Le Square de Marguerite Duras

Par Etcetera
Couverture chez Folio

C’est Eléonore du blogue littéraire « Du soir en été » qui m’a donné ce livre de Duras et je ne saurais trop la remercier de ce don, car j’ai vraiment aimé cette lecture !

Note Pratique sur le livre

Editeur : Folio (initialement : Gallimard)
Première date de publication : 1955
Nombre de Pages : 148

Quatrième de Couverture

C’étaient des bonnes à tout faire, les milliers de Bretonnes qui débarquaient dans les gares de Paris. C’étaient aussi les colporteurs des petits marchés de campagne, les vendeurs de fils et d’aiguilles, et tous les autres. Ceux – des millions – qui n’avaient rien qu’une identité de mort.
Le seul souci de ces gens c’était leur survie : ne pas mourir de faim, essayer chaque soir de dormir sous un toit.
C’était aussi de temps en temps, au hasard d’une rencontre, PARLER. Parler du malheur qui leur était commun et de leurs difficultés personnelles. Cela se trouvait arriver dans les squares, l’été, dans les trains, dans ces cafés des places de marché pleins de monde, où il y a toujours de la musique. Sans quoi, disaient ces gens, ils n’auraient pas pu survivre à leur solitude.

Marguerite Duras Hiver 1989

Mon Avis

Ce livre est essentiellement constitué de dialogues et, en effet, à sa lecture, on n’est pas étonné de savoir que Marguerite Duras en a fait une version pour le théâtre. En tout cas il y a une unité de temps et de lieu. Un seul décor est nécessaire pour se représenter la scène. 
Deux personnages discutent, assis tous les deux dans un square, vers le milieu d’un après-midi. D’un côté, une jeune bonne à tout faire, de vingt ans : elle surveille le petit garçon dont elle a la garde pendant qu’il joue. De l’autre côté, un homme d’une quarantaine d’années qui est voyageur de commerce. Il ne possède rien dans l’existence à part sa petite valise et son seul plaisir est de voir de nouveaux pays. Il n’a pas beaucoup de projets ou d’espérance pour l’avenir et la seule forme de bonheur qui lui est accordée c’est de profiter de quelques beaux moments, forcément éphémères, lors de ses voyages. Quant à la jeune bonne, elle nourrit l’espoir très fort et très tenace de rencontrer un homme au bal et de se faire épouser. Son emploi de domestique lui fait horreur et le seul moyen qu’elle imagine pour sortir de cet état est de trouver un mari.
Au fur et à mesure de leur conversation, le lecteur aurait envie que le voyageur de commerce soit précisément le mari que la jeune fille attend avec une si grande impatience. Mais nous comprenons que ce n’est pas si simple : d’une part, la jeune fille n’a pas l’air d’envisager cette possibilité, d’autre part, l’homme paraît tellement démuni, déraciné et précaire qu’il n’a sûrement pas la vocation d’un sauveur. On se dit, d’ailleurs, que ce serait plutôt elle qui pourrait le sauver car elle montre une volonté, une ténacité et une capacité d’espérance dont l’homme semble dépourvu.
Et c’est probablement une des grandes qualités de ce livre, de nous montrer que la précarité sociale entraîne aussi une terrible solitude et une douleur morale, qui rendent l’entraide ou la solidarité parfois inaccessibles – ou du moins très limitées.
La question du bonheur, la possibilité ou non de changer de situation quand on est au bas de l’échelle sociale, la façon dont on se laisse engluer et anesthésier par nos habitudes et nos lassitudes, sont les thèmes au cœur de cette pièce et Duras les aborde avec une finesse de compréhension assez bouleversante.
Un livre tout à fait beau, qui restera l’un de mes meilleurs souvenirs de Marguerite Duras.

Un Extrait page 20

-J’ai beaucoup réfléchi. Je suis jeune, bien portante, je ne suis pas menteuse, je suis une de ces femmes comme on en voit partout et dont la plupart des hommes s’accommodent. Et cela m’étonnerait quand même qu’il ne s’en trouve pas un, un jour, qui le reconnaîtra et qui ne s’accommodera pas de moi. J’ai de l’espoir.
– Sans doute, Mademoiselle, mais moi, où mettrais-je une femme, si c’est de ce changement-là que vous voulez parler ? Je n’ai pour tout bien que cette petite valise et je suffis à peine à nourrir ma seule personne.
– Je ne veux pas dire, Monsieur, qu’à vous, il vous faille ce changement-là. Je parle de changement en général. Pour moi, ce sera de me marier. Pour vous, il s’agirait de bien autre chose peut-être.
– Mademoiselle, je ne prétends pas que vous n’avez pas raison, mais il y a des cas particuliers. Le voudrais-je de toutes mes forces que je n’arriverais pas à vouloir changer comme, vous, vous avez l’air de le vouloir, de quelque façon que ce soit.
– Parce que vous auriez à changer de moins loin, peut-être, vous, Monsieur. Moi, il me semble que j’ai à changer du plus loin qu’il est possible de changer. Je me trompe, peut-être, remarquez, mais tous les changements que je vois autour de moi, à côté de celui que je veux, me paraissent simples.