La mini-série Fortune de France, inspirée des romans de Robert Merle et adaptée par Christopher Thompson, nous plonge dans une période cruciale de l'histoire de France : celle des guerres de religion du XVIe siècle. À travers les yeux de la famille Siorac, nobles protestants du Périgord, nous assistons à un affrontement qui ne se joue pas uniquement sur le champ de bataille, mais aussi au sein des familles, des cours et des consciences. Bien que la série présente quelques défauts, notamment dans la mise en scène et certains choix scénaristiques, elle reste une œuvre audacieuse qui mérite l'attention des amateurs d'histoire et de drames télévisés. Dès le premier épisode, la série pose les bases de son intrigue : en 1557, les tensions religieuses en France sont à leur apogée. Les Huguenots, nouveaux convertis au protestantisme, sont persécutés sous l'ordre du roi Henri II, un fervent catholique. Le royaume est sur le point de basculer dans une guerre civile où la foi devient une arme redoutable.
Périgord noir, 1557. Les guerres de Religion menacent la France. Derrière les remparts du Château de Mespech, cerné par un monde dangereux, hostile et intolérant, la famille Siorac se bat pour sa survie et ses convictions. Il y a la vie d'une communauté, les maîtres et les serviteurs, les parents et les enfants, les épidémies, les adversaires, les batailles et les deuils, la science et les superstitions et les histoires d'amour.
Dans ce contexte, la famille Siorac tente de résister à la pression de l'Église et de la monarchie, tout en maintenant ses convictions humanistes. Ce combat interne et externe est au cœur de l'intrigue, et c'est cette dimension psychologique et morale qui donne toute sa profondeur à la série. La réalisation de Christopher Thompson, majoritairement en huis clos au sein du château de Mespech, reflète avec brio l'intensité des conflits religieux tout en s'appuyant sur des personnages bien campés. Cependant, ce choix de mise en scène restreinte donne parfois un sentiment d'étouffement, accentué par le fait que la plupart des scènes se déroulent dans le domaine familial. On aurait pu espérer un peu plus de variété dans les décors, notamment pour illustrer l'ampleur des événements historiques en dehors du microcosme des Siorac. Le cœur de la série repose sur la complexité des personnages, et en particulier sur Jean de Siorac, interprété par Guillaume Gouix, et son frère Jean de Sauveterre, joué par Nicolas Duvauchelle.
Ces deux figures représentent à elles seules les tiraillements que vivent les protestants de l'époque : rester fidèles à leurs croyances tout en tentant de survivre dans un environnement hostile. Ce dilemme est superbement exploité dans la série, notamment à travers les tensions internes au sein de la famille Siorac, où tout le monde ne partage pas les mêmes convictions religieuses. La relation entre Jean de Siorac et sa femme, Isabelle de Caumont, catholique pratiquante, cristallise ce conflit : leur amour est constamment mis à l'épreuve par leurs divergences spirituelles. La série met également en lumière le rôle des femmes dans cette époque troublée. Bien que l'histoire se déroule au XVIe siècle, Fortune de France n'hésite pas à moderniser certains aspects du récit, notamment en revisitant le rôle des femmes à travers des questions contemporaines comme la liberté de culte et le rejet de la différence. Isabelle de Caumont, interprétée par Lucie Debay, est un personnage particulièrement intéressant dans ce cadre.
Son évolution, depuis son attachement aux dogmes catholiques jusqu'à son affrontement direct avec les convictions de son mari, reflète les conflits intérieurs qui agitent la société de l'époque. Si la série cherche à être fidèle à l'esprit du roman de Robert Merle, elle prend toutefois certaines libertés scénaristiques qui ne manqueront pas de faire grincer des dents les puristes. En particulier, certains anachronismes peuvent déranger, comme la scène où une femme chante une sorte de flamenco, un genre musical qui n'a émergé qu'au XVIIIe siècle. Ces choix, parfois maladroits, contribuent à un certain manque de cohérence historique et peuvent sortir le spectateur de l'immersion dans l'époque représentée. De plus, certaines scènes, notamment celles représentant des tortures ou des exécutions de protestants, semblent surjouées, ce qui nuit à la crédibilité du récit. Ces moments sont parfois si théâtralisés qu'ils en deviennent presque caricaturaux.
Cela contraste avec d'autres parties de la série, beaucoup plus sobres et réussies, qui décrivent la souffrance quotidienne des Huguenots avec une justesse poignante. L'un des aspects les plus réussis de Fortune de France est sans doute sa manière de traiter du fanatisme religieux. La série évite le manichéisme facile, en montrant que la violence n'est pas l'apanage d'un seul camp. Les protestants, bien que persécutés, ne sont pas non plus exempts de reproches. Jean de Siorac et son frère, bien qu'animés par des idéaux de liberté, se montrent parfois aussi intransigeants que leurs bourreaux. Cette complexité dans le traitement des personnages et des conflits religieux est une vraie force de la série. On ressent aussi, à travers la mise en scène et les dialogues, la pression constante exercée par la monarchie et l'Église sur les Huguenots. La peur de la dénonciation, les perquisitions soudaines, les interrogatoires brutaux et la surveillance oppressante des milices royales sont autant de procédés qui montrent à quel point le pouvoir catholique contrôlait chaque aspect de la vie des citoyens.
Cette atmosphère pesante est rendue avec une grande justesse, et elle rappelle, par certains aspects, les régimes totalitaires du XXe siècle. Si la série séduit par son traitement intelligent de l'histoire et des enjeux religieux, elle souffre toutefois de quelques longueurs. Certains dialogues, bien que bien écrits, tendent à alourdir le récit. Les discussions philosophiques ou religieuses entre les personnages, bien qu'intéressantes, ralentissent parfois l'intrigue et peuvent décourager les spectateurs en quête d'action ou de dynamisme. Ce défaut est d'autant plus marqué que la série adopte un ton assez solennel, ce qui lui confère un aspect théâtral parfois déroutant. Néanmoins, malgré ces petites faiblesses, Fortune de France reste une œuvre télévisuelle audacieuse, qui ose aborder des sujets complexes comme la foi, la tolérance, et le fanatisme. La série nous rappelle que les guerres de religion ne sont pas seulement des conflits armés, mais aussi des luttes intérieures, où chaque individu doit choisir entre ses convictions et sa survie.
En conclusion, Fortune de France est une série historique qui, malgré ses quelques maladresses, mérite d'être regardée pour sa capacité à plonger le spectateur dans une période méconnue mais fascinante de l'histoire de France. Les amateurs de récits intenses et de drames psychologiques trouveront certainement leur compte dans cette fresque, qui mêle habilement intrigues politiques, conflits religieux, et relations humaines. Si elle ne satisfait pas toujours les attentes en termes de fidélité historique ou de dynamisme narratif, la série compense par la richesse de ses personnages et la profondeur de ses thématiques. C'est une œuvre qui, à défaut de plaire à tout le monde, saura au moins susciter le débat et la réflexion, et c'est bien là l'un des objectifs d'une bonne série historique.
Note : 6/10. En bref, une fresque ambitieuse qui gagne par sa grandeur visuelle (et ses décors naturels) et son casting réussi. Cela pêche un peu dans le scénario mais cela reste à voir.
Disponible sur France.tv. Diffusée sur France 2 à partir du lundi 16 septembre 2024.