Et pour rentrer chez moi, je contourne l'ambassade de Chine, d'Erida Bega

Publié le 01 septembre 2024 par Francisrichard @francisrichard

J'habite près de l'ambassade de Grèce et de l'ambassade d'Allemagne. Et pour rentrer chez moi, je contourne l'ambassade de Chine.

Cette phrase est la réponse que la narratrice se donnait devant son miroir à la question: Où habites-tu ? C'était à Tirana, en 1988, alors qu'elle avait douze ans.

Depuis se sont écoulés quelque trente ans. Elle s'est évadée d'Albanie quand elle en avait dix-neuf, vit aujourd'hui à Genève dans une des tours du Lignon:

En guise de pseudo, je l'appelle la cité chic des anonymes.

Ce qui l'avait poussée à quitter son pays? Les études, une meilleure vie, le salaire, une position sociale. Au fond, j'ai oublié la vraie raison: me sentir libre...

Chaque jour, à 19 heures, elle ressent un creux à l'estomac, l'heure de partir du bureau, vite, de [s]'échapper, d'assouvir son besoin d'être en compagnie légère.

Ce soir-là, elle se retrouve seule, se rend dans un restaurant discret, ayant emporté avec elle un livre qui lui permettra de se protéger des autres convives:

La Délicatesse1, un roman léger, parfait pour un repas.

Un homme lui fait baisser cette garde en lui demandant s'il peut lui offrir un verre. Il sera désormais pour elle le chasseur de solitaires. Ainsi s'est-il présenté.

Elle lui avoue être albanaise. Il lui dit - cela lui déplaît - que le temps a dû effacer toute trace de son origine. S'il lui pose des questions, elle ne lui en pose pas.

Sur ce, il la quitte inopinément, mais il lui laisse son numéro de téléphone après qu'ils ont bu du cognac, au cas où elle serait intéressée de savoir d'où il vient.

Dès lors les souvenirs de son enfance en Albanie remontent à la surface et plus particulièrement celui de leur déménagement dans le quartier des ambassades.

Si elle ne garde aucune trace apparente de son origine, le monde ancien qui fut le sien l'a profondément marquée, intérieurement, pour le reste de son âge.

Le quatrième jour, elle se décide enfin à appeler son chasseur de solitaires. Ses parents à lui, morts alors qu'il avait seize ans, s'étaient évadés de Roumanie...

Neuf jours auront passé. Une page se tournera. Savoir d'où l'on vient ne pourra que contribuer à créer des liens entre eux qui ont suivi des routes d'exil parallèles.

Francis Richard

1 - Roman de David Foenkinos.

Et pour rentrer chez moi, je contourne l'ambassade de Chine, d'Erida Bega, 208 pages, Éditions Encre Fraîche