Paris 1952, Niki s'est installée en France avec son mari et sa fille loin d'une Amérique et d'une famille étouffantes. Mais malgré la distance, Niki se voit régulièrement ébranlée par des réminiscences de son enfance qui envahissent ses pensées. Depuis l'enfer qu'elle va découvrir, Niki trouvera dans l'art une arme pour se libérer.Ce biopic retrace une dizaine d’années de la vie de Niki Matthews (magnifiquement interprétée par Charlotte Le Bon) que nous connaissons sous son nom d’artiste Niki de Saint Phalle (1930-2002). Céline Salette a choisi la période 1952-1961 durant laquelle la jeune mère de famille recouvrera la mémoire de l’inceste qu’elle a subi, se relèvera, et se révèlera par l’Art. Elle va devenir une artiste en se libérant du terrible traumatisme qu’elle ne révéla que très tardivement avoir subi, dans un livre,Mon secret, qui a servi de source documentaire à la réalisatrice, ainsi que que son deuxième livre, Harry et moi.
L’art sauve Niki (nous sommes horrifiés d'apprendre que son frère et sa soeur sont morts) et une certaine forme d’humour évite au film l’écueil de la tragédie avec finesse. Il faut voir comment la jeune femme vide son sac sur le bureau du psychiatre ! On pourra trouver une ressemblance entre l’infirmière et Mildred Ratched qui était celle de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Et on remarquera plusieurs scènes signifiantes avec un ou plusieurs oiseaux en cage.
Pour représenter l’état de dissociation si fréquent chez les victimes d’inceste la réalisatrice a utilisé à plusieurs reprises le principe du split-screen, (en français écran divisé) qui ajoute aussi du dynamisme.
Les costumes sont hauts en couleur témoignant de l’intérêt de Niki pour tout cela.
La parole est aussi donnée à Jean Tinguely (Damien Bonnard qui fut Garouste dans Les intranquilles) : L’art c’est la nouvelle arme du monde. On est les nouveaux terroristes.
La famille a interdit que les oeuvres de Niki figurent dans le film. On comprend mal pourquoi puisqu’elles sont dans des musées, mais la réalisatrice a respecté cette interdiction en plaçant souvent la caméra à la place du spectateur qui, du coup, n’aura pas la tentation de juger la production artistique. C’est le processus qui importe et non le résultat.
Sur ce plan, on sait que Niki fut une artiste exceptionnelle, mondialement reconnue tout comme son compagnon Jean Tinguely et je vous invite à voir ou revoir la fontaine Stravinsky récemment restaurée à côté du Centre Pompidou.Vous serez sans doute cependant curieux de voir quelques-unes de oeuvres dont le film suggère la réalisation, comme l’Autoportrait avec les morceaux d’assiettes, ouPortrait de mon amour avec la cible et la chemise blanche, ou encore comprendre l’expérience des tirs, et bien entendu voir ce qu’elle a créé après la période sur laquelle le film s’est concentré.
Le séjour hospitalier est d'une violence terrible pour la jeune femme à qui on impose des électrochocs. On la voit trembler, avoir froid et souffrir de la faim. C'est la vue d'un patient en train de peindre qui fait office de déclic. Elle veut travailler avec d'aussi jolies couleurs que les siennes; Le psychiatre refuse et c'est le land-art (qui ne sera "inventé" officiellement que dix ans plus tard à New-York) qui lui permet de canaliser ses émotions.
Le film est découpé en grands chapitres. Le suivant nous montre Niki en 1956 dans un lieu aujourd'hui disparu, absorbé par l'hôpital Necker. Nous sommes Impasse Ronsin, au 152 rue de Vaugirard, un endroit où vécurent beaucoup d'artistes d’avant-garde, mais aussi un large spectre de la création comme Constantin Brâncuși, Max Ernst, … ou Jean Tinguely et son ex-femme avec qui Niki sympathise. Elle lui tire les cartes. Le Pendu sort et ce n'est pas anodin puisqu'elle signifie la libération par le sacrifice. D'autant moins anodin qu'elle appellera "Le Jardin des Tarots" l'œuvre monumentale qu'elle a fini par créer en Italie, largement inspirée du Parc Guël qui l'avait enchantée à Barcelone.
Nouveau souci pour Niki avec la découverte d'une hyperthyroïdie (qui sera opérée) qui pourrait expliquer ses sautes d'humeur et ses dérèglements métaboliques.
Plusieurs artistes traversent le film, en toute logique. Je reconnais notamment Joan Mitchell dont j'ai découvert la peinture l'an dernier à la Fondation Vuitton.
L'important n'est pas de raconter ici, dans le détail, les scènes bien qu'elles soient très belles du fait que Charlotte le Bon est totalement crédible, de part son jeu, sa ressemblance avec Niki, et ses compétences personnelles en peinture. Elle sait comment mélanger les pigments et ne "joue" pas. Elle est peu, voire pas maquillée, ce qui apporte une dimension authentique.
Le débat n'a pas lieu non plus à propos du père dont l'aveu, qui plus est écrit, est rare dans les faits d’inceste. Ni de la destruction de l'unique pièce à conviction par un autre homme, le psychiatre censé protéger sa patiente.
On comprend combien son chemin de vie pouvait être enthousiasmant : J’ai fait un chemin personnel pour sortir de la dépendance de la situation d’acteur. J’ai souhaité devenir réalisatrice pour pouvoir raconter une histoire.
Elle nous a confié le travail qu'elle a entrepris sur elle-même pour se libérer de sa propre dépendance affective (sans qu'il y ait le moindre point commun avec les faits subis par l'artiste).
L'écriture et la réalisation de Niki a duré quatre années. Si le résultat de cette fiction est d'une vraie beauté Céline Salette est tellement impliquée par l'urgence de lever le voile sur les mères désenfantées dont les enfants sont placés chez les pères agresseurs qu'elle en fera le sujet de son prochain film. Ce sera un documentaire car rien n’est plus fort que le vraiment vrai. Le titre en sera probablement "la lutte".
Nous avons été cueillis dans la salle par ses paroles à propos de la fréquence des situations de dissociation judiciaire sur lesquelles l'ONU a exhorté la France a réagir en raison de leur systémisme.
Sortie en salles le 9 octobre 2024