beaucoup moins à droite, où il divise arbitrairement le groupe des pauvres.
Abraham rencontrant les trois anges au chêne de Mamré
Ces trois versions du Prudence, tous de la fin du Xème siècle, montrent que les débordements de la tente, du pied droit d’Abraham et des ailes des anges sont scrupuleusement recopiés. L’illustrateur du Prudence de Canterbury utilise la technique du cadre interne, qui permet de conserver la puissance graphique des débordements, tout en respectant le cadre réglementaire.
En synthèse sur Le manuscrit Junius 11
Autant la main A déploie, sans pratiquer de débordements, une riche panoplie de cadres, autant la main B n’en connaît qu’une seule catégorie, qu’elle reproduit mécaniquement, avec des débordements inopinés.
L’Hexateuque Vieil Anglais (1025-50)
Les 394 illustrations originales de ce manuscrit, probablement réalisé à Canterbury, sont toutes de la même main. Le texte est en vieil anglais, avec des annotations en latin rajoutées ultérieurement.
Des débordements de commodité
La nudité d’Adam et Eve, puis leur expulsion, 1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV fol 7v
Cette page montre bien la priorité d’occuper au mieux les plages laissées libres par le texte : ce pourquoi le cadre du bas présente des décrochements non symétriques. L’artiste optimise l’espace qu’il s’est approprié en faisant déborder les pieds, l’auréole, le feuillage de l’arbre et les ailes de l’ange. Seul le débordement d’Eve en bas à gauche soutient la narration de l’Expulsion. Le récit saute ensuite dans la case de droite, où l’ange empêche les exilés de revenir au paradis.
Ainsi les marges latérales signifient, assez malencontreusement, deux notions contraires : à gauche le monde extérieur, à droite le Paradis : l’artiste aurait donc mieux fait de séparer nettement les deux images par une marge intermédiaire. Mais obsédé par son économie de place, il a préféré la solution artificielle d’une cloison interne bleue, qui crée une contiguïté spatiale involontaire.
Un effet spécial : le bifolium panoramique
Fol 139v Fol 140r
Dieu et Moïse regardent la Terre Promise, 1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
La page de gauche comporte trois scènes successives, à lire de bas en haut :
- Moïse fait ses adieux à son peuple ;
- Dieu l’accompagne en haut de la montagne, pour lui montrer la Terre Promise ;
- Dieu l’enterre en haut de la montagne, tandis que son peuple le pleure.
Le débordement sert ici de connexion entre les deux pages.
Fol 67v Fol 68r
La rencontre de Jacob et de Joseph, 1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Le vieux Jacob arrive en Egypte avec son convoi de deux chariots, et son fils Joseph l’attend sur son char : ce sont les débordements qui nous indiquent ce qui bouge et ce qui est au repos.
Les débordements exprimant un flux
Habituellement, les débordements exprimant une dynamique se font sur l’une des cloisons latérales, soit pour entrer soit pour sortir de la case. Ici, ils se font systématiquement des deux côtés, exprimant un mouvement continu.
Quatrième jour, Création du Soleil et de la Lune, fol 3r
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
L’artiste représente le firmament comme les « eaux du ciel » constellées d’étoiles, dans lequel progressent les chars du Soleil et de la Lune. Les débordements latéraux suggèrent que l’ensemble du firmament coule comme un fleuve, tandis que les deux luminaires vont à leur propre train. Une difficulté logique se posait : dans la composition habituelle, purement statique, le Soleil, luminaire principal et créé en premier , est représenté à la place d’honneur et au début de la lecture, soit du côté de la main droite du Créateur (voir Inversions lune-soleil). Ici, une lecture dynamique s’impose et il serait logique que le soleil, créé en premier, soit le char qui se trouve prêt à sortir sur la droite.
Pour éviter la contradiction, l’artiste a pris soin de représenter exactement de la même manière les deux luminaires, alors que d’ordinaire ils sont différentiés par le sexe du conducteur, l’attelage (chevaux et boeufs) et/ou la puissance de la torche.
Les cadeaux de Jacob à Esaü, fol 48v-49v
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Ces trois pages suivent étroitement le texte (Gen 32, 1-22). Face à l’avancée menaçante de son frère Esaü, qui lui en veut à mort, Jacob envisage deux stratégies :
- dans un premier temps (fol 48v), il divise en deux ses possessions (femmes et bétail) : « Si Esaü rencontre l’un des camps et le frappe, le camp qui restera pourra être sauvé » ;
- dans un second temps, il comprend l’inanité de diviser son peuple et décide, pour amadouer Esaü, de lui envoyer par paquets successifs toutes ses possessions (sauf les femmes) : les caprins, les ovins, les chameaux, les bovins et enfin les chevaux soit, dans une stratégie marketing imparable, des cadeaux de valeurs croissante.
Si les pages 48r et 49v représentaient la procession dans sa dynamique d’ensemble (comme un film coupé en cinq morceaux), les chevaux devraient être au tout début (puisqu’ils partent en dernier). L’illustrateur a préféré respecter le texte en représentant les cinq scènes dans l’ordre des départs successifs, considérant chaque registre comme un événement indépendant.
Des débordements expressifs
Tamar conduite au bûcher, fol 57r
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Le débordement attire l’attention sur l’élément le plus spectaculaire, le bûcher, qui détruit même le bord de l’image.
L’Arche de Noé, fol 15v La Tour de Babel, fol 19r
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Ces deux pages illustrent un procédé qui revient plusieurs fois dans le manuscrit, utiliser comme bord inférieur ou supérieur un élément de l’image : le mont Ararat pour l’Arche, le Ciel pour la tour de Babel. Débordement qui a surtout pour but de gagner de la place : dans la seconde image, le bord supérieur du cadre est tracé sous le texte, l’artiste a simplement évité de le colorier.
Les débordements latéraux ont ici une intention expressive : montrer le gigantisme de l’Arche, ou de la base de la Tour de Babel.
Les débordements sur le bord supérieur ont plutôt un rôle narratif :
- mettre en évidence deux événements consécutifs : le retour de la colombe entraîne l’alliance de Noé avec Dieu ;
- mettre en opposition deux idées : l’échelle par laquelle Dieu descend du ciel pour constater l’orgueil des hommes s’évanouit vers le bas ; en revanche celle des maçons, solidement posée sur terre, ne monte pas jusqu’au ciel.
