Ce n’est pas une odyssée, ce n’est pas un conte, les héroïnes anonymes ont en général des vies toutes simples, banales, mais qui nous élèvent. L’histoire de Faith, c’est la quête ordinaire et digne d’une jeune femme tombée dans un réseau de prostitution contre une promesse dorée. Manipulée et violentée, il lui faudra beaucoup d’énergie, mais aussi la bonne volonté et la bienveillance de quelques personnes justes croisées en chemin pour se sortir de ces liens pervers et menaçants.
Armandine Penna et Diane Morel, respectivement journaliste et illustratrice indépendantes et vivant toutes les deux dans la région nantaise, ont croisé plusieurs de ces femmes à la trajectoire semblable à celle de Faith. Elles signent avec Le silence du juju, Itinéraire d’une Nigériane, de la prostitution à l’émancipation, une bande dessinée pleine de pudeur pour raconter la longue tromperie depuis la ténébreuse cérémonie du juju (NDLR: une cérémonie mystique qui permet de nouer un contrat) et le passage de Faith entre les mains de « madam », celle qui est réputée la protéger . À travers l’itinéraire de Faith, c’est celui de toutes les autres filles ayant eu le même sort et prêté le même serment qu’elles illustrent et condamnent. La jeune Nigériane arrivée en France par un réseau parti de Benin City, ville de l’État d’Edo au Nigéria, atterri dans les bas-fonds de la ville de Nantes, avant sa renaissance et sa lente reconstruction.Les deux autrices ont d’abord mené une enquête de terrain comme journalistes, mais c’est ensuite l’urgence à agir et pas seulement à dire, l’urgence à dénoncer, qui les a poussées à aller plus loin qu’un reportage, jusqu’à la fiction pour raconter la violence avec une certaine douceur des mots, les coups de poing comme les coups du destin sous la crudité du trait et des couleurs. Le silence du juju donne aussi à voir et à entendre les tout petits détails, les filles qui changent de perruque et enfilent des minijupes loin de la lumière des phares, transformation inversée du papillon rendue à sa geôle de chrysalide, les changements du ciel et les croyances maléfiques qui emprisonnent plus encore que le besoin d’argent, donnant au personnage principal de la chair, tout en créant un équilibre subtil entre l’empathie nécessaire et la distance critique.
Le lecteur ne s’identifie pas à Faith, il ne la juge pas, ne la plaint pas. Il tente sans doute de regarder son histoire comme ces récits à la fois proches et lointains, auxquels on n’accorde pas foi ou ne donne pas de consistance, tant qu’on ne les a pas touchés du doigt, ces récits pourtant où des vies bien réelles basculent. Heureusement, dans la complexité humaine, les destins peuvent chavirer et sombrer, comme les radeaux des passeurs sans vergogne, mais il arrive aussi qu’ils se relèvent et qu’ils témoignent pour notre grandeur et notre honte.
Annie Ferret
Armandine Penna et Diane Morel, Le silence du juju, Éditions du faubourg, 2024
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