Le bâton d’Aaron, fol 81v
Dans les deux images, le débordement attire l’attention sur l‘élément merveilleux de l’épisode :
- Aaron jette sur le sol son bâton, qui se change en serpent et s’enroule autour du cadre (Exode 7,10) ;
- Dieu explique à Moïse et Aaron comment se servir du même bâton pour changer en sang l’eau du Nil (Exode 7, 14-19)
Les débordements narratifs
L’ivresse de Noé, fol 17v
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Dans l’image du haut, les cloisons internes séparent trois moments :
- sur l’estrade, Noé s’enivre ;
- à droite, il s’endort nu sous sa tente ;
- sous la plateforme, son fils Cham apparaît deux fois : jetant un coup d’oeil vers la tente, puis se retournant pour avertir ses deux frères.
Dans l’image du bas, ceux-ci recouvrent leur père avec les précautions d’usage :
« Alors Sem avec Japheth prit le manteau de Noé et, l’ayant mis sur leurs épaules, ils marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père. Comme leur visage était tourné en arrière, ils ne virent pas la nudité de leur père. » Gen 3,23-24
Suite à son regard impudique, Cham est maudit par Noé, malédiction qu’exprime graphiquement sa dissociation, dans les deux images, par un cadre réifié en colonne. Benjamin C Withers a sans doute raison de lier ce détail rare à la signification implicite de l’histoire :
« D’une manière étonnamment matérielle, le cadre est agrippé par la main de Cham et par sa jambe, ce qui souligne sa présence physique à l’intérieur de l’image, puisque Cham passe derrière et à travers la barrière qu’il forme entre les scènes…Cette étreinte entre le cadre et Cham, en particulier la façon dont il s’élève entre ses jambes, fait allusion à la nature sexuelle de son voyeurisme transgressif. Caractère transgressif qui est encore accentué par sa position dans l’illustration du bas : alors que Sem et Japhet se déplacent pour recouvrir leur père, il continue à regarder, figé sur le seuil de la tente, son corps coincé entre deux bandes marginales colorées. » ( [24], p 40)
Jacob dérobe à Esaü la bénédiction paternelle, fol 41v Jacob s’exile, fol 42v
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Dans la première page, Esaü est représenté deux fois :
- dans la case, discutant avec son père Isaac dont il est le préféré, tandis que sa mère Rebecca conspire avec son jeune frère Jacob ;
- à gauche de la case, partant pour la chasse (Jacob va profiter de son départ pour usurper son apparence et se faire bénir par Isaac).
Dans la seconde page, c’est Jacob qui doit à son tour s’exiler dans la marge, congédié par son père et laissant sa mère en pleurs.
Joseph retrouve ses frères, Fol 53v-54r
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Ce schéma résume l’analyse de Benjamin C Withers ( [24], p 237 et ss) :
- 1) Joseph demande à un passant le chemin vers ses frères (flèche bleue);
- 2) Depuis l’autre page, un des frères le voit venir (flèche bleue), et le signale aux autres ;
- 3) Ils prennent la riche robe de Joseph ;
- 4) Ils le jettent dans la citerne vide (flèche orange) ;
- 5a) Des marchands arrivent au loin ;
- 5b) Les frères le tirent de la citerne (flèche orange) ;
- 6) Ils décident de le vendre aux marchands, transaction décisive du second registre qui fait contrepoint au vol du manteau dans le premier (flèche verte).
Les quatre débordements servent de points d’ancrage à cette narration complexe.
Fol 54v
La fausse disparition de Joseph
La suite de l’histoire est divisée en deux images séparées.
En haut Ruben, qui n’assistait pas à la vente, croit son frère disparu et déchire ses vêtements en signe de deuil. Par cohérence graphique, la citerne est toujours à cheval sur le bord droit.
En bas les frères, pour faire croire que Joseph a été tué, plongent sa robe dans le sang d’un bouc – égorgement malhonnête qui n’est pas digne de figurer dans l’image. Puis ils envoient la robe à leur père Jacob : la cloison interne a donc valeur de séparation à la fois temporelle et spatiale, comme dans l’image d’Adam et Eve au folio 7v.
Le triomphe de Joseph, , fol 60r
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Dans le registre du haut, Joseph est tiré de sa prison, rasé et changé, puis amené devant Pharaon sur son trône afin qu’il interprète ses rêves (Gen 41,14).
Le dessinateur fait l’impasse sur la délicate illustration des rêves, et saute directement à la suite, dans le registre du bas :
» Il (pharaon) le fit monter sur le second de ses chars, et on criait devant lui: « A genoux! « C’est ainsi qu’il fut établi sur tout le pays d’Égypte. » Gen 41,43
Dans la scène de gauche, le peuple d’Egypte et le héraut (avec sa lance et son bouclier) sont représentés de taille miniature, pour exprimer leur subordination. L’égyptien en hors-champ attire l’attention sur l’agenouillement. Pharaon s’est installé devant son palais (la colonne) sur une chaise pliante, dont une griffe écrase symboliquement le mollet d’un de ses sujets. Le décrochement du cadre lui donne plus de majesté (l’illustrateur a utilisé le même procédé, possible seulement dans le registre inférieur, au folio 58v).
Entre le registre du haut et celui du bas, Pharaon a lâché son épée menaçante, emportée par un garde, et intronise Joseph de la dextre, tandis que Dieu fait de même depuis le ciel.
La colère de Pharaon Les filles du Sacrificateur de Madian (Exode 2,15-16)
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV fol 76r
Dans l’image du haut, Joseph se protège de la colère de Pharaon en se cachant dans une pièce isolée, et décide de fuir l’Egypte. Dans la scène du bas, il arrive au point d’eau de Maidan au moment où les sept filles viennent chercher de l’eau pour le troupeau de leur père. Joseph repousse hors de la case ses propres bergers qui, armés de bâtons, ont tenté de les chasser. Le troupeau de moutons, au centre, fait coup double, puisqu’on peut le comprendre aussi bien comme celui de Joseph, qu’il pousse devant lui, que comme celui des filles de Maidan, attiré par leurs vases remplis.
La tente de réunion, fol 104v Le châtiment de Nadab et Abihu, fol 108v
1025-50, BL Cotton MS Claudius B IV
Ces deux hors-cadre illustrent littéralement des passages du texte :
- « Moïse prit la tente et se la dressa hors du camp, à quelque distance; il l’appela tente de réunion. » Exode 33,7
- « Approchez-vous, emportez vos frères loin du sanctuaire, hors du camp. Ils s’approchèrent et les emportèrent revêtus de leurs tuniques hors du camp, comme Moïse l’avait ordonné. » Lévitique 10,5
Le Liber vitae (1031)
Jugement dernier, fol 6v-7r
1031 Liber vitae (Winchester) Stowe 944
Ce bifolium structure le cadre de droite en trois registres bien délimités.
En haut, Saint Pierre ouvre la porte du Paradis aux Saints et élus qui font la queue en hors cadre, sur la page de gauche.
Au centre, un homme est jugé par Saint Pierre, qui renvoie d’un coup de clé le démon avec le maigre feuillet de ses péchés, face à Saint Michel avec l’épais registre de ses bonnes actions ; à droite un couple de pécheurs est propulsé vers les Enfers. L’ensemble est observé, depuis la page de gauche, par un saint moine et un saint abbé.
En bas, Saint Michel ferme derrière lui la porte des Enfers, en repoussant un damné avec une autre clé : son débordement sur la gauche montre qu’il va s’envoler pour rejoindre les autres élus dans la page de gauche, ce ciel sans planchers ni cloisons.
Le Tropaire Caligula (1050)
L’illustrateur de ce recueil d’hymnes fait preuve d’un goût, tout à fait singulier à l’époque, pour les débordements et les effets de lumière.
La libération de Saint Pierre
1050, Caligula troper, BL Cotton MS Caligula A XIV, fol 22r
Cette page marque la transition entre les tropes pour la Naissance de Saint Jean Baptiste et ceux pour la Naissance de Saint Pierre [25]. L’artiste a eu l’idée de créer une page cumulative, dans laquelle le cadre, composé d’entrelacs, illustre la fin des tropes de Saint Jean Baptiste, inscrite tout en haut :
La corde des pères s’alliant aux fils par la force de leur foi en elle. Toi, enfant, tu seras appelé le prophète du Très-Haut
Corda patrum natis socians virtute fidei eia. Tu, Puer, proph(eta altissimi vocaberis)
Très astucieusement, les doubles noeuds du bas évoquent les fils alliés aux pères, lesquels sont figurés en haut par un noeud simple [26].
Les cinq hexamètres qui entourent le cadre sont originaux , tandis que les trois phylactères internes sont des citations du récit de la Libération de Saint Pierre (Actes 12,1-11). Ils fonctionnent en alternance pour expliquer les finesses de la composition.
- (1) Le vers du bord supérieur concerne le premier registre :
Voici Pierre le porteur de clés, mis sous clés dans une prison secrète.
Claviger ecce Petru, occulto carcere clausus
En maniant d’emblée le paradoxe, ce premier vers proclame l’ambition intellectuelle de l’auteur. La notion de « secret » est aussi un ajout de son cru. Située devant le mur d’enceinte de le ville (en violet), la prison est hermétiquement close, ce qui permet de faire l’économie de deux détails du texte, les soldats restés à l’intérieur et les chaînes :
« Pierre, lié de deux chaînes, dormait entre deux soldats, et des sentinelles devant la porte gardaient la prison ». Actes 12,7
- (1a) Le phylactère de l’ange, : » Lève-toi promptement! », frappe le côté de la prison, ce qui est une manière à la fois littérale et concise d’illustrer le texte, tout en restant à l’extérieur de la prison :
Et voici que survint un ange du Seigneur et qu’une lumière resplendit dans le cachot. Frappant Pierre au côté, il l’éveilla et dit: » Lève-toi promptement! » Et les chaînes lui tombèrent des mains. Actes 12,7
Le texte des Actes ne disant pas explicitement que l’ange a pénétré à l’intérieur, l’artiste évoque sobrement la lumière par l’image de la fenêtre qui s’ouvre, montrant le visage de Pierre.
- 2) Le deuxième vers précise ce que l’image ne montre pas (les chaînes qui tombent) tout en généralisant à l’ensemble des trois registres :
L’ange résolvant tout cela, en brisant les nœuds par sa parole.
Angelus hunc fractis—solvens affamine nodis
- 2a) Le phylactère du second registre exprime la pensée de Pierre :
Etant sorti, il le suivait, et il ne savait pas que fût réel ce qui se faisait par l’ange, mais il pensait avoir une vision. Actes 12,9
Cette sensation d’irréalité est traduite par le nuage sombre qui baigne les pieds de Pierre (en bleu sombre), tandis que le nuage sous les pieds de l’ange est lumineux (en bleu clair).
- 3) Le troisième vers, écrit à l’envers, décrit le registre inférieur :
En quittant cette vallée, tu peux gravir cette colline.
Hunc linquens vallem potes hunc ascendere collem
Cette notion de vallée et de colline, avec la route qui monte sur la droite, est un autre ajout par rapport au texte des Actes, où il est seulement dit que Pierre se retrouve libre à l’intérieur de la ville :
Lorsqu’ils eurent franchi le premier poste de garde, puis le deuxième, ils arrivèrent à la porte de fer donnant sur la ville: elle s’ouvrit d’elle-même pour eux; puis, étant sortis, ils s’avancèrent dans une rue, et aussitôt l’ange le quitta. Actes 12,10
- (3b) Le dernier phylactère exprime le retour de Pierre à la réalité, signifié par le nuage clair qui unit ses pieds à ceux de l’ange :
« Revenu à lui-même, Pierre dit: » Maintenant je sais que le Seigneur a réellement envoyé son ange, et qu’il m’a tiré de la main d’Hérode et de tout ce qu’attendait le peuple des Juifs. « Actes 12,11
(4) Le quatrième vers développe, avec subtilité, le thème de l’ouverture :
Auxquels la porte ferrée, une fois ouverte, offre de vastes retours.
Ferrea porta quibus patulos dat aperta regressus
L’adjectif « patulos » a le même sens qu’« aperta », ouverte, mais avec une acception plus littéraire : la formule très originale « patulos regressus » démarque le « patulos hiatus (fente béante) » d’Ovide [27]. Elle s’applique aux deux personnages (quibus), Pierre qui retourne vers les siens et l’Ange qui remonte au ciel. Chacun bénéficie d’un « retour ouvert », comme on le dit d’un paysage ou d’une fin de film.
Ainsi la demi-case terminale, irradiée dans une lumière jaune, symbolise la libération physique et mentale de Pierre, parfaite antithèse de la « prison dans l’ombre (occulto carcere ) » du premier vers.
- 5) Le dernier vers se contente de paraphraser le dernier phylactère, raboutant la fin du poème et la fin de l’image :
Revenant à lui, Pierre dit : maintenant je sais que c’était vrai.
Versus et in sese, Petrus inquit nunc scio vere
Cette intrication entre le texte du cadre et l’image est unique – ce pourquoi les spécialistes ne l’ont pas vue [28]. Elle tient probablement à la nature particulière du livre, un recueil d’hymnes, et de ses lecteurs, habitués à la forme versifiée et aux formules condensées. Un point remarquable de cette page, qui fait de celle-ci une sorte de poème visuel, est la transformation de la prison, tantôt avec porte et fenêtre, puis avec fenêtre et porte, puis réduite à la seule porte : l’illustrateur sacrifie délibérément la continuité visuelle pour satisfaire les contraintes textuelles :
- placer la fenêtre lumineuse à droite, du côté de l’ange et du mot Angelus,
- placer la porte ouverte à gauche, à côté des mots Ferrea porta.
Annonciation à Joachim, fol 26r
1050, Caligula troper, BL Cotton MS Caligula A XIV
Alors que, humilié par l’infertilité de son épouse Anne, Joachim s’est retiré dans le désert avec ses bêtes, un ange lui apparaît. Située en bas de page, l’image est circonscrite par trois vers seulement :
Joachim a cru à la parole de l’ange comme étant une annonce (divine),
Croyant qu’Anne était féconde par la conception d’un germe :
Le Christ glorifie les pauvres, lui qui est toujours dans l’abondance.
Credidit angelico Ioachim per nuntia verbo,
Credens foecundam conceptu germinis Annam :
Christum glorificat inopi qui semper habundat.
Il n’y a rien dans ce poème, ni dans les évangiles apocryphes, qui explique l’exclusion des deux chèvres dans la marge. En fait, le cadre ne sert pas à diviser le troupeau, mais à séparer les deux arbres : l’arbre stérile à l’extérieur, l’arbre fructueux à l’intérieur (Anne avant et Anne après).
L’Ascension, fol 18r
1050, Caligula troper, BL Cotton MS Caligula A XIV
Cette image propose quatre débordements qui pourraient paraître purement décoratifs mais qui, comme les noeuds de la corde des pères et des fils, sont en fait profondément médités : en bas deux fleurs, et en haut deux formes abstraites que, par comparaison avec l’arbre de l’image précédente, nous pouvons désormais identifier comme des fruits.
Les six vers commencent, comme d’habitude, dans le coin supérieur gauche :
Au trône paternel du ciel, montant de plein droit.
Voici que deux hommes, embellis par leur blancheur de neige,
Se tiennent debout à côté des disciples, rassemblés dans la tristesse.
Cela ne doit pas vous paraître étrange ni fâcheux.
La solution du Christ, je vous la dis en quelques mots [29] :
Comme il est monté au ciel, ainsi il descendra à nouveau.
Ad celi solium scandens sibi jure paternum.
Ecce viri bini niveo candore decori .
Sicus discipulos stant tristi mente coactos :
Vobis ne mirum videatur et esse molestum.
Christi conscensus hos vobis dico recensus ;
Ut tendit celo descendet sic iterato.
La chute du poème paraphrase la consolation exprimée par les deux anges : le retour du Christ (lors du Jugement dernier) se manifestera comme une Ascension à l’envers. Les motifs décoratifs en hors-cadre symbolisent cet aller-retour :
- à gauche l’Ascension : de la fleur au fruit placé à côté des mots celi solium (trône du ciel) ;
- à droite le Jugement dernier : du fruit placé à côté des mots sibi jure paternum (de plein droit, trône paternel) à la fleur : le halo qui ennoblit ce second « fruit/trône » représente l’arc en ciel, sur lequel trônera le Christ de justice.
Autres débordements préromans : les Evangélistes
Dans les évangéliaires anglais du 11ème siècle, les portraits des Evangélistes sont insérés dans des cadres épais, qui présentent quelques débordements très originaux.
Dans les Evangiles d’Arenberg (1000–20)
Saint Luc, fol 83v Saint Jean, fol 126v
1000–20, Arenberg gospels (Canterbury), Morgan Library MS M 869
Dans ce manuscrit, les deux derniers Evangélistes présentent des débordements de plus en plus audacieux.
Le taureau ailé de Saint Luc arrive par derrière pour traverser le fronton, et laisser tomber à travers le cadre, réifié en voûte, son parchemin doré.
A la différence des trois autres Evangélistes qui regardent leur livre, Saint Jean lève les eux vers la main de Dieu : ceci pour signifier qu’il est directement inspiré par l’Esprit Saint tandis que les trois premiers retranscrivent respectivement les paroles du Christ, de Saint Pierre et de Saint Paul ( [30], p 202, note 38)
Les vers de Sedulius, qui accompagnent souvent les quatre portraits dans les évangélaires carolingiens, sont ici illustrées à la lettre :
Grâce au vol de l’aigle, saint Jean atteint les cieux par sa parole
More volans aquile, verbo petit astra Iohannes.
Il faut comprendre qu’ici, l’animal ailé ne descend pas vers son Evangéliste, mais qu’il remonte au contraire vers la Cité du Ciel, le livre terminé roulé entre ses griffes, à l’intérieur d’une couronne feuillue qui évoque l’Ascension du Christ ([30], p 202, note 39).
L’Evangéliaire Pembroke College MS 301 (1000-50)
Saint Matthieu, fol 10v Saint Marc, fol 44v
1000-50; Evangéliaire, Angleterre, Pembroke College MS 301
L’Ange de Saint Matthieu utilise une mandorle rayonnante pour amener au Saint un parchemin doré, en passant au travers de ce cerceau doré. Le bout d’aile et le corps qu’on devine en haut, sous l’abrasion de l’or, montre que l’artiste avait probablement songé au départ à faire passer l’ange par dessus le bord supérieur, avant de songer à cette idée d’un tunnel lumineux débouchant à l’intérieur de l’image.
La page inachevée de Saint Marc montre un débordement architectural bien moins inhabituel, avec la trompette du lion qui passe devant l’arcature.
Saint Matthieu
Vers 1100, Walters Museum W.17.8V
Pour comparaison, cette page isolée d’origine incertaine (France ou Espagne) propose à l’Ange de Matthieu un parcours bien moins élaboré : pénétrer dans la pièce par l’arcade.
Le lectionnaire Pembroke College MS 302
Saint Marc, vers 1050, Lectionnaire des Evangiles, Angleterre, Pembroke College MS 302 fol 38r
Saint Marc élève sa plume pour l’aiguiser, à la lumière d’un soleil situé en hors cadre, dont la lumière passe à travers une petite fenêtre. Comme l’a montré Catherine Karkov ( [31],p 58), ce motif fait allusion à une lecture pour le Dimanche de Pâques tirée de Marc 16,2, à propos de la Résurrection :
« Le premier jour de la semaine, elles se rendirent au sépulcre, de grand matin, comme le soleil venait de se lever. » (Marc. 16,1–7)
Selon certains spécialistes, ce Saint Marc très atypique, avec sa petit fenêtre attirant la lumière, serait l’oeuvre de l’illustrateur du tropaire Caligula.
On notera la réification du liseré interne, sous lequel passe le tissu.
Débordements romans en Angleterre
La vie et les miracles de Saint Alban (1130)
Le Maître d’Alexis combine les influences byzantines ottoniennes et anglo-saxonnes, pour créer le premier style roman d’Angleterre. Les quelques débordements qu’il pratique peuvent être mis sur le compte de cette dernière influence.
Le cercueil de St Edmond échappe à l’incendie, fol 20r Le roi du Danemark refuse la requête d’Egelwin, fol 21r
1130, Vie de Saint Edmond, Morgan MS M.736
Outre quelques débordements d’armes, on note ces deux débordements dynamiques, exprimant la sortie de l’image, avec une nuance d’urgence ou de violence : l’audace du hors cadre garde encore son parfum de scandale.
Voleurs entrant dans une église, fol 18v L’apothéose de Saint Edmond, fol 22v
1130, Vie de Saint Edmond, Morgan MS M.736
Le débordement de l’échelle est également dynamique, exprimant cette fois l’entrée par effraction. La dernière image est symptomatique surtout par ce qui ne déborde pas : ni les ailes des anges, ni la couronne qui descend par un orifice ad hoc. L’image encadrée est vue comme une sorte de reliquaire sacralisé, qui ne perce l’espace des moines que de la pointe des pieds.
La Bible de Lambeth (1150-70)
Ce manuscrit n’a que deux pages présentant des débordements, justifiés par le souci d’illustrer le texte scrupuleusement.
Abraham, Isaac et Jacob, fol 6r
1150-70, Lambeth Bible I, Lambeth Palace MS 3
Le registre du haut raconte en deux cases l’épisode de la rencontre entre Abraham et trois anges, aux chênes de Mambré,
La case sur fond bleu, où Abraham se courbe sous un arbre, est une scène d’extérieur :
…et voici que trois hommes se tenaient debout devant lui. Dès qu’il les vit, il courut de l’entrée de la tente au-devant d’eux et, s’étant prosterné en terre, il dit: » Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas, je te prie, loin de ton serviteur. Permettez qu’on apporte un peu d’eau pour vous laver les pieds. Reposez-vous sous cet arbre. Genèse 18,2-5
La case sur fond ocre se déroule sous le même arbre, où Abraham a installé une table pour ses hôtes :
« Il se tint lui-même à leurs côtés, sous l’arbre. Et ils mangèrent. Alors ils lui dirent: Où est Sara, ta femme ? Il répondit: Elle est là, dans la tente. L’un d’entre eux dit: Je reviendrai vers toi à cette même époque ; et voici, Sara, ta femme, aura un fils. Sara écoutait à l’entrée de la tente, qui était derrière lui. » Genèse 18,8-10
La figure debout dans l’édifice inscrit dans l’épaisseur du bord est donc Sara dans sa tente, se tenant le ventre pour montrer qu’elle attend ce fils miraculeux, Isaac.
La couleur bleue, qui symbolise l’extérieur, s’étend de la case de gauche à la tente, en passant par le bord supérieur : seul cas, parmi les cinq miniatures pleine page conservées, où le cadre se vide de son motif de remplissage tout en conservant la continuité des deux lisérés dorés, qui se comportent en somme comme les parois d’un récipient. Les trois ailes passent par dessous, et pointent à l’extérieur.
On notera que l’artiste n’a conservé aucune continuité chromatique, entre les deux cases, pour les vêtements d’Abraham et des trois anges. Le fond ocre, anormal, pour une scène d’extérieur, n’a donc pas été choisi suite à une contrainte graphique – trancher avec les robes bleues – mais pour une raison symbolique : illustrer, par ce fond lumineux, le moment où Abraham comprend que les trois hommes dont des anges. Ce pourquoi leurs ailes, repliées sous le bord de la première case, se déploient au travers du bord de la seconde.
Le bord interne, coupé par l’épée d’Abraham, donne accès aux trois épisode suivants, réunis dans la même image :
- le sacrifice d’Isaac par Abraham ;
- l’échelle du songe de Jacob (le fils d’Isaac), montant jusqu’au Seigneur ;
- Jacob arrosant d’huile le béthel.
Histoire d’Ezéchiel, fol 258r
1150-70 Lambeth Bible I, Lambeth Palace MS 3
Le registre supérieur présente en parallèle une scène d’intérieur et une scène d’extérieur, sur fond bleu séparées par une plage verte, mettant en présence Ezéchiel et la main de Dieu.
Dans la première, Ezéchiel assis se retourne vers la main de Dieu qui traverse la voûte, mais pas le cadre :
La sixième année, au sixième mois, le cinquième jour du mois, comme j’étais assis dans ma maison, et que les anciens de Juda étaient assis devant moi, la main du Seigneur Yahweh tomba sur moi. Ezéchiel, 8, 1
Dans la seconde, la main de Dieu traverse le cadre, pour illustrer l’atterrissage d’Ezéchiel devant une des portes de Jérusalem :
Et il étendit une forme de main, et il me saisit par les boucles de mes cheveux, et l’Esprit m’enleva entre la terre et le ciel; et il m’amena à Jérusalem, en des visions divines, à l’entrée de la porte intérieure qui regarde au septentrion… Ezéchiel, 8, 3
Le registre inférieur se compose lui aussi de deux scènes, séparées par l’arbre médian et inversées chromatiquement : fond vert et plage centrale bleue :
« Et voici que six hommes arrivèrent par le chemin de la porte supérieure qui regarde le septentrion, chacun ayant en main son instrument pour frapper; et il y avait au milieu d’eux un homme vêtu de lin, portant une écritoire de scribe à la ceinture…. Et Yahweh appela l’homme vêtu de lin, qui portait une écritoire à la ceinture. Et Yahweh lui dit: « Passe par le milieu de la ville, par le milieu de Jérusalem, et marque d’un Thau le front des hommes qui soupirent et qui gémissent à cause de toutes les abominations qui s’y commettent. » Et il dit aux autres, à mes oreilles: « Passez dans la ville après lui et frappez; que votre oeil n’épargne point, et soyez sans pitié. Vieillard, jeune homme, jeune fille, enfant, femme, tuez-les jusqu’à extermination; mais de quiconque porte sur lui le Thau, n’approchez pas… Ezéchiel, 2, 6
La main de Dieu ne traverse pas le cadre puisqu’ici elle ne se déplace pas, mais appelle l’homme à venir vers elle. Elle tient un phylactère pour montrer qu’il s’agit seulement de la voix, mais aussi pour faire pendant à l’écritoire, tout comme la longue manche fait pendant à la robe de lin.
Les trois manières différentes de dessiner la main de Dieu ne doivent donc rien à la fantaisie, mais tout au souci d’inventer un vocabulaire graphique adéquat à la narration, spécifique à cette seule page.
Histoire d’Ezéchiel
1050-1100, Bible de Roda, BNF Latin 6-3 fol 45v
La seule autre représentation romane de ces épisodes n’atteint pas au même niveau de qualité graphique : ils occupent un seul registre, sans souci de symétrisation, et la main de Dieu est traitée de manière stéréotypée.
Les Evangiles de Liessies
Deux portraits d’Evangélistes très originaux, rescapés d’un Evangéliaire disparu en 1944 lors de l’incendie de la bibliothèque de Metz, ont été attribués à l’illustrateur anglais de la Bible de Lambeth.
Saint Marc
Maître de la Bible de Lambeth, 1146, Évangiles de Liessies, Avesnes-sur-Helpe, Musée de la SAHAA
Le portait de Saint Marc comporte une originalité : derrière son lion tutélaire s’étagent les trois autres symboles des Evangélistes, posés sur deux roues comme dans la vision d’Ezéchiel.
Le cadre comporte six médaillons :
- aux sommets, quatre médaillons pleins portent des auteurs dont un seul est nommé (Bède) ;
- dans les demi-médaillons latéraux :
- à gauche Ezéchiel montre son texte :
Ils avaient chacun quatre faces et chacun quatre ailes
Quatuor facies uni erant et quatuor penne uni
- à droite, le baptême du Christ est observé par Marc.
Ainsi la page propose un dialogue très original entre le bord et l’image :
- Ezéchiel regarde Marc qui regarde le baptême (flèches bleues), dans une vision à distance qui transperce la frontière entre le présent de l’image et son passé, lointain ou proche ;
- via son phylactère, Ezéchiel transmet à Marc ce dont il a été témoin, tandis que la colombe du Saint Esprit lui raconte; directement à l’oreille, ce dont elle a aussi a été témoin (flèches jaunes).
L’insistance sur le nombre Quatre et le fait que seul Bède est nommé suggèrent que cette construction pourrait avoir été conçue comme une illustration didactique de sa théorie des quatre niveaux de sens des Écritures :
- narratif (Ezéchiel et Marc écrivent un récit) ;
- allégorique (la colombe représente l’Esprit-Saint) ;
- tropologique (la colombe efface les Péchés) ,
- anagogique (les Animaux entourent Dieu en majesté).
Saint Jean
Maître de la Bible de Lambeth, 1146, Évangiles de Liessies, Avesnes-sur-Helpe, Musée de la SAHAA
Cette page, qui clôturait en beauté le manuscrit, invente un cadre encore plus complexe :
- aux angles, quatre scènes de la Vie du Saint ;
- sur les bords haut et bas, la main de Dieu est opposée à celle d’un roi donnant ses ordres ;
- sur les bords latéraux, les deux demi-médaillons se sont transformés en médaillons complets, non sans créer une certaine incertitude spatiale : celui de gauche, en passant derrière le coussin, repousse le cadre en arrière de l’image.
Plutôt qu’une erreur chez un artiste d’un tel niveau graphique, il faut sans doute y voir en effet voulu de « surréalité : de même que le Saint trône à la fois en avant et en arrière, de même son auréole, au lieu simplement de masquer l’arcade, la modèle à sa propre forme.
La composition est très audacieuse par ses deux débordements simultanés :
- la main de Dieu présentant la colombe à l’oreille droite de Jean ;
- la main de l’abbé Wedric tendant l’encrier à sa main droite.
Cet abbé quelque peu mégalomane figurait aussi sur la page recto du bifolium (d’après une description du manuscrit perdu), tendant au Christ trônant sur l’initiale I un livre ouvert avec la mention : « L’abbé Wedric m’a fait faire » [32] .
Le regard transperce cette fois la barrière entre le présent de l’image et son futur, dans les deux sens (flèche bleue). Le roi est très probablement l’empereur Domitien, qui fait comparaître Jean en haut à gauche et ordonne son exécution (flèches rouges). Dieu en revanche l’envoie sur l’Ile de Patmos, et lui envoie un ange pour lui inspirer l’Apocalypse (flèches vertes).
Dans cette construction très flatteuse pour l’abbé Wedric, l’aigle est relégué à une place subalterne, dans le dos et à l’arrière du saint : tandis que l’abbé s’occupe de sa main droite – encrier et plume – l’animal s’occupe de la gauche – parchemin et rasoir- comme le symbolisent ses griffes sur le parchemin (flèche violette).
Trois psautiers romans
Les psautiers de grand luxe présentent au début un cahier entièrement illustré, avec des miniatures pleine page présentant plusieurs scènes.
Le Psautier de Henri de Blois (1121-61)
Dans ce psautier, les images sont réparties sur un, deux ou trois registres.
Les noces de Cana, fol 17r
1121-61, Psautier de Henri de Blois (Winchester), BL MS Cotton Nero C.IV
La page des Noces de Cana présente quelques débordements classiques (pieds, clocher) et un débordement plus inhabituel à droite, qui attire l’attention sur le puits à balancier : à l’aplomb de cette source d’eau, le Christ la transforme en vin.
Les trois tentations du Christ, fol 18r
1121-61, Psautier de Henri de Blois (Winchester), BL MS Cotton Nero C.IV
La page des Tentations du Christ présente un arbre au centre de chaque registre : celui du haut sépare les deux scènes de la Première et la Deuxième tentation, tandis que celui du bas sépare définitivement le Christ et le Diable, dans la Troisième.
Les deux points hauts superposés jouent un rôle narratif :
- dans la Deuxième tentation, c’est le Temple de Jérusalem, d’où le diable incite le Christ à se jeter ;
- dans la Troisième, c’est la montagne où le Diable le transporte pour lui montrer les richesses terrestres à ses pieds : au phylactère horizontal que déploie le Diable derrière le tronc (Si tu m’adores, je te donnerait tout cela) s’appose la réponse du Christ qui passe devant le tronc : Vade retro satane, tu ne tenteras pas Dieu ton Seigneur.
Tandis que le Temple pousse le Christ au travers du bord supérieur, dans un suspens dangereux, la montagne le laisse dans l’image, consacrant sa victoire définitive sur l’Adversaire. L’idée de calquer la Troisième tentation sur la Deuxième est totalement originale : dans les scènes comparables, les deux adversaires sont de plain-pied, soit au niveau des trésors, soit en haut d’une montagne [32a].
L’image propose une gradation entre les pierres : informes sur le sol (Première tentation), juxtaposées dans le Temple (Deuxième tentation) et fusionnées dans la montagne (Troisième tentation).
Une autre idée brillante est la gradation entre les figures de l’Adversaire : tandis que les deux premiers diables sont animaux, le troisième prend forme humaine – puisque parmi les trésors, il offre du bétail – et même divine, avec sa couronne de feuilles qui en fait un roi ridicule, et ses ailes, assorties à son bec et à ses griffes d’oiseau. Plusieurs détails révêlent sa fausseté : ses mains dissymétriques (humaine pour offrir le bracelet, griffue pour tenir le phylactère), ses manches également dissymétriques, sa queue qui sort sous la robe. Les deux pans de tissu, si longs qu’il a fallu les nouer, montrent comiquement sa démesure. Malgré ses travestissements, le débordement de son aile sur le bord gauche l’assimile au tout premier diable, qui déborde de la queue.
L’Ange fermant la porte des Enfers, fol 39r
Le manuscrit se termine par ce débordement spectaculaire : comme dans l’image du Liber Vitae, l’ange ferme derrière lui la porte des enfers, qui a comme gond deux canines acérées. Cette porte ne ferme pas la gueule, qui doit poursuivre éternellement son broyage immobile : elle ferme l’issue latérale, la rupture dans le cadre par laquelle les Damnés auraient pu s’échapper. Le hors-cadre restaure la verticalité qui a disparu dans l’espace intérieur, totalement symétrique : la Damnation, c’est être en apesanteur dans un monde où le haut et le bas sont identiques.
Le Psautier de St Alban (1125-30)
L’Ascension et la Pentecôte, fol 27v 28r
1125-30, St Albans psalter (Hertfordshire), Hildesheim, HS St. Godehard 1
Ce bifolium, où se trouve le seul débordement du manuscrit, illustre la précision de son réglage, selon ce qu’il doit exprimer.
Dans l’Ascension, le cadre est totalement percé (sauf le sacro-saint liseré externe) pour figurer un mouvement de montée continu, comme si le Christ disparaissait progressivement dans un tunnel conduisant du ciel de l’image au Ciel de Dieu :
Pendant qu’il les bénissait, il les quitta et fut enlevé au ciel. Luc 24,51
Dans la Pentecôte, ce tunnel ne perce pas le cadre : il débouche à l’intérieur de la pièce fermée où se trouvent le Vierge et les Apôtres [33], pour traduire une apparition soudaine, bruyante comme les ailes de la colombe :
Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Actes 2,3-3
Le Psautier de Saint Louis de Leyde (1190-1200)
Ce psautier roman, réalisé en Angleterre bien avant Saint Louis, ne doit pas être confondu avec le manuscrit du même nom (BNF Lat 10525, 1270-1274), typiquement gothique et sans aucun débordement.
La Cène et la Trahison de Judas, fol 23r
1190-1200, Saint Louis Psalter (Angleterre du Nord), Leiden University, BPL 76 A
Cette page témoigne d’une utilisation ingénieuse du débordement entre les registres : les flammes qui sortent des torches de la scène de la Trahison viennent rôtir Judas dans la scène du haut, au moment où le Christ le désigne en lui tendant un morceau de pain trempé.
L’Ascension et la Pentecôte, fol 28v
1190-1200, Saint Louis Psalter (Angleterre contidu Nord), Leiden University, BPL 76 A
Pour exprimer le mouvement ascensionnel, l’artiste utilise la convention que nous avons déjà rencontrée : le percement du cadre (sauf le liséré externe). Pour l’apparition brusque lors de la Pentecôte, il recourt à un procédé particulièrement synthétique : à cheval sur le bord interne, la figura clipeata du Christ bénissant remplace la colombe et les langues de deux habituelles, et soude les deux figures de Marie autour du Fils retrouvé.
Histoire de Samson, fol 14v
1190-1200, Saint Louis Psalter (Angleterre du Nord), Leiden University, BPL 76 A
Les débordements aident à lire cette page complexe : ils marquent les deux épisodes où Samson est représenté en pleine force, géant et la chevelure en bataille : vainquant le lion à main nue et transportant sur son dos les portes de Gaza.
Les épisodes de droite le montrent en situation de faiblesse, de petite taille et les chevaux courts : en haut demandant la main d’une fille des Philistins, en bas attaché à une colonne et faisant s’écrouler la maison de ces mêmes Philistins.
Après la Résurrection, fol 26v 27r
1190-1200, Saint Louis Psalter (Angleterre du Nord), Leiden University, BPL 76 A
Ce bifolium multiplie les débordements, dans des intentions variées :
- symbolique dans les trois cases où le Christ est présent : la croix en haut de son bâton dépasse du cadre pour proclamer sa Résurrection ;
- expressive pour le débordement de la porte abattue des Enfers, qui fait écho à la dalle oblique du tombeau dans le registre supérieur ;
- littéraliste pour Marie-Madeleine prosternée dans la marge, qui exprime gestuellement le « Noli me tangere », l’injonction du Christ de ne pas le toucher.
Références : [20a] Texte du Junius 11 :Article suivant : 4 Débordements préromans et romans : ailleurs
En Anglais : https://www.gutenberg.org/files/618/618-h/618-h.htm
En vieil anglais : https://projetocaedmon.wordpress.com/wp-content/uploads/2013/02/the-junius-manuscript.pdf [21] Pour une synthèse récente sur cette image très étudiée, voir Jill Fitzgerald « Rebel Angels: Space and Sovereignty in Anglo-Saxon England », 2019, p 32 et ss [22] Catherine E. Karkov « Text and Picture in Anglo-Saxon England: Narrative Strategies in the Junius 11 Manuscript » [23] L’image comporte en bas deux inscriptions laconiques, qui n’ont pas fini de soulever des discussions :
« HER SE (ici il…) constitue un début de phrase identique au second texte. Le mot inscrit plus bas est lu par certains « infer[n]ae » (les enfers en latin) et par d’autres ‘infaer » (entrée, en vieil anglais). Pour une « explication » très compliquée de ces trois mots, voir
Asa Simon Mittman, Susan M. Kim « Locating the Devil “Her” in MS Junius 11 » Gesta, Vol. 54, No. 1 (March 2015), pp. 3-25 https://www.jstor.org/stable/10.1086/679397 [24] Benjamin Withers, « The illustrated Old English Hexateuch, Cotton Claudius B.iv : the frontier of seeing and reading in Anglo-Saxon England » https://archive.org/details/illustratedolden0000with/page/34/mode/thumb [25] Walter Howard Frere « The Winchester troper from Mss of the Xth and XIth centuries » p 26 https://books.google.fr/books?id=l883c312YvIC&pg=PA26&dq=natis+socians&hl=fr&newbks=1&newbks_redir=0&sa=X&ved=2ahUKEwjxuqutttOHAxUDfKQEHVPwG_QQ6AF6BAgFEAI#v=onepage&q=natis%20socians&f=false [26] Dans son analyse basée essentiellement sur les couleurs, Tina Bawden voit dans cette corde le symbole de la libération de Saint Pierre, notant que sa couleur jaune se prolonge dans la dernière case et unit les deux personnages là où, paradoxalement, leurs chemins se séparent. Autre paradoxe, les noeuds du bas sont plus serrés que ceux du haut, contredisant l’idée de libération. Elle en conclut que « Les principes de renversement, d’opposition et de contrepoids déterminent la rhétorique du récit pictural. » Conclusion qui est un bel exemple d’emballement théorique et d’intellectualisme anachronique, par défaut de lire les textes.
Tina Bawden « Observations on the Topological Functions of Color in Early Medieval Christian Illuminated Manuscripts » dans David Ganz, Barbara Schellewald « Clothing sacred scriptures: book art and book religion in Christian, Islamic », 2019, p 93 et ss
[27] Une satire médiévale le met également dans la bouche d’un manteau en loques, dont le discours déploie tous les synonymes latins de « trou » et de « souffler » :
Si le vent du Sud en colère devait s’infiltrer par mes fentes béantes, il pincerait de tous côtés, soufflant par mille trous de vers.
Hugh Primas d’Orléans, Satire, vers 1150
si notus iratus patulos perflabit hiatus, stringet utrumque latus per mille foramina flatus
« Hugh Primas and the Archpoet », traduit par Fleur Adcock https://books.google.fr/books?id=nJssE3yeuEoC&pg=PA4&lpg=PA4&dq=si+notus+iratus&source=bl&ots=tTnLnltC1-&sig=RqTsBWJi4wnVA0aN07NGYMDf0vc&hl=en&sa=X&redir_esc=y#v=onepage&q=si%20notus%20iratus&f=false
[28] Elizabeth Cover Teviotdale, « The Cotton Troper (London, British Library, Cotton MS Caligula A. XIV, ff. 1-36) : a study of an illustrated English troper of the eleventh century », Phd, https://www.proquest.com/docview/303953875/fulltextPDF?pq-origsite=primo [29] Ce vers particulièrement obscur est surtout fondé sur l’assonance entre consensus (l’accord trouvé entre des parties) et recensus (le recensement, l’énumération). E.C. Teviotadle ([28], p 302) en propose plusieurs traductions, peu convaincantes. [30] Catherine E. Karkov, « The Art of Anglo-Saxon England », Volume 1 [31] Catherine E. Karkov, « Evangelist portraits and book production in late Anglo-Saxon England », in Stella Panayotova (ed.), The Cambridge illuminations: the conference papers (London: Harvey Miller, 2007) 55-63 [32] Marie-Pierre Dion-Turkovics « La représentation de l’invisible: trésors de l’enluminure romane en Nord-Pas-de-Calais » 2007 p 46 [32a] Kristine Edmondson Haney, « The Winchester Psalter : an iconographic study » p 109 https://archive.org/details/bwb_KR-542-064/page/109/mode/1up [33] Il s’agit d’une Pentecôte à onze Apôtres, qui fusionne les informations données dans Actes 1 lors du tirage au sort de Matthias en remplacement de Judas (onze apôtres dans une chambre haute, présence des femmes) et la scène de la Pentecôte proprement dite, décrite dans Actes 2. Ce flottement sur le nombres des Apôtres est courant (voir Le Soleil et la Lune à la chapelle de Perse